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Un laboratoire de l’actualité esthétique
Mis à jour le 5 mai 2021
Les trésors de l'INHA
Auteur : Guy Mayaud
Un nouveau regard sur le fonds d’archives de Louis Vauxcelles à l’INHA
Louis Vauxcelles (1870-1943), de son vrai nom Louis Mayer, l’homme qui nomma les « Fauves » lors de leur intrusion dans l’art contemporain au Salon d’automne de 1905, demeure sans doute l’un des critiques d’art les plus prolifiques des quarante premières années du XXe siècle. Journaliste critique célèbre et influent, bientôt couvert d’honneurs, il fut entouré et estimé, quoique souvent bousculé, par les principaux artistes de son temps, ceux dont le nom a résisté au temps et les autres.
Ce brillant dehors fait un peu oublier l’homme de travail. La bibliothèque de l’INHA conserve aujourd’hui son très volumineux fonds d’archives, qui vient de faire l’objet d’une description renouvelée. Quel bilan peut-on en faire ?
Pierre Choumoff, Louis Vauxcelles, tirage photographique, années 1920-1930. Paris, bibliothèque de l’INHA, Archives 80/209/2. Cliché INHA
Le devenir du fonds
Les archives de Louis Vauxcelles seraient entrées dans les collections de la Bibliothèque d’art et d’archéologie au cours des années 1960. En l’absence de trace écrite, cette supposition est fondée sur l’analyse du matériel de conditionnement de certains dossiers. Il se pourrait toutefois que ce premier traitement ait été fait longtemps après l’entrée dans les collections. Il ne semble pas, après recherches, qu’il existe aujourd’hui des ayant droits de Vauxcelles, sa fille unique Marianne étant décédée six ans avant lui.
Ce fonds considérable (215 boîtes occupant 23 mètres linéaires) couvre toute la période d’activité du critique, de 1893 à 1943, et a été méthodiquement alimenté par lui. Son classement actuel semble être celui adopté par Vauxcelles lui-même à l’origine. Cet ensemble avait probablement été d’emblée considéré par Vauxcelles comme un outil de travail fonctionnel. Sa logique interne a par conséquent conservé tout son sens, sans altération postérieure. On y décèle sa pensée au travail, analytique et prospective.
Un laboratoire laissé en l’état
Ce fonds nous a donc été laissé à peu près tel quel par son producteur, organisé en trois séries : « Écoles étrangères anciennes et modernes », « École française » (actualité artistique, dossiers biographiques d’artistes, production personnelle) et « Thèmes transverses » (titre reconstitué). Une quatrième série a probablement été constituée au moment de sa mort avec quelques souvenirs et documents personnels, et quelques œuvres graphiques, probablement extraites de leurs dossiers d’origine.
Cette structure présente l’avantage d’être assez souple et simple pour enrichir des sous-ensembles au fil des jours, et d’en créer de nouveaux si nécessaire. Elle permettait également à Vauxcelles d’organiser un classement assez précis de ses productions et des éléments nécessaires à sa documentation. Sa génération découvrait les reproductions d’œuvres d’art en masse grâce à la photogravure. C’est ainsi toute une mémoire visuelle qu’il thésaurisait et classait dans ses archives. Beaucoup d’images découpées dans la presse ou dans des publications d’art ont été ainsi classées et conservées pour alimenter le travail du critique. Les chemises et les dossiers d’origine, annotés, parfois étiquetés, ont été soigneusement conservés pour témoigner du signalement efficace (d’ailleurs préservé dans l’instrument de recherche) qu’utilisait Vauxcelles. Des annotations ou des bordereaux conservés sur les coupures de presse, qui constituent la plus grande partie du fonds, fournies au journaliste par une société de dépouillement quotidien de la presse, l’Argus de la presse, laissent à penser que le critique – ou son secrétaire – les classait dès leur lecture.
Louis Vauxcelles, dossier « Musée de la voiture ». Paris, bibliothèque de l’INHA, Archives 80/196/2/2. Cliché INHA
Une mise en valeur
Toutefois, un petit nombre de chercheurs ont eu l’occasion d’affiner le classement de certains ensembles entre 2009 et 2012, d’une manière thématique et chronologique. Christian Lassalle, préfacier d’une réédition du Fauvisme de Louis Vauxcelles, est notamment intervenu sur certaines sections, quoique peu nombreuses.
Le récent travail mené sur le fonds entre 2020 et 2021 avait d’abord pour objet d’intégrer les données de description dans l’outil de catalogage Calames, catalogue des archives et manuscrits conservés par les institutions de l’enseignement supérieur, et de les indexer. Ces ensembles de documents, dont la description est dès lors mieux organisée et hiérarchisée, peuvent désormais être dépouillés avec des outils informatiques conformes à leur nature spécifique d’archives.
Ce travail d’inventaire dans Calames permet au chercheur d’utiliser des modalités précises de recherche au sein du fonds. Il a créé les conditions d’une recherche avancée : de très nombreux catalogues d’exposition, souvent associés d’une manière ou d’une autre à des cartons d’invitation, peuvent ainsi être cherchés par leur titre ; par ailleurs, la recherche par genre(s), forme(s) et fonction(s) permet de sélectionner des listes de documents imprimés ou de documents iconographiques.
Une autre piste de recherche s’ouvre également. Vauxcelles était connu pour ses comptes rendus célèbres du Salon d’automne ou du Salon des indépendants : désormais une recherche par date est possible, non seulement pour retrouver les dossiers relatifs à un Salon précis, mais également pour obtenir des résultats de recherche concernant les travaux, correspondances, notes et manuscrits produits ou reçus lors de la période souhaitée. La possibilité est ainsi offerte de contextualiser les interactions et le travail menés par le critique lors des événements majeurs de sa vie intellectuelle.
Les données présentes dans Calames étant hiérarchisées, dans une arborescence allant du niveau du fonds à celui du dossier, l’affichage du résultat d’une recherche propose non seulement la description d’un dossier, mais également sa situation au sein du classement du fonds. Vu l’état de conservation de ce dernier, cette situation traduit la qualité et l’exploitabilité future que lui attribuait Vauxcelles. Ainsi, le document, outre sa valeur, prend une signification par sa situation au sein d’un ensemble qu’il contribue également à éclairer.
Extrait de l’inventaire du fonds Vauxcelles de la bibliothèque de l’INHA sur Calames.
De plus, l’indexation fine – à l’aide des balises EAD (langage informatique de l’archivistique) – menée sur ce fonds a alimenté un index national de noms de personnes (auteurs, sujets, etc.), d’institutions, d’associations et de lieux. L’auteur ou le destinataire d’une lettre, un dossier de coupures de presse ou de notes relatif à un artiste, à une société artistique ou à une institution liée au monde artistique apparaîtront ainsi dans une requête menée sur le fonds Vauxcelles à l’INHA, mais aussi bien une requête menée sur les fonds d’archives et de manuscrits conservés dans les institutions de l’enseignement supérieur en France : l’intérêt de la communauté des chercheurs rejoint dès lors un effort significatif de valorisation d’un fonds vaste et un peu méconnu.
Pour autant, les documents n’y sont pas décrits à la pièce. Vauxcelles, critique des plus prolifiques, produisait parfois plus d’un article par jour et beaucoup paraphrasaient les plus importants d’entre eux. Ces coupures de presse ont été conservées en liasses rassemblées par date ou par thème par Vauxcelles en personne. Les articles eux-mêmes pouvant être retrouvés par ailleurs (journaux désormais en grande partie numérisés), ce sont les catégories créées par Vauxcelles pour les classer qui présentent le plus d’intérêt.
Quelques développements possibles
Un second objet de ce chantier était d’inventorier une quarantaine de boîtes qui n’avaient pu être traitées jusqu’à présent, malgré leur continuité et leur complémentarité avec les précédentes.
L’enjeu de l’actualité
C’est d’abord la sensibilité de Vauxcelles aux enjeux de l’actualité qui apparaît sous un jour renouvelé et complété.
En dépit de sa réputation de conservatisme, Vauxcelles s’intéresse à la place des femmes dans les arts graphiques. Des dossiers consacrés à l’Union des femmes peintres et sculpteurs, à la Société des femmes artistes, aux femmes artistes de France ou étrangères, du XVIIIe siècle aux années 1940, prouvent à tout le moins son intuition que les femmes artistes constituaient un axe d’étude pour la critique ou l’histoire de l’art ; en témoignent les annotations des chemises d’origine des dossiers.
Louis Vauxcelles, dossier « Condition de la femme artiste, femmes d’artistes, généralités art féminin ». Paris, bibliothèque de l’INHA, Archives 80/153/2. Cliché INHA
On ignore si Vauxcelles nourrissait des convictions féministes, mais il a tout au moins estimé pertinent de consacrer aux femmes artistes une sous-série spécialisée (Archives 80/150-154, voir aussi Archives 80/166/5), propre aujourd’hui à être exploitée par des chercheurs. Coupures de presse, notes manuscrites, catalogues d’expositions (dont peu sont signalés dans le SUDOC) ou cartons d’invitation y constituent probablement un gisement d’informations dignes d’intérêt.
Sa sensibilité à l’actualité le pousse également à étudier le Salon des humoristes (Archives 80/51 ; Archives 80/176-177), « l’art de l’automobile et de l’aviation » (Archives 80/196), ou « l’art et la science » (Archives 80/197) : retenons-en que les catégories traditionnelles de la philosophie de l’art ne prévalent pas absolument dans l’univers esthétique de Vauxcelles et que ce dernier guette toujours les nouveaux agirs et les nouvelles énergies de la société qu’il se propose d’informer.
De nouveaux documents
Par ailleurs, des œuvres graphiques, jusqu’ici laissées dans l’ombre, ont été mises au jour. Elles viennent s’ajouter à celles disséminées dans le fonds, désormais indexées par technique.
Deux boîtes de grand format (Archives 80/214-215) conservent une vingtaine d’estampes et le même nombre d’œuvres graphiques diverses du XXe siècle. Beaucoup de ces documents étaient pliés et avaient peut-être été insérés dans ses dossiers d’artistes par Vauxcelles ; on peut aussi conjecturer qu’il s’agit des vestiges d’un début de collection d’art (ébauches, esquisses, états d’estampes…). Certaines de ses œuvres sont signées, souvent dédicacées au critique. D’autres restent non signées. Les attributions établies ont été précisées dans l’instrument de recherche, mais certaines restent encore à éclaircir.
Paul Hogg ou Albert Marquet (?), Paysage d’hiver, huile sur carton, 54,4 x 45,5 cm. Paris, bibliothèque de l’INHA, Archives 80/214/20 GF. Cliché INHA
On trouvera également dans la quatrième série de nouveaux portraits photographiques de Vauxcelles, quelques photographies d’événements qui restent à identifier, quelques photographies familiales.
En définitive, le fonds d’archives Vauxcelles, dans l’état où nous le connaissons aujourd’hui, c’est-à-dire encore trop peu, laisse à penser deux choses :
- Ces archives du critique – qui se fait parfois historien d’art – constituent en l’occurrence un laboratoire de travail et de création encore fonctionnel.
- Ce laboratoire s’est construit et organisé méthodiquement pour décrire et analyser des conceptions actuelles en cours de construction.
Guy Mayaud, service du Patrimoine
En savoir plus
- Notice « auteur » de Vauxcelles et notices liées à la Bibliothèque nationale de France
- Notice de Malcolm Gee dans le Grove Art Online (accès authentifié catalogue bibliothèque INHA)
- Louis Vauxcelles, Le Fauvisme, préface et repères bibliographiques de Christian Lassalle, Paris, Olbia, 1999. Libre accès INHA : ND548.5.F3 VAUX 1999, Magasin central niveau 1.