La présence imposante de Notre-Dame dans le paysage parisien, dont nous avons brièvement tracé l’évolution dans un premier article, s’affirme au gré de nombreuses estampes de la bibliothèque de l’INHA. Celles-ci décrivent la vie du quartier de la Cité ou relatent des événements historiques vécus dans le vaisseau de pierre.

La cathédrale dans la Cité

Au-delà de l’édifice religieux, Notre-Dame de Paris est un élément important du quotidien de l’île de la Cité, lieu de passage très fréquenté au Moyen Âge. À l’origine, sur ce qui est maintenant le parvis, il y avait un entrelacs d’habitations. Le réaménagement des abords de la cathédrale en facilitera l’accès. Lors de la construction de la cathédrale, le quartier se transforme en chantier. Les pèlerins et les malades sont accueillis à l’Hôtel-Dieu, qui se situait alors rive gauche. Il sera détruit sous Napoléon III et délocalisé rive droite, à son emplacement actuel.

De l’autre côté, rive droite, se trouvait la célèbre place de Grève, lieu des exécutions publiques. Israël Silvestre laisse un témoignage de ce lieu symbolique situé en face de l’ancien hôtel de ville. Certains artistes font de la cathédrale même, voire d’un détail architectural, le sujet de leurs estampes.

 

 

Mais nombre d’entre eux privilégient la vie du quartier, les petits métiers, le marché aux pommes, les rues alentour avec ses scènes de vie quotidienne. Les estampes donnent alors à la cathédrale non plus la place primordiale, mais une place de décor.

Jacques Beltrand, notamment, met en avant les métiers de la rue : un barbier exerce en plein air, sur le quai (Beltrand), la cathédrale sert de rideau de fond à la scène qui se joue. Avec Ernest-Marie Herscher, ce sont des brocanteurs qui négocient leurs marchandises à l’ombre de l’édifice. On rencontre aussi  les travailleurs-ouvriers, les transporteurs, comme dans l’estampe d’Edgar Chahine qui comporte une petite remarque sous la planche gravée, avec une échelle remontant du quai et un ouvrier portant une lourde charge. Ce lourd travail de déchargement est aussi le sujet de l’estampe du Tchécoslovaque Tavík František Šimon.

Pendant longtemps, les transports furent assurés par les seules forces animales et naturelles, en particulier par les rivières et les canaux, ces « chemins qui marchent », selon Blaise Pascal. Paris, premier port de France jusqu’au second Empire, étend ses implantations à l’est (ports de l’Hôtel de Ville, de la Râpée, du Gros Caillou). Traditionnellement, les ports les plus utilisés se situaient en amont de la ville, la navigation sur la Seine étant plus difficile en aval, eu égard aux nombreux ponts qui l’enjambent, aux moulins situés sur ses bords et aux barges ancrées le long des quais. L’activité portuaire remonte au Moyen Âge. Le roi attribue alors une partie du rivage à la hanse parisienne des marchands d’eau. Tout au long des siècles suivants, le site accueille une double activité d’approvisionnement et de marché. Le port de l’Hôtel de Ville, où la grève a laissé place à un quai de pierre, est situé en contrebas de la chaussée. Là se tient un marché de primeurs, en particulier de pommes et de poires pendant la saison des fruits d’hiver.

Les scènes de vie sur la Seine sont aussi souvent le sujet d’estampes où apparaît Notre-Dame, comme cette vue d’optique du début du XIXe siècle montrant des lavandières utilisant l’eau du fleuve. Louis Jou place au premier plan des personnes vaquant à diverses occupations le long des quais de la Seine, sans se soucier du joyau trônant derrière eux.

Les saisons passent sur Notre-Dame également avec la ville sous la neige chez František Šimon ou chez Auguste Lepère.

La cathédrale se découvre au détour d’une rue, d’une promenade avec l’Américaine Katharine Kimball, avec Jean-Hippolyte Marchand ou Herscher. Avec Marchand, Lepère ou encore Charles Jouas, elle émerge par-dessus les toits.

Paul-Emile Colin, La Crue de la Seine, gravure au canif sur buis de bout, 1907, bibliothèque de l’INHA, EM COLIN 18a. Cliché INHA

Enfin, ce bois de Paul-Émile Colin représente la crue de la Seine en 1907. Certes, en octobre 1907, le fleuve se livra à quelques exploits ; mais sans aucune mesure avec ce que connut la capitale trois ans plus tard, en 1910…

Parfois simple masse sombre, Notre-Dame sait se faire discrète, simple ombre à l’horizon dans une planche d’Henri Rivière, issue des 36 vues de la Tour Eiffel, ou même délicat filigrane comme dans Notre-Dame vue du quai de Montebello, d’Auguste Lepère.

La cathédrale, lieu de culte et symbole monarchique

Notre-Dame sait se faire discrète, et pourtant elle est un écrin grandiose pour la chrétienté : n’abrite-t-elle pas certains des instruments de la Passion ?

Nicolas Cochin, Ordre de la procession de la châsse de sainte Geneviève, burin, vers 1675, bibliothèque de l'INHA, OC 54. Cliché INHA

Lieu de culte

La cathédrale conserve en effet la couronne d’épines, un morceau de la croix et un clou, reliques de la Passion, objets présumés avoir servi à la crucifixion du Christ. Dès le IVe siècle, les récits des pèlerins mentionnent la vénération des instruments de la passion. Entre le VIIe et le Xe siècle, ces reliques sont progressivement transférées à Constantinople, à l’abri des pillages. En 1238, Baudouin II de Courtenay, l’empereur latin de Byzance, en difficulté financière, vend la couronne d’épines à Louis IX, futur saint Louis, et le 19 août 1239, les reliques arrivent en procession à Paris. Pour conserver ces reliques, il fait édifier un reliquaire monumental, la Sainte-Chapelle.

Durant la Révolution française, l’abbaye de Saint-Denis puis la Bibliothèque nationale hébergent les reliques. Suite au concordat de 1801, l’archevêque de Paris reçoit la couronne d’épines avec d’autres reliques. Elles sont déposées au trésor de la cathédrale le 10 août 1806 et placées sous la garde statutaire des chevaliers du Saint-Sépulcre de Jérusalem. Depuis l’incendie du 15 avril 2019, elles ont été déplacées pour être mises en sécurité car ces reliques continuent à exercer un pouvoir religieux fort sur la communauté des chrétiens.

Par ailleurs, depuis le « miracle des Ardents », fin miraculeuse d’une épidémie d’intoxication au seigle en 1130 juste après une procession des reliques de sainte Geneviève, patronne de Paris, et jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, de grandes processions des reliques de la sainte sont régulièrement organisées par les élites politiques et religieuses entre l’abbaye Sainte-Geneviève et la cathédrale Notre-Dame.

Symbole monarchique

Au VIIIe siècle, Charlemagne et ses successeurs reconnaissent à l’Église de Paris un statut particulier. Par la suite, les rois renforcent l’alliance entre l’Église et la monarchie, octroyant à l’abbaye de Saint-Denis et à la cathédrale de Paris des rôles primordiaux. Notre-Dame ce sera l’autre cathédrale des rois de France, après la basilique de Saint-Denis.

Une image forte de ce pouvoir royal peut se lire dans le nouveau maître-autel de la cathédrale. C’est en 1699 que Louis XIV décide de réaliser le « Vœu de son père » qui, lors de la naissance du dauphin, voulut placer la famille royale sous la protection de la Vierge. Sous la direction de son architecte Robert de Cotte, le chantier débute par la clôture de chœur et la destruction du jubé. En 1723, la Pietà de marbre blanc sculptée par Nicolas Coustou prend place dans la cathédrale. De chaque côté sont installés le priant en marbre de Louis XIII offrant sceptre et couronne à la Vierge, par Guillaume Coustou, et celui de Louis XIV en prière, par Antoine Coysevox.

Un siècle plus tard, en 1804, Paris est capitale d’Empire. Napoléon décide de célébrer son sacre à Notre-Dame. Un recueil de décorations exécutées dans la cathédrale et au Champ-de-Mars, d’après les dessins et sous la conduite de Charles Percier et Pierre Fontaine, architectes de l’empereur, permet d’en apprécier les fastes.

D’autres événements d’importance nationale ou européenne se déroulent dans la nef de Notre-Dame : les funérailles de Marie-Thérèse d’Autriche, reine de France, en 1683, les obsèques de Louis Ier et le rétablissement  sur le trône de Philippe V d’Espagne en 1724, les funérailles in absentia du même en 1746, pour n’en citer que quelques-uns. Les représentations de ces fêtes sont rassemblées dans un recueil de gravures de Charles Nicolas Cochin père et fils publié en 1756 . La pompe funèbre de Marie-Thérèse d’Espagne, dauphine de France, fut également célébrée à Notre-Dame, quelques mois après celle de son père.

Plus tard, bien après la séparation de l’Église et de l’État (1905), lorsqu’en 1944 Paris se libère, De Gaulle choisit Notre-Dame pour faire entendre le Te Deum de la Libération, le 26 août. Au même moment, des tireurs embusqués sur les toits alentour abattent des civils rassemblés sur le parvis. Lieu de culte donc, mais aussi de mémoire collective. La république considère que la cathédrale est le lieu pour célébrer de grands évènements nationaux, comme les funérailles de De Gaulle en 1970, de Mitterrand en 1996.

Cette promenade autour de Notre-Dame de Paris, au gré de diverses visions d’artistes, nous a permis de découvrir des graveurs de la collection de la bibliothèque de l’INHA souvent peu connus. « Ceci tuera cela » : le livre détruira l’architecture, prédisait Frollo, le prêtre du roman de Victor Hugo. Ne pouvons nous pas affirmer aujourd’hui qu’au contraire, grâce à l’imprimerie et à l’estampe, l’image d’une cathédrale partiellement disparue peut renaître à nos yeux ?

Nathalie Muller, service du Patrimoine