La vente de la collection Jacques Doucet, en 1912, a marqué les esprits pour avoir été la vente la plus chère de son temps, avec 13 884 460 francs d’adjudications. Mais la « vente du siècle » comme la surnommèrent certains contemporains eut bien d’autres conséquences, notamment sur la régulation du marché de l’art. C’est ce qu’expose Sébastien Quéquet dans son essai paru dans la monographie Jacques Doucet, collectionneur et mécène, un ouvrage qui vient d’enrichir les collections en libre accès de la bibliothèque.

En 1912, Jacques Doucet se sépare de l’essentiel de sa collection d’art du XVIIIe siècle, fruit de près de quatre décennies d’acquisition. Les raisons de cette vente ont fait couler beaucoup d’encre : est-ce suite à une peine de cœur que le couturier disperse l’œuvre d’une vie pour se consacrer désormais à l’art de son temps ? Bien que très débattues, les raisons intimes de cette dispersion sont certainement moins intéressantes que les conséquences qu’elle eut sur le marché de l’art français.

De nouvelles pratiques de vente

La dispersion de la collection XVIIIe de Jacques Doucet avait tout pour faire l’événement : composée d’œuvres de grande qualité, aux provenances prestigieuses, elle était déjà bien connue du grand public puisque le collectionneur avait depuis toujours généreusement ouvert ses portes aux chercheurs et amateurs. Aussi les œuvres qu’il possédait étaient pour beaucoup déjà publiées.


Anonyme, Grand salon de l’hôtel de la rue Spontini, 1911, photographie, collections Jacques Doucet

Mais cela ne suffisait pas à l’ambition de Doucet. En faisant de sa vente un moment fastueux de la vie du marché de l’art, le couturier entendait affirmer son statut de collectionneur éclairé. Pour ce faire, il ne négligea aucun aspect et assura à la vente une publicité importante. L’élément le plus remarquable de cette publicité consistait en la publication d’un somptueux catalogue de vente illustré en trois volumes, beaucoup plus ambitieux que ce qui se pratiquait alors, puisqu’investi d’une dimension scientifique. Les meilleurs spécialistes, éminents historiens de l’art et conservateurs de musée s’attachèrent avec une grande rigueur à la rédaction des notices. Eux-mêmes attendaient beaucoup de cette publication, dont ils espéraient qu’elle fasse école.

De la « Valse des millions » aux lois de préemption

La qualité du catalogue contribua sans conteste à faire grimper les prix, comme tout le battage médiatique qui accompagna la vente, relayée dans les journaux comme un événement mondain.

Ahurissante par le montant total des adjudications (13 884 460 francs frais inclus), la vente suscita les polémiques, notamment sur les honoraires perçus par les commissaires priseurs (6 % du montant de la vente), mais surtout, sur le poids des collectionneurs et marchands américains, qui, outre qu’ils faisaient monter les prix, emportaient les œuvres loin du territoire national. L’importance de la vente accentua un sentiment de dépossession du patrimoine national, accélérant les débats autour de la loi sur les monuments historiques : peut-être fallait-il classer et protéger les objets mobiliers pour éviter leur départ pour l’étranger ? En 1913, la loi est adoptée. Sept ans plus tard sera également mis en place le droit de préemption, achevant de mettre en place les ressorts juridiques du patrimoine national.


Première page du catalogue de vente de la collection Jacques Doucet, 1912, bibliothèque de l’INHA. Cliché Gallica

Des 13 millions de bénéfices, Jacques Doucet consacrera une grande partie à la création de la Bibliothèque d’art et d’archéologie (aujourd’hui bibliothèque de l’Institut national d’histoire de l’art) et au soutien des artistes contemporains.

Johanna Daniel

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