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VITET, Ludovic
Mis à jour le 11 septembre 2009
(18 octobre 1802, Paris – 5 juin 1873, Paris)
Auteur(s) de la notice : BONNET Alain
Profession ou activité principale
Homme de lettres, journaliste, homme politique
Autres activités
Historien d’art, archéologue, inspecteur général des monuments historiques
Sujets d’étude
Histoire de l’art, histoire de la musique, histoire de la littérature
Carrière
1818 : collège Bourbon
1822 : faculté de droit
1825 : collaborateur au Globe
1830 : inspecteur général des monuments historiques
1834 : secrétaire général du ministère du Commerce ; député de Bolbec, Seine-Inférieure
1835 : membre du Comité des monuments inédits de la littérature, de la philosophie, des sciences et des arts considérés dans leurs rapports avec l’histoire générale de la France
1836 : conseiller d’État
1846-1848 : vice-président de la section des finances du Conseil d’État
1837 : membre de la Commission des monuments historiques
1839 : membre libre de l’Académie des inscriptions et des belles-lettres
1845 : membre de l’Académie française
1849 : député de l’Assemblée législative
1871 : député de la Seine-Inférieure à l’Assemblée nationale ; membre de la Commission des Expositions internationales
Officier de la Légion d’honneur (1843)
Étude critique
La carrière de Ludovic Vitet ne saurait être restreinte au domaine de l’histoire de l’art et de l’archéologie. Vitet eut des responsabilités publiques importantes dans l’administration, le journalisme et la politique. Ses travaux d’érudition étaient menés en marge de ses activités civiles, lorsque ses engagements politiques lui en laissaient le loisir. Vitet, par le fait même de la diversité de ses fonctions et de ses charges, constitue un modèle, et presque un type, de l’homme public érudit et du savant engagé dans la vie de la cité, caractéristique du XIXe siècle.
Louis, prénom officiel transformé en Ludovic selon un usage lyonnais de donner au prénom une tournure latine, est né à Paris le 26 vendémiaire an XI (18 octobre 1802). La famille faisait remonter son origine à un chirurgien du prince de Galles cité lors de la bataille de Poitiers en 1356, qui se fixa à Lyon. Ses descendants exercèrent la médecine pendant douze générations dans cette ville. Son grand-père, Louis, fut maire de Lyon en 1792. Député à la Convention, il vota contre la mort de Louis XVI et choisit de s’exiler en Suisse pour échapper aux troubles révolutionnaires. Après Thermidor, élu au conseil des Cinq-Cents, il s’opposa au coup d’état du 18 brumaire. Les chroniques locales inscrivent à son crédit la publication d’un ouvrage en treize volumes, publié en 1804 à Lyon, Le Médecin du peuple. Son fils Pierre, après des études de médecine qui ne l’engagèrent pas à exercer la profession de ses ancêtres, s’adonna aux lettres et à la peinture ; il épousa, en 1801, Amélie Marie Joséphine Arnaudtizon-Descheaux. La mère de Ludovic était apparentée à la famille Barbet, propriétaire de fabriques d’indienne ; Jacques-Juste Barbet de Jouy était l’oncle de Ludovic Vitet. Il le présenta à Auguste Le Prévost et à Arcisse de Caumont, fondateurs de la Société des antiquaires de Normandie, qui l’initièrent à l’archéologie médiévale.
Élève du collège Bourbon à partir de 1818, il suivit l’enseignement de Théodore Jouffroy et participa, en compagnie notamment d’Ampère, de Charles de Rémusat, de Prosper Brugière de Barante, aux cours privés que le philosophe organisa chez lui quand il fut dépossédé de sa chaire. Le Cours d’esthétique de Jouffroy, professé en 1822 et publié en 1843, sera l’inspiration directe de ses travaux de critiques d’art. Vitet commença des études de droit avant d’être inscrit au palais comme avocat stagiaire. Il rencontra, à la faculté de droit, Prosper Mérimée avec qui il noua une amitié qui ne devait pas survivre à l’avènement de l’Empire. Après ses études, Vitet voyagea en Italie du Nord et en Suisse avec Tanneguy Duchâtel et rendit compte de son voyage dans Le Globe. Il devint un collaborateur actif du journal fondé par ses amis Paul-François Dubois et Pierre Leroux, secondés par Jouffroy et Jean-Philibert Damiron, et le représentant, avec Duchâtel, de la fraction modérée et du courant dit des doctrinaires. Il se retira du Globe lorsque celui-ci prit une orientation trop saint-simonienne à son goût. En 1827, il participa, aux côtés de François Guizot et Barante, aux travaux de la Société « Aide-toi, le ciel t’aidera ».
Vitet se fit d’abord connaître comme auteur de romans historiques dans la veine de Walter Scott, et selon un système que popularisa ensuite Alexandre Dumas (Les Barricades, 1826, Les États de Blois, 1827, La Mort de Henri III, 1829, réunis en 1844 sous le titre La Ligue). Il chercha, dans ses drames historiques dialogués, la vraisemblance plus que la vérité, l’interprétation des faits plus que leur récit, l’intelligence générale d’une époque plus que la peinture romanesque des mœurs et des coutumes, en faisant du peuple un personnage à part entière. Cette approche vivante et familière de l’histoire, déduite des leçons de Jouffroy, inspira certainement Paul Delaroche et contribua à redéfinir les fonctions de la peinture d’histoire après 1830.
Ludovic Vitet amorça ses travaux d’érudit par la critique musicale. Essayiste prolixe, il écrivit par la suite sur Friedrich Gottlieb Klopstock et sur Jacques-Louis David, sur Walter Scott et Gioacchino Rossini, sur Eugène Delacroix et sur la caricature, sur la lithographie et les nielles florentines, sur la bourse, la madeleine, les dioramas, les jardins, le tombeau de Napoléon, les vignettes des chansons de Pierre-Jean de Béranger ou la poésie de Michel-Ange. Ses différentes études furent réunies dans deux publications, Fragments et Mélanges, en 1845, et Études d’histoire de l’art, en 1867.
Vitet personnifia le libéralisme esthétique conjugué au désir de liberté politique, qui animait le cénacle du Globe, dans son article « L’Indépendance en matière de goût ». Le penchant romantique du Globe, marqué chez Charles de Rémusat ou Charles-Augustin de Sainte-Beuve, sera moins apparent chez Vitet. Admirateur du classicisme en art, mais souvent critique envers le néoclassicisme davidien et l’académisme, il définissait le romantisme comme « le protestantisme dans les arts », une formule souvent reprise, en réclamant la liberté de jugement et de goût. Il usa pour lui-même de cette liberté du goût en appliquant au domaine des beaux-arts les thèses éclectiques de Victor Cousin et de son maître Jouffroy, et étudia avec la même conscience les bas-reliefs d’Éleusis et les sculptures du porche de la cathédrale de Reims : « Tout esprit de parti, tout système exclusif et préconçu furent étrangers [à son caractère]. M. Vitet ne fut ni classique, ni romantique, ni grec, ni italien, ni anglomane, ni allemand, ni espagnol. Le beau, le vrai, le naturel, obtenaient seuls son admiration, et l’obtenaient, quels que fussent leur origine, leur date, leur nom propre, leur célébrité publique » (François Guizot, « M. Vitet. Sa vie et ses œuvres », Revue des deux mondes, 1er mars 1874, p. 56). Proche de Mérimée dans sa condamnation des excès du romantisme, « le faux enthousiasme, la fausse sensibilité, la mélancolie fade et vaporeuse », il voua un culte à la raison, à la clarté, à la méthode, à l’exactitude et à la mesure. Toutes qualités qui s’exprimaient dans son style, qualifié souvent d’académique pour désigner « la gravité pénétrante des raisons, l’exquise finesse des aperçus et la perfection classique du langage » (Paul Sauzet, Hommage à la mémoire de Ludovic Vitet, Lyon, 1874, p. 25). Il sera pour cela sévèrement critiqué par Philarète Chasles, qui expliquait son caractère minutieux et sa manie d’exactitude par l’exercice des fonctions d’universitaire et de chef de bureau, que Vitet ne remplit jamais, et par Stendhal, qui était son rival au Journal de Paris et l’égratigna dans les Souvenirs d’égotisme en le qualifiant de « niais piqué », suite à une critique peu aimable publiée par Vitet sur Armance.
Cette pondération sera sa bannière, dictera sa conduite publique et fournira les principes les plus assurés de sa conception d’historien de l’art. Prenant la parole devant la Société des antiquaires de Normandie, il mettra ainsi en garde, en 1847, contre les excès des restaurateurs prompts à outrepasser les exigences de la science et contre les enthousiasmes des archéologues : « Voulons-nous affermir dans l’estime et dans l’admiration de tous cette architecture du Moyen Âge que nous aimons, et dont les sublimes beautés nous ont si souvent causé de si vives et de si sincères jouissances, gardons-nous de pousser jusqu’à l’hyperbole les sentiments qu’elle nous inspire […] si, comme souvent il arrive, notre enthousiasme tournait à l’intolérance, si, par prédilection pour l’ogive, nous allions déclarer la guerre à l’architrave, user de représailles et, en souvenir d’une longue proscription, essayer de proscrire à notre tour tous les styles hors notre style favori, soyez certains que nous aurions bientôt provoqué une de ces justes et redoutables réactions auxquelles on ne résiste pas. » Il affirmait dans le même discours son credo scientifique et positiviste : « Continuons à observer patiemment les faits, sans esprit de système, avec cette bonne foi qui distingue franchement ce qui est certitude de ce qui n’est que conjecture ; gardons-nous de substituer l’hypothèse à l’observation et les formes vagues et mystérieuses du sentiment aux lois sévères de l’analyse […] C’est une science que nous voulons fonder ; quel que soit son objet, il faut, pour qu’elle acquière confiance et crédit, qu’elle repose sur la même base que toutes les sciences, c’est-à-dire sur la méthode scientifique. » Il condamnait pour cela l’imitation, qu’il assimilait au pastiche, qu’elle soit imitation de l’Antiquité ou imitation du Moyen Âge (Études sur l’histoire de l’art, II. Moyen Âge, chap. 9 « L’art et l’archéologie »).
Lors de la révolution de 1830, Vitet embrassa la cause de la monarchie constitutionnelle. S’étant résolument rangé aux côtés des modérés partisans de la liberté par le gouvernement, opposés aux radicaux tenants de la liberté par la Nation, il espéra la direction des Beaux-Arts, confiée finalement à Charles Lenormant. Il convainquit alors Guizot de créer à son intention une place d’inspecteur général des monuments historiques de la France. « M. Vitet, déjà prêt par ses voyages antérieurs […] homme de verve et de science, donnait à ce genre d’études une impulsion nouvelle, en l’éclairant d’une vue plus générale et en traçant le premier avec vérité et largeur le cadre des époques : il a eu l’initiative. M. Mérimée, après lui, précis, attentif et positif comme pas un, allait continuer pendant des années cette suite de services d’un détail infini, et qui exigeait des déplacements continuels, une sagacité infatigable » (Charles-Augustin Sainte-Beuve, Nouveaux Lundis, « E.-E. Viollet-le-Duc ». Paris : Michel Lévy, 1872, VII, p. 158-159). Vitet était préparé à ces charges, non seulement par ses voyages (en Belgique, en Allemagne, aux Pays-Bas, en Italie, en Suisse…), mais également par ses fréquentations et par ses études archéologiques : il avait publié dans la Revue française un article sur l’architecture lombarde et un autre sur l’église Saint-Cunibert à Cologne. Sa première tournée d’inspection le conduisit dans les départements du Nord et il parvint à cette occasion à sauver les vestiges de l’abbaye de Saint-Bertin à Saint-Omer. La fonction d’inspecteur, qui comportait la double tâche d’inventaire des monuments et de leur conservation effective, fut définie dans son premier rapport : « Constater l’existence et faire la description de tous les édifices du royaume qui, soit par leur date, soit par le caractère de leur architecture, soit par les événements dont ils furent témoins, méritent l’attention de l’archéologue, de l’artiste ou de l’historien, tel est le premier but des fonctions qui me sont confiées ; en second lieu, je dois veiller à la conservation de ces édifices, en indiquant au gouvernement et aux autorités locales les moyens soit de prévenir, soit d’arrêter leur dégradation. De ces deux missions, la première est toute scientifique, et les résultats, ce me semble, n’en peuvent être consignés que dans le catalogue raisonné des monuments de France, que je suis chargé de dresser ; quant à la seconde, elle est, à vrai dire, administrative ; aussi c’est spécialement à son sujet que je vais avoir l’honneur de vous entretenir » (Rapport à M. le ministre de l’Intérieur sur les monuments, les bibliothèques, les archives et les musées des départements de l’Oise, de l’Aisne, de la Marne, du Nord et du Pas-de-Calais. Paris : Imprimerie royale, 1831, p. 2-3. Repris au t. II des Études sur les beaux-arts, essais d’archéologie et fragments littéraires. Paris : Charpentier, 1847, 2 vol.). Vitet ouvrit ainsi la voie à Mérimée, qui lui succéda à ce poste, à la fois pour la doctrine archéologique et pour la rédaction des notes et des rapports. Dans la conclusion de sa Monographie de l’église Notre-Dame de Noyon, 1845, l’un des rares travaux de la Commission à avoir été mené à bien dans un délai raisonnable, Vitet donnait le principe ordinaire qui devait guider l’entreprise d’inventaire général : « L’archéologie prend rang parmi les sciences utiles, puisqu’en nous révélant à la vue des monuments l’état des sociétés qui les virent construire, elle nous fournit un des meilleurs moyens d’investigation, un des plus sûrs instruments de critique historique. » Il indiquait également, dans cette monographie, le double but que devaient poursuivre les archéologues pour constituer leur discipline en science méthodique, vouée à la découverte des lois essentielles et des principes fondamentaux : « En effet, pour connaître l’histoire d’un art, ce n’est pas assez de déterminer les diverses périodes qu’il a parcourues dans un lieu donné, il faut suivre sa marche dans tous les lieux où il s’est produit, indiquer les variétés de formes qu’il y a successivement revêtues, en mettant en regard, non seulement chaque nation, mais chaque province d’un même pays » (Monographie de l’église Notre-Dame de Noyon. Plans, coupes, élévations et détails par Daniel Ramée, p. 38-39).
Il tirait de là une leçon pour l’architecture du XIXe siècle, siècle qui lui paraissait voué plus à l’histoire et à la critique qu’à la création artistique : la mission de l’architecte contemporain est de conserver les vestiges du passé afin de s’en inspirer et d’en adapter les principes aux mœurs contemporaines : « Nous le répétons, c’est à l’esprit critique, c’est-à-dire au bon sens, qu’il faut faire appel pour nous délivrer de ces imitations exclusives. Étudions tous les styles, admirons les chefs-d’œuvre de tous les âges, de toutes les nations ; mais comprenons bien que le premier élément de leur beauté, c’est la convenance, c’est-à-dire les rapports harmonieux de l’édifice avec sa destination spéciale et avec toutes les conditions que lui imposent sa situation, la nature du climat et le genre de civilisation auquel il appartient […] Sans doute il y a dans l’architecture, comme dans tous les arts, certaines beautés qui sont de tous les temps, de tous les pays, beautés vivaces, éternelles ; mais chaque monument ne contient qu’un petit nombre de semblables beautés, et c’est précisément à les distinguer, à les abstraire, pour en faire ensuite une combinaison neuve et habile, que constitue ce travail judicieux, ce travail critique, ce bons sens que nous demandons à nos jeunes artistes » (« Des monumens de Paris ». Revue française, mars 1838, p. 285-286).
Vitet essuya, dans le cadre de ses fonctions, les critiques des archéologues indépendants et celles des antiquaires de province, ainsi que les attaques des membres du Comité des arts et monuments. Didron aîné, futur fondateur, en 1844, des Annales archéologiques, l’accusa ainsi de gaspiller dans les restaurants parisiens les sommes allouées pour les frais de tournée. Ces critiques, lorsqu’elles n’étaient pas manifestement de mauvaise foi, visaient avant tout la soumission de l’archéologie à l’histoire, l’idée défendue par Vitet que les monuments sont avant tout des documents représentatifs d’un état social avant que d’être des œuvres relevant d’un jugement esthétique.
En 1832, il séjourna à Dieppe pour se remettre de l’épidémie de choléra qui avait frappé Paris, et profita de sa villégiature pour rédiger une Histoire de Dieppe en deux volumes (mai 1833) qui devait inaugurer une Histoire des anciennes villes de France. Cette série, qui devait constituer pour l’histoire urbaine de l’ancienne France l’équivalent des Voyages pittoresques du baron Taylor et de Charles Nodier, ne fut pas poursuivie.
Nommé en 1834 secrétaire général du ministère du Commerce, dirigé par son ami Tanneguy Duchâtel, il abandonna son poste d’inspecteur des monuments historiques, qu’Adolphe Thiers, ministre de l’Intérieur, proposa à Mérimée. Élu député de la Seine-Inférieure en 1834, Vitet délaissa en partie, pendant six ans, ses travaux d’érudition. Il publia toutefois des études sur les « Monumens de Paris » (Revue française, 1838), sur « l’Architecture du Moyen Âge en Angleterre » (ibid.), sur le « Tombeau de Napoléon » (Revue des deux mondes, 1er septembre 1840), une monographie sur « Eustache Lesueur » (ibid, 1er juillet 1841), et un article sur la « Salle des prix à l’École des beaux-arts » (ibid., 15 décembre 1841). De 1836 à 1848, il siégea au Conseil d’État en qualité de vice-président de la section des finances.
En 1837, Camille de Montalivet, ministre de l’Intérieur, instituait la Commission des monuments historiques et Vitet rédigea à cette occasion une circulaire aux préfets pour dresser un état des anciens monuments conservés dans les départements. Vitet, nommé membre de la Commission en 1837, aux côtés du comte de Montesquiou, d’Auguste Le Prévost, du baron Taylor, d’Auguste Caristie, de Félix Duban et de Mérimée, devint son vice-président en 1839. À ce titre, il entretint une correspondance suivie avec Mérimée, qui fut publiée (Lettres de Mérimée à Ludovic Vitet, 1934).
En 1838, Vitet fut reçu comme membre libre à l’Académie des inscriptions et belles-lettres ; en 1845, il entra à l’Académie française où il occupa le siège d’Alexandre Soumet.
Après les journées de février 1848, Vitet abandonna ses fonctions à la Commission des monuments historiques. Siégeant à l’Assemblée législative, maire du Xe arrondissement de Paris, Vitet fut emprisonné suite au coup d’état du 2 décembre à la caserne du Quai d’Orsay, puis à Vincennes. Vitet rompit avec Prosper Mérimée lorsque l’écrivain fut nommé sénateur de l’Empire en 1853. Il eut l’occasion, dix ans plus tard, de s’opposer à Mérimée et Eugène Viollet-le-Duc à propos de la réforme de l’École des beaux-arts dont l’écrivain et l’architecte avaient été les instigateurs.
Vitet, retiré de la vie publique sous le Second Empire, se consacra à ses travaux d’érudition ; il collabora à la Revue des deux mondes, à la Revue contemporaine et au Journal des savants, où parurent successivement ses études sur la Renaissance des arts à la cour de France au XVIe siècle, sur l’architecture byzantine, l’histoire de l’harmonie au Moyen Âge, sur les anciennes notations musicales. C’est dans la même revue que furent publiés les six articles qui constituèrent le Mémoire pour servir à l’histoire de l’ancienne Académie royale. Il rédigea les Lettres sur le siège de Paris : adressée à M. le directeur de la Revue des deux mondes (1870-1871) après la défaite de 1870, fut élu en 1871 député de la Seine-Inférieure. Il mourut à Paris le 5 juin 1873.
En dehors des travaux consacrés plus particulièrement à l’archéologie médiévale et à la sauvegarde du patrimoine, entrepris dans le cadre de ses fonctions d’inspecteur puis de vice-président de la Commission des monuments historiques, Vitet poursuivit une carrière d’historien de l’art, consacrée dans un premier temps à l’histoire de l’architecture, puis étendue aux problèmes de la peinture et de la sculpture anciennes et contemporaines. On doit distinguer dans ce domaine son étude sur Eustache Lesueur, publiée en 1845 sous la forme d’une monographie, puis insérée dans son volume Fragments et Mélanges (Études sur les beaux-arts, essais d’archéologie et fragments littéraires, 1847). Il traçait à grands traits, dans cet ouvrage, un chapitre d’histoire de la peinture, depuis François Ier jusqu’à Louis XIII dans lequel il serait vain, sans doute, de rechercher des analyses un peu suivies sur des œuvres précises. Cette étude vaut avant tout, outre l’élégance d’une langue toujours claire et correcte, pour sa pénétration psychologique qui parvient à caractériser par quelques adjectifs choisis la nature exacte d’un talent : « L’expression chez le Poussin n’apparaît presque jamais sur les physionomies, elle se manifeste dans la pantomime, dans les attitudes, et surtout dans la liaison et l’ajustement des figures entre elles, dans l’ordonnance générale de la composition, et jusque dans les lignes des plans les plus reculés ; elle procède de ce qui est extérieur et résulte de la combinaison du tout. Chez Le Sueur c’est le contraire, l’expression est intime, on la sent comme concentrée dans l’intérieur même des personnages, elle se reflète ensuite sur les physionomies, descend dans toutes les parties de la composition, mais d’une manière plus vague et sans y laisser apercevoir ces contrastes, ces balancements savamment combinés qui donnent la vie aux tableaux du Poussin »(Études sur l’histoire de l’art. III. Temps modernes : la peinture en Italie, en France et aux Pays-Bas. 1867-1868, p. 162). Vitet se fit également l’historiographe, précis et vivant, de l’Académie royale de peinture et de sculpture, dans un ouvrage qui demeure, encore aujourd’hui, d’un intérêt certain pour qui s’intéresse à l’histoire de la Compagnie, et que devait poursuivre, pour l’histoire récente de l’Académie des beaux-arts, le vicomte Delaborde. Dans son histoire de l’Académie royale, accompagnée de pièces justificatives et de la liste des membres de la Compagnie, Vitet dresse un panégyrique de l’ancienne institution, largement ouverte à toute la communauté des artistes, pour mieux indiquer les manques et les limites de la nouvelle Académie, fondée au début du XIXe siècle. Il distingue également deux phases dans cette histoire, en opposant l’Académie primitive de 1648, dont les statuts libéraux garantissaient la liberté des beaux-arts, à l’Académie de 1664, inféodée à Lebrun et à son pouvoir despotique : « Relever tout à la fois la profession d’artiste et l’enseignement du dessin, substituer à la monotonie de vieux modèles, de poncifs d’ateliers, transmis de père en fils chez la plupart des maîtres, l’étude éternellement variée de l’antique et de la nature, n’imposer aux élèves aucun type du beau et protéger la variété de leurs aptitudes par la diversité de goût des nombreux professeurs chargés de les diriger, ouvrir enfin aux jeunes gens les portes les plus larges et mesurer la sévérité des épreuves à l’importance hiérarchique des grades à concéder, telle fut la pensée de l’Académie de 1648, pensée qui s’y conserva dans sa pureté primitive pendant sept années encore. C’est donc à cette période qu’il faut se reporter si l’on veut juger sainement et de l’institution elle-même et des services qu’elle pouvait rendre » (L’Académie royale de peinture et de sculpture. Étude historique, 1861, p. 165). Il devait préciser ses conceptions sur la liberté des arts et la mission des artistes dans un article, publié à l’occasion de la réforme de l’École des beaux-arts de 1863, dans lequel il rompait des lances avec ses anciens amis et confrères Viollet-le-Duc et Prosper Mérimée. Revenant sur la valeur esthétique qui avait justifié la réforme du système d’instruction artistique, il démontra que l’originalité ne pouvait faire l’objet d’un enseignement particulier et que les réformateurs, en voulant inscrire cette disposition psychologique au rang des matières scolaires, ne faisaient qu’encourager le système de la mode en soumettant les artistes aux attentes du public. Viollet-le-Duc fit paraître sa réponse aux critiques de Vitet l’année suivante. Après avoir écrit à son fils « Je travaille à ma réponse mais en vérité, cet article de Vitet est bien faible et je me tiens à quatre pour pouvoir y répondre sérieusement. Cela mériterait au fond un article charivarique tout au plus », il fit paraître une plaquette chez Morel qui témoigne assurément de son embarras devant les critiques argumentées de Vitet, embarras d’un doctrinaire devant les remarques d’un pragmatique.
Si l’action de Vitet apparaît quelque peu effacée devant celle de Mérimée, si ses écrits de critique d’art ne sont aujourd’hui guère consultés, son travail d’historien et d’archéologue mériterait mieux, sans doute, que l’indifférence qui l’entoure à présent. Vitet a tracé le programme de la restauration monumentale en France et il en a défini les buts et les fonctions ; comme historien de l’art, il pourrait constituer encore, sous certains aspects, un modèle par la diversité de ses champs d’intérêt, par ses qualités d’expression et d’érudition, par l’attention portée aux faits et par sa capacité à aller au-delà des faits pour élaborer une esthétique ou une théorie des arts, ainsi que le nota Sainte-Beuve : « [Vitet inaugurait au Globe] une théorie des arts, une esthétique, comme on disait déjà, chaleureuse, éloquente, compréhensive, curieuse des monuments et de toutes les manifestations de la beauté ou de la vie dans tous les ordres et dans tous les âges » (Charles-Augustin Sainte-Beuve, Nouveaux Lundis, vol. V, p. 447, repris de la Revue des deux mondes du 15 mai 1863).
Alain Bonnet, maître de conférences en histoire de l’art contemporain, université de Nantes
Principales publications
Ouvrages et catalogues d’expositions
- Histoire de Dieppe. Paris : Ch. Gosselin, 2e éd. : 1844 ( la première édition portait le titre Histoire des anciennes villes de France, recherches sur leurs origines, sur leurs monumens, sur le rôle qu’elles ont joué dans les annales de nos provinces, 1re série, Haute-Normandie, Dieppe. Paris : A. Mesnier, 1833, 2 t. en 1 vol.). Repr. en fac-similé par l’Édition de l’Ailly, 1973.
- Monographie de l’église Notre-Dame de Noyon. Plans, coupes, élévations et détails par Daniel Ramée. Paris : Imprimerie royale, 1845, 1 vol. de texte et 1 atlas (texte d’abord paru dans la Revue des deux mondes du 15 décembre 1844 et du 1er janvier 1845, puis dans Fragments et Mélanges).
- Fragments et Mélanges. Paris : Comptoir des imprimeurs unis, 1845-1846, 2 vol. I. Beaux-Arts, critique littéraire et artistique ; II. Archéologie du Moyen Âge. Rééd. sous le titre Études sur les beaux-arts, essais d’archéologie et fragments littéraires. Paris : Charpentier, 1847, 2 vol.
- Eustache Le Sueur, sa vie et ses œuvres. Dessins par MM. Gsell et Challamel. Paris : Challamel, 1849 (extrait de la Revue des deux mondes, 1er juillet 1841).
- Marc-Antoine Raimondi. Reproductions photographiques des estampes de Marc-Antoine Raimondi avec une notice par M. Benjamin Delessert. Paris : Goupil, 1853 (paru dans la Revue des deux mondes, 15 mai 1853).
- L’Académie royale de peinture et de sculpture : étude historique. Paris : Michel Lévy Frères, 1861.
- Études sur l’histoire de l’art. Paris : Michel Lévy frères, 1867-1868, 4 vol.
- I. Antiquité : Grèce ; Rome ; Bas-Empire. 1. (1860) Pindare et l’art grec ; 2. (1860) Les marbres d’Éleusis ; 3. (1861) Nouvelles fouilles à Éleusis ; 4. (1862) Projet d’un nouveau musée de sculpture grecque ; 5. (1855) Athènes aux XVe, XVIe et XVIIe siècles ; 6. (1862) La collection Campana ; 7. (1859) Monuments antiques de la ville d’Orange ; 8. (1863) Les mosaïques chrétiennes de Rome ; 9. (1853) De l’architecture byzantine en France.
- II. Moyen Âge. 1. (1844) Notre-Dame de Noyon ; 2. (1860) L’architecture chrétienne en Judée ; 3. (1839) L’architecture du Moyen Âge en Angleterre ; 4. (1830) De l’architecture lombarde ; 5. (1830) L’église Saint-Cunibert à Cologne ; 6. (1831) Les monuments historiques du nord-ouest de la France ; 7. (1833) Le musée de l’Hôtel de Cluny ; 8. (1861) De l’orfèvrerie religieuse au Moyen Âge ; 9. (1847) L’art et l’archéologie ; 10. (1859) M. Charles Lenormant.
- III. Temps modernes : la peinture en Italie, en France et aux Pays-Bas. 1. (1850 & 1862) Raphaël à Florence ; 2. (1841 & 1864) Eustache Le Sueur ; 3. (1860) Les peintres flamands et hollandais ; 4. (1826) J.-L. David ; 5. (1842) Paul Delaroche ; 6. (1858) Ary Scheffer ; 7. (1862) La Chapelle des Saints-Anges par Eugène Delacroix ; 8. (1853) De la peinture murale. Peintures de Saint-Vincent de Paul et de l’hôtel de ville. V.
- IV. Temps modernes : arts divers, musique religieuse, musique dramatique. 1. (1828) De la théorie des jardins ; 2. (1827) Des nielles, et de l’origine de la gravure en taille-douce ; 3. (1856) Marc-Antoine Raimondi ; 4. (1851) Les arts et les artistes en France au XVIe siècle. Les Clouet ; 5. (1863) Un tableau attribué à François Clouet ; 6. (1852) Essai sur les anciennes notations musicales de l’Europe ; 7. (1854) Histoire de l’harmonie au Moyen Âge ; 8. (1860) Nouvelle explication des neumes ; 9. (1825) De la musique théâtrale en France ; 10. (1826) De l’harmonie pratique et de l’harmonie scientifique ; 11. (1827) Ch. M. de Weber ; 12. (1828) La musique mise à la portée de tout le monde ; 13. (1828) Rossini et l’avenir de la musique.
- Le Louvre et le Nouveau Louvre, avec un plan du Louvre aux différents âges. Paris : C. Lévy, 1882 (d’abord paru dans la Revue contemporaine en 1852).
Articles
- « Le Salon de 1827 ». Le Globe, V, n° 95, 10 novembre 1827 ; VI, n° 13, 22 décembre 1827 ; n° 30, 6 février 1828 ; n° 55, 3 mai 1828.
- « Des monumens de Paris ». Revue française, mars 1838. Pub. en plaquette par P. Dupont, Paris, 1838.
- « Peintres modernes de la France : Ary Scheffer ». Revue des deux mondes, 1er octobre 1858, p. 481-516.
- « La Chapelle des Saints-Anges à Saint-Sulpice. M. Eugène Delacroix ». Revue des deux mondes, 1er avril 1862, p. 703-716.
- « La Collection Campana ». Revue des deux mondes, 1er septembre 1862, p. 164-188.
- « Les Mosaïques chrétiennes des basiliques et des églises de Rome ». Journal des savants, décembre 1862, janvier, juin et août 1863.
- « De l’enseignement des arts du dessin ». Revue des deux mondes, 1er novembre 1864. Repris dans Débats et Polémiques. À propos de l’enseignement du dessin – Louis Vitet, Eugène Viollet-le-Duc. Suivi de « L’enseignement des beaux-arts. Il y a quelque chose à faire » par Eugène Viollet-le-Duc. Paris : École nationale des beaux-arts, 1984.
Bibliographie critique sélective
- Sainte-Beuve Charles-Augustin. – « Réception de M. Vitet par M. le comte Molé ». Revue des deux mondes, 1er avril 1846, p. 126-133
- Sainte-Beuve Charles-Augustin. – Portraits littéraires, t. III. Paris : Garnier frères, 1862-1864 (nouv. éd. rev. et corrigée), 3 vol., p. 421.
- Chevrier Maurice. – M. Vitet de l’Académie française. Paris : Jouaust, 1869.
- Guizot François. – « M. Vitet. Sa vie et ses œuvres ». Revue des deux mondes, 1er mars 1874, p. 33-65.
- Colincamp Ferdiand. – Louis Vitet, Un vrai spiritualiste. Paris : Charles Douniol et Cie, 1874 (extrait du Correspondant).
- Sauzet Paul. – Hommage à la mémoire de Ludovic Vitet, associé de l’Académie des sciences, lettres et arts de la Ville de Lyon. Lyon : association typographique, 1874.
- Champier Victor. – « Variétés. Portraits de critiques d’art ». Le Moniteur universel, février 1878.
- Lettres de Mérimée à Ludovic Vitet, introd. et notes par Maurice Parturier. Paris : Plon, 1934 ; rep. en fac-similé éd. 1934, avant-propos de Françoise Bercé. Paris : éd. du CTHS, 1998.
- Paul Léon. – La Vie des monuments français. Destruction, restauration. Paris : A. et J. Picard et Cie, 1951, p. 188-193.
- De l’enseignement des arts du dessin en France. Paris : J. Claye, 1864. Extrait de la Revue des deux mondes, livraison du 1er novembre 1864.
Sources identifiées
Pas de sources recensées à ce jour
En complément : Voir la notice dans AGORHA