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Le fonds d’archives photographiques Hélène Adant
Mis à jour le 1 juillet 2020
Les trésors de l'INHA
Une photographe entre la France et la Russie
Le fonds d’archives photographiques Hélène AdantUne photographe entre la France et la Russie
L’œuvre photographique d’Hélène Adant (1903-1985) se distingue principalement par des productions de photojournalisme, de la photographie professionnelle réalisée à l’occasion d’événements publics ou mondains, ainsi que par une riche collection d’images ayant pour sujet l’histoire de l’art. Le fonds conservé à l’INHA présente ainsi des ressources documentaires témoignant de la vie artistique et intellectuelle d’une certaine époque, et offrant notamment un aperçu intéressant de l’histoire des relations culturelles qui existèrent entre la France et la Russie soviétique dans l’après-guerre. S’y ajoutent des témoignages sur les dernières années de la vie du peintre Henri Matisse.
Acquis par l’INHA en deux étapes, en 1990 et 1991, le fonds Hélène Adant (Archives 58) provient d’un don effectué par sa cousine Lydia Delectorskaya. L’entrée de ce fonds correspond à un moment où, après le décès d’Hélène Adant en 1985, Lydia Delectorskaya va s’occuper de léguer les archives qu’elle conserve à des institutions publiques. Sans que l’on sache s’il s’agit de la volonté de la donatrice ou d’un accord entre les deux institutions, les archives vont être séparées entre la Bibliothèque Kandinsky pour les fonds manuscrits et une partie des photographies (portraits d’artistes, vernissages d’exposition, vie d’Henri Matisse, etc.), et la Bibliothèque d’art et d’archéologie pour le reste du fonds photographique. Nous avons pu recueillir des informations plus précises sur le parcours d’Hélène Adant grâce notamment au fonds Lydia Delectorskaya de la Bibliothèque Kandinsky qui contient les archives personnelles de la photographe, en particulier de nombreux échanges épistolaires mais aussi des documents administratifs.
De la Russie à la France
L’histoire d’Hélène Adant a été largement éclipsée par celle de sa cousine Lydia, secrétaire et dernière muse d’Henri Matisse, qui devint après la mort du maître une actrice importante des relations artistiques entre la France et l’URSS. Mais les destins de ces deux femmes sont inséparables, elles vivront ensemble plusieurs décennies et seront à chacune redevables de l’orientation de leur parcours.
Henri-Georges Adam, Portrait de la première épouse de l’artiste, Elena Anatolievna Adam-Mosolova, huile sur toile, 25,8 x 21,7 cm, années 1930 ?. Musée des beaux-arts Pouchkine, Moscou, don de Lydia Delectorskaya.
D’après le registre de l’état-civil de l’église de Saint-Nicolas de Novo Kharbin (Mandchourie), Elena Mosolova est née le 26 juillet et baptisée le 31 août 1903, fille d’Anatole lui-même fils d’Alexandre Mosolov, lieutenant de cavalerie en retraite, membre de la noblesse héréditaire du département de Voronej, et de son épouse légitime, Antonina, fille de Paul Tikhomirov, tous deux de confession orthodoxe. Elle appartient donc à la noblesse russe et passe son enfance et son adolescence à Kharbin, une ville coloniale de l’Extrême-Orient russe, actuellement située en République populaire de Chine. Elle y entame des études artistiques, exposant même quelques peintures lors d’expositions municipales en 1924-1925. En 1926 elle quitte l’URSS et s’installe à Paris, où elle s’inscrit à l’École des beaux-arts pour y étudier la peinture. Là, Elena fait la connaissance d’Henri-Georges Adam (1904-1967), qu’elle épousera en 1930.
Elena Mosolova réside d’abord dans un foyer pour jeunes filles, 6 square Port-Royal. En 1928, avec l’aide d’Henri-Georges Adam, elle fait venir sa mère Antonina qui s’est remariée, après le décès du père d’Elena, à Ivan Achikmine, ainsi que sa cousine Lydia Delectorskaya alors âgée de 18 ans, qui est orpheline. Après avoir déménagé avec ses parents et sa petite cousine à Courcelles-sur-Seine, Elena s’installe avec les Anikchmine, 4 rue du Fort à Montrouge, où le mariage d’Elena et Henri-Georges sera célébré. Par la suite, les Adam habiteront dans un atelier impasse du Maine, parmi ceux qui seront détruits lors du percement de la rue Antoine Bourdelle. Les archives de l’INHA conservent une collection unique de clichés pris par Elena des tableaux peints par Henri-Georges Adam au cours des années 1920-1930, œuvre picturale largement méconnue.
Hélène Adant, « École des beaux-arts, sortie de l’atelier, condisciples de H. G. Adam », tirage noir et blanc. Paris, bibliothèque de l’INHA, collections Jacques Doucet, Archives 58/4/4. Cliché INHA.
Elena et Henri-Georges adhèrent tous les deux au parti communiste en 1931, avant de s’en retirer dès 1934, mécontents des agissements de Staline. Ils furent membres de l’Association des écrivains et artistes révolutionnaires (AEAR), qui avait été fondée à Moscou sous le patronage de Maxime Gorki en 1927, avant qu’une antenne française soit créée en 1932 par Paul Vaillant-Couturier, Louis Aragon, Léon Moussinac – ce dernier fondateur en 1932 de Regards, revue pionnière du photojournalisme à laquelle collaborera plus tard Hélène Adant. Les Adam participent au Salon des peintres révolutionnaires, organisé en 1934. Louis Aragon et Paul Vaillant-Couturier sont des amis et hôtes réguliers. Henri-Georges Adam risque sa situation de fonctionnaire, professeur de dessins dans les écoles en exposant à la poste de Versailles son œuvre anticolonialiste le Riz indochinois illustré de textes de Louis Aragon et de journaux de guerre, avant de créer seize illustrations pour le pamphlet anti-religieux Aux Enfants rouges – Eclairez votre religion du même Aragon.
Une carrière de photographe professionnelle
En 1937, le couple Adam se sépare. C’est à cette époque, qu’Elena Mossolova commence une carrière professionnelle de photographe et prend le nom d’Hélène Adant. Elle s’installe avec sa cousine Lydia dans un appartement de quatre pièces au 90 du boulevard de Port Royal dans le 5e arr., dont l’une est aménagée en atelier de photographie, comme le montre la mention au dos des photographies. Le fonds de l’INHA renferme des témoignages intéressants sur la vie artistique et intellectuelle des années 1950-1960. Tout d’abord il faut mentionner l’ensemble de tirages dédié à Henri Matisse, témoignages des dernières années de la vie du peintre, à la fin des années 1940 et au début des années 1950. On remarquera les photos de Matisse au travail dans la chapelle du Rosaire de Vence, ou les séances de pose avec son modèle haïtien Carmen.
Hélène Adant, « H. Matisse à l’atelier du lithographe Mourlot », tirage noir et blanc. Paris, bibliothèque de l’INHA, collections Jacques Doucet, Archives 58/4/3. Cliché INHA.
Photographe des événements mondains, Hélène Adant immortalise au cours des années 1950 et 1960 plusieurs figures majeures de la scène artistique, comme Marc Chagall ou Fernand Léger. L’épouse de ce dernier, Nadia Léger (1904-1982), russe et communiste, semble avoir joué un rôle important dans l’intégration des deux cousines aux milieux artistiques parisiens de cette époque. Hélène Adant collabore régulièrement avec le musée des Arts décoratifs, dirigé par François Mathey (1917-1993), immortalisant des vernissages d’expositions.
Elle produit de nombreuses séries portant sur des monuments historiques de différentes régions de France, de Russie ou encore d’Italie, pour des reportages publiés dans la presse, ou des éditions de livres d’art. Elle travaillera notamment avec l’imprimeur-lithographe Fernand Mourlot. On mentionnera enfin sa collaboration avec l’historien de l’art russe Mikhail Alpatov, pour lequel elle effectuera une série de clichés d’icônes de la galerie Tretiakov, avant de travailler avec lui sur le livre-album Matisse publié en 1969 aux éditions Iskusstvo à Moscou.
Les relations franco-russes en images
Hélène Adant, « Un des 9 maisons-hautes de Moscou construites récemment dans l’esprit de l’architecture des tours du Kremlin », tirage noir et blanc. Paris, bibliothèque de l’INHA, collections Jacques Doucet, Archives 58/1/2. Cliché INHA.
Le fonds de l’INHA conserve également les reportages photographiques qu’elle a effectués pour des revues comme France-URSS et Regards, proches du parti communiste. En 1955, elle réalise un reportage sur Berlin-Est (Berlin aujourd’hui). La même année, elle accompagne le voyage des touristes français en URSS sur le SS Batory (voir Archives 58/1/1-5), du 29 août au 4 septembre 1955, à Léningrad puis Moscou. Ce voyage marqua les esprits, Roland Barthes y consacre un chapitre dans Mythologies (1957).
Dans ce contexte de réouverture au monde, caractéristique du début du mandat de Nikita Khrouchtchev, Hélène Adant immortalise le premier voyage effectué après la mort de Staline par des touristes soviétiques à l’étranger, en 1956, sur le paquebot Pobeda (voir Archives 58/1/6-7). Cette croisière compte en son sein de nombreux écrivains majeurs de la littérature soviétique du milieu du XXe siècle, que l’on peut identifier sur les photos conservées à l’INHA : Konstantin Paoustovski, auteur de notoriété internationale dans les années 1960 et figure de premier plan de la littérature du Dégel, mais aussi Daniil Granine, le poète du Daghestan Rasul Gamzatov, Alexandre Réchétov (1909-1971), l’écrivain tchouktche Iouri Rytkheou, Sergey Orlov (1921-1977), Leonid Rakhmanov (1908-1988), Elena Katerli (1902-1958), Evgueni Schwarz. Konstantin Paoustovski relate ce voyage dans la nouvelle Mimoletnij Pariž [De passage à Paris] (1970) : il y décrit en détail sa rencontre avec Lydia Delectorskaya, qui deviendra la traductrice de ses œuvres en français. D’après Daniel Granine, qui raconte également ce séjour parisien dans la nouvelle Postupki lyubvi (2011), cette dernière, était venue elle-même trouver Paoustovski, en admiratrice. Granine décrit les détails de cette rencontre, sur un banc de la cour du Louvre, également immortalisée par Hélène Adant dans une photographie conservée à l’INHA.
Assis le long d’une balustrade dans la cour du Louvre, de gauche à droite : Daniel Granine, Lydia Delectorskaya, Konstantin Paustovskij, Elena Katerli, Leonid Rakhmanov ; tirage noir et blanc. Paris, bibliothèque de l’INHA, collections Jacques Doucet, Archives 58/1/8. Cliché S. Gaessler.
Durant les années 1960, Hélène Adant effectue plusieurs séjours en Russie, accompagnant notamment sa cousine Lydia, devenue traductrice, dans ses visites à l’intelligentsia russe de Moscou et de Léningrad. Elle y réalise des reportages photo sur l’architecture ancienne de nombreux sites de monastères et d’églises, destinés à illustrer des ouvrages d’histoire de l’art, mais aussi des reportages donnant à voir la Russie soviétique contemporaine, destinés notamment à la presse. On mentionnera dans le fonds de l’INHA les clichés qu’elle prend lors du dîner donné en l’honneur des 74 ans de l’écrivain Paoustovski à la Maison de l’Union des écrivains soviétiques en 1965. Elle se rend également à Taroussa, où se trouve la Datcha de l’écrivain et immortalise le deuxième séjour de Paoustovski à Paris, en décembre 1962. Les deux cousines noueront aussi à cette époque une amitié durable avec Irina Antonova, directrice du Musée Pouchkine de 1961 à 2013. Quand Antonova vient en France, pour notamment participer à des conférences à l’Unesco, elle se rend toujours chez Lydia et Hélène. Ces témoignages intimistes prennent sens pour l’histoire de l’art quand on sait qu’Irina Antonova fut l’artisane de l’intégration des œuvres d’Henri Matisse léguées au Musée Pouchkine par Lydia Delectorskaya.
Hélène Adant décède à Paris, le 15 février 1985, à l’âge de 81 ans. Elle est enterrée au cimetière russe de Sainte-Geneviève-des-Bois.
Stéphane Gaessler
département des Études et de la recherche
Références bibliographiques
- Irina Antonova (dir.), Lidiâ Delektorskaâ – Henri Matisse : vzglâd iz Moskvy [Lidya Delectorksaya – Henri Matisse : regard depuis Moscou] [exposition, musée d’Etat des beaux-arts Pouchkine], Moscou, Hudožnik i kniga, 2002.
- Daniil Granin, Pričudy moej pamâti [Miracles de ma mémoire], Moscou, OLMA Media Grupp, 2011.
- T. Karmazina, « K.G. Paustovskij v perepiske Lidii Delektorskoj i Leonida Rahmanova » [K.G. Paustovskij dans la correspondance de Lydia Delektorskaja et Leonid Rakhmanov], dans Mir Paustovskij, 2001, no 18, p. 134-138.