En mai 2011, la bibliothèque de l’Institut national d’histoire de l’art acheta à la galerie Saphir un coffret contenant un choix d’œuvres d’art appartenant à la collection Sommariva, représentées en camées de plâtre (Ms 808). Il n’est pas dans les habitudes de la bibliothèque d’acquérir des documents qui tiennent plus de l’objet que du livre ; mais la nature particulière de ce coffret, qui constitue une sorte de catalogue illustré d’une collection célèbre, emporta la décision.

Avec le néoclassicisme, à la fin du XVIIIe siècle, le goût des intailles et camées à l’antique atteignit son paroxysme. Les graveurs italiens s’en firent une spécialité. Parmi les plus connus, les Paoletti, Bartolomeo (1757-1834) et son fils Pietro (1801-1847), installés 49 piazza di Spagna à Rome, formèrent un recueil de plus de 7000 intailles en verre dont ils tiraient des moulages en plâtre, vendus en coffrets. En forme de livres, ces coffrets proposaient un choix d’œuvres d’art célèbres d’Europe, « rangées comme des fondants dans la boîte d’un grand confiseur », pour reprendre la formule de Marguerite Yourcenar (Archives du Nord). C’était un souvenir très prisé des voyageurs fortunés.

Anonyme, Portrait du comte Sommariva
Anonyme, Portrait du comte Sommariva, gravé par Giovanni Beltrami, verre blanc, bibliothèque de l’INHA, Ms 808. Cliché INHA

Avocat d’extraction modeste, le comte Giambattista Sommariva (v. 1760-1826) avait pris le parti de la France lorsque celle-ci eut fait main basse sur l’Italie du Nord. Sa position avantageuse dans le régime instauré par les Français lui permit d’amasser une fortune considérable. Pourtant, sa faveur auprès de l’occupant ne dura pas au-delà de 1802. Mais sa légende noire d’arriviste et de profiteur sans scrupules le poursuit encore en Italie, bien que des chercheurs italiens s’efforcent depuis trente ans de le réhabiliter. Disgracié mais riche, Sommariva décida de constituer une collection d’œuvres d’art et de faire œuvre de mécène.

Sous la Restauration, sa collection comptait parmi les plus réputées du continent. Répartie entre la villa Carlotta à Tremezzo et ses demeures de Paris, Bruxelles, Rome et Milan, elle rassemblait à la fois des œuvres antiques et anciennes et des œuvres contemporaines, commandées aux meilleurs artistes français du moment : David, Guérin, Prud’hon, Girodet-Trioson. Sommariva commanda également plusieurs statues à Canova.

Non content de collectionner, il fit reproduire sa collection à la fois en peinture sur émail et, en guise de somptueux catalogue illustré, en intaille sur pierres fines (agate, calcédoine, cornaline, cristal de roche, sardoine, topaze), gravées par les maîtres les plus habiles. « On peut dire sans exagération », écrivait la comtesse de Genlis en 1820, « que l’ingénieux possesseur de ce cabinet a su employer tous les arts pour multiplier et pour immortaliser cette collection ».

Museo di S. E. il sig. cont. Sommariva
“Museo di S. E. il sig. cont. Sommariva”, Rome, Bartolomeo et Pietro Paoletti, [1822-1834], n° 1-19, bibliothèque de l’INHA, Ms 808. Cliché INHA

“Museo di S. E. il sig. cont. Sommariva”
“Museo di S. E. il sig. cont. Sommariva”, Rome, Bartolomeo et Pietro Paoletti, [1822-1834], n° 20-36, bibliothèque de l’INHA, Ms 808. Cliché INHA

Tout naturellement, les Paoletti intégrèrent les meilleurs morceaux de la collection Sommariva à leur recueil d’intailles, comme en témoigne ce coffret. Ses 36 moulages en plâtre ont été tirés d’après des copies des intailles réalisées pour le comte par Giacomo Pichler (1778-1815) et surtout Giovanni Beltrami (1777-1854). A L’Amour et Psyché de David (1817), au centre de la composition du recto, répond au verso L’Aurore et Céphale de Guérin (1810). On remarque aussi, entre autres, les Canova préférés du comte, Terpsichore (1813) et Palamède (1805). On prétend que Sommariva aurait commandé le Palamède pour rappeler comment Napoléon l’avait injustement traité, de même qu’Ulysse avait fait condamner Palamède à mort sur de fausses accusations.

 Canova, Palamède, 1805
Le Palamède d’Antonio Canova (1805) à la villa Carlotta, 2016. Cliché Elliott Brown
Giacomo Pichler, Palamède, 1805
Giacomo Pichler, Palamède, intaille d’après Canova (1805), épreuve en plâtre, bibliothèque de l’INHA, Ms 808, n° 19. Cliché INHA

La présence de La Querelle entre Achille et Agamemnon, peinte par Andrea Appiani après 1806 et dernière œuvre du coffret à avoir été gravée par Beltrami, en 1822, permet de dater l’ensemble d’entre 1822 et 1834, date de la mort de Paoletti père.

Après la mort de Sommariva (1826), la partie parisienne de sa collection, située 4, rue Basse du Rempart (aujourd’hui boulevard de la Madeleine), fut ouverte au public. Elle fut dispersée en vente publique treize ans plus tard (1839). Quelques œuvres importantes, dont le Palamède, sont demeurées dans le cadre idyllique de la villa Carlotta, sur le lac de Côme. Quant à la collection d’intailles Paoletti, elle fut acquise par le museo di Roma en 1931 et s’y trouve toujours.

On connaît un certain nombre de suites de coffrets de la collection Paoletti incluant un volume consacré au « Museo Sommariva ». La quantité des œuvres et leur arrangement varient d’un exemplaire à l’autre. Celui de la bibliothèque a la particularité d’être plutôt ancien, de grand format (32 cm de haut), d’avoir été conçu comme un volume indépendant (le nom des Paoletti ne figure pas au dos, comme sur la plupart des autres exemplaires), et de comporter deux portraits de Sommariva et un portrait de son fils Luigi, qui ne figure généralement pas dans les autres exemplaires. Surtout, il est accompagné de douze des intailles en verre incolore ayant servi à sa réalisation, et de deux intailles supplémentaires, dont un troisième portrait de Sommariva gravé par Giovanni Beltrami (ci-dessus). Comment expliquer l’existence de doubles des intailles conservées dans la collection Paoletti ? La question reste pour l’heure posée.

Jérôme Delatour, service du patrimoine

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