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Sidonie Lemeux-Fraitot et Anne-Louis Girodet-Trioson : entre cimaises et archives
Mis à jour le 28 avril 2021
Paroles
Auteur : Christine Camara, service des services aux publics
Sidonie Lemeux-Fraitot et Anne-Louis Girodet-Trioson : entre cimaises et archives
Sidonie Lemeux-Fraitot, spécialiste du peintre Anne-Louis Girodet-Trioson, participe à la saison 2 de La recherche à l’œuvre, le podcast de l’Institut national d’histoire de l’art, dont le deuxième épisode est en ligne. C’est l’occasion pour Paroles de lecteurs d’interroger cette chercheuse mi-montargoise, mi-parisienne, sur ses pratiques de la bibliothèque et les pépites qu’elle y a dénichées.
Vous, en quelques mots ?
Je m’appelle Sidonie Lemeux-Fraitot et suis actuellement responsable des collections du musée Girodet de Montargis. Docteur en histoire de l’art de l’université de Paris 1, j’ai soutenu une thèse sur le peintre Anne-Louis Girodet-Trioson et ses cercles culturels. Ironie du sort, ce sujet ne relevait pas à ce moment-là d’un choix personnel, mais m’avait été suggéré par un professeur averti… On me l’avait attribué pour ce qu’on appelait alors un DEA (diplôme d’études approfondies), aujourd’hui master 2. Je suis donc venue à l’histoire de l’art via les langues anciennes, latin et grec, puisque j’ai commencé par des études de lettres classiques qui m’ont amenée, à cause d’une valeur de grec que je n’arrivais pas à obtenir, à passer un diplôme universitaire en complément et à trouver ma voie : l’histoire de l’art !
De cette double formation, lettres classiques – histoire de l’art, j’ai gardé un goût du rapport poésie/peinture ou lettres et arts : d’une manière générale, c’est un point de vue qui m’intéresse beaucoup ainsi que sans doute aussi plus globalement les rapports des arts entre eux, que ce soient musique, peinture, poésie, écrits. Les écrits dans le tableau : voilà un sujet qui me passionne et avec Girodet, je suis particulièrement gâtée, parce que c’est un artiste très littéraire, idéal pour le cœur de ma recherche.
Sidonie Lemeux-Fraitot dévoilant une toile. Photo Stéphane Frachet/Le Parisien.
Votre fréquentation de la bibliothèque ?
La bibliothèque de l’INHA, je m’en souviens d’abord comme de la salle des Imprimés de la Bibliothèque nationale de France, parce qu’il faut avouer que pénétrer dans ce saint des saints, ce n’était pas donné tout de suite, mais seulement au bout d’un certain temps de recherche, cette étape était donc évidemment vécue comme une sorte de sacralisation de l’étudiant qui franchit un cap. Cela représente un rite initiatique que de pouvoir accéder à la salle Labrouste ! Et c’est vrai qu’aujourd’hui encore, en rentrant à chaque fois dans cette salle, j’ai cette petite fierté qui me pince le cœur en prenant conscience que j’ai le droit d’y aller : c’est inévitable ! Et puis il y a cette ambiance lumineuse diffusée entre autres par les coupoles, très particulière et tellement agréable. C’est une sorte d’initiation aux mystères rehaussée par la présence des deux cariatides au fond de la salle, qui donnent accès à ce qu’on appelait autrefois les magasins, et qui accueillent le lecteur maintenant quand on passe la porte du magasin central. C’est un petit peu comme si l’on rentrait dans un temple, ces cariatides évoquent des déesses bienveillantes, accueillantes, tutélaires, telles celles de l’Érechthéion…
Ma fréquentation de la bibliothèque – hors période de pandémie – est hebdomadaire : lors de l’écriture d’un texte, il y a toujours des références à chercher, toujours un livre qui nous manque. Si ce n’est pas toutes les semaines, je ne suis jamais un mois sans y aller. Je dois vous avouer que comme je fonctionne par esprit d’escalier, je ne programme pas ma venue à la bibliothèque, ce qui est un grand problème en cette période de réservation obligatoire. Je fonctionne plutôt à la demande, j’écris un texte, j’ai besoin d’aller vérifier quelque chose, j’y vais. Ou alors, j’ai une curiosité qui naît et j’y vais. Et ce côté plutôt instinctif et spontané est forcément un peu mis à mal actuellement… Mes usages de la bibliothèque demeurent plutôt à la demande et puis pour le plaisir, le samedi, parce que l’on est hors de semaine de travail et que l’on a vraiment du temps pour soi.
Je partage mon temps entre Paris pour les deux tiers de mon travail et Montargis, ayant la chance d’être en télétravail quatre jours sur cinq. Parce que ma mission de responsable des collections m’amène à faire beaucoup de recherches, le musée a accepté que je puisse fréquenter bibliothèques et archives parisiennes, beaucoup plus pratiques.
Plutôt salle Labrouste ou magasin central ?
J’aime autant aller dans le magasin central que m’installer aux places « traditionnelles ». Les deux sont agréables, ce sont deux atmosphères différentes. Il y a le côté traditionnel, héritage de la Bibliothèque nationale, la grande salle avec ses repères, et le côté « moderne », restructuré, de l’Institut national d’histoire de l’art et du site dans son ensemble qui, en regroupant plusieurs bibliothèques, offre vraiment un fonds très complet de bibliographies et d’ouvrages.
Un détail insolite de la salle ou du magasin central ?
À côté des cariatides mentionnées tout à l’heure, il y a un détail étroitement lié à ma redécouverte des lieux après restauration : cette machine merveilleuse à transmettre les demandes de communication, le pneumatique, qui m’a vivement impressionnée. Ce fut véritablement une découverte fantastique, celle de l’envers du décor, un peu comme au théâtre : les cintres. Plus prosaïquement j’ai songé aussi devant les caillebotis que désormais on ne mettrait plus de jupes pour venir à la bibliothèque : ni jupes ni talons, mais plutôt jean et baskets…
Effet de lumière dans les tubes du pneumatique, magasin central de la salle Labrouste, 2017. Cliché S. Lemeux-Fraitot
Une grande trouvaille dans les collections ?
Il y a un document issu du fonds patrimonial, collections Jacques Doucet – d’ailleurs accessible dans la bibliothèque numérique de l’INHA – et que je connais par cœur : le manuscrit Ms 513, l’incontournable carnet de Girodet. Il a été présenté dans le cycle de conférences Trésors de Richelieu et mérite bien son nom de « trésor ». Ce carnet autographe est en effet très complet : il possède un dessin préparatoire pour le fameux Atala au tombeau de Girodet, il renferme des croquis de paysages, Girodet y a transcrit aussi des traductions du latin. Il reflète donc vraiment le peintre, tant dans son art que dans sa personnalité et cela est vraiment précieux. Jusqu’à de petites notes sur l’accord de l’auxiliaire « avoir » chez Corneille ou chez Voltaire, les usages de la langue française. En somme, ses passions tout simplement.
Anne-Louis Girodet-Trioson, [Caricatures] 1806-1808, Carnet autographe, Paris, bibliothèque de l’INHA, Ms 513. Cliché INHA
Le second document, plus récent, BCMN Ms 585 provient du musée d’Orsay et a rejoint les collections patrimoniales de la Bibliothèque centrale des musées nationaux en 2001. Il fait donc actuellement partie du fonds patrimonial de la bibliothèque de l’INHA. Il s’agit d’un carnet de notes et de croquis du peintre Léon Comerre, qui constitue également un trésor dans la mesure où il n’a jamais été publié ni vraiment étudié. En tant que chercheur, il est véritablement émouvant de parcourir ces notes et croquis en songeant qu’on est peut-être un des premiers à y porter attention.
Une page du carnet de Léon-François Comerre, BCMN Ms 585, Paris, bibliothèque de l’INHA. Cliché S. Lemeux-Fraitot
Votre sujet du moment ?
C’est plutôt, au gré des catalogues et des articles qu’on me demande et auxquels je participe, une encyclopédie de sujets. À côté de cela, il y a évidemment la rédaction du catalogue raisonné de Girodet, avec le grand défi de la publier pour 2024, année du bicentenaire de la disparition du peintre. J’effectue également des recherches récurrentes pour le catalogue du Musée Girodet de Montargis, riche d’une collection de peintures qui va du XVIe siècle au XXe siècle.
J’ai par ailleurs des recherches ponctuelles en cours qui portent sur Ossian, Delacroix et Ingres en ce moment, avec en permanence une recherche de fond pour perfectionner mes connaissances. Car il est toujours nécessaire de feuilleter le dernier catalogue d’exposition des collègues ou de parcourir les derniers articles, donc des lectures très fréquentes des derniers articles parus sur le cœur de ma recherche : fin XVIIIe siècle, première moitié du XIXe siècle.
Sans oublier des recherches documentaires en matière de restauration puisque je suis amenée par mes fonctions à m’y intéresser également. Et un sujet de recherche récurrent, qui est le romantisme, sujet très complexe mais aussi très riche, forcément.
Une réflexion sur la période actuelle ?
Cette période que nous vivons, nous espérons tous qu’elle va bientôt se terminer parce que c’est bien compliqué pour tout le monde. Ceci dit, nous avons la chance d’avoir des bibliothèques ouvertes, alors cela est inestimable. Travailler dans cette ambiance si particulière avec les archives matérielles ou le livre, qui ont une odeur particulière, pouvoir travailler toujours. Et ceci sans éliminer le numérique. Parce que bénéficier de l’accès à la bibliothèque numérique de l’INHA ou à d’autres ressources en ligne depuis chez soi à minuit ou le dimanche matin à dix heures, c’est une aubaine.
Je pense qu’il y a des bons côtés et que l’on se doit de voir toujours les bons côtés des périodes compliquées pour se dire : «eh bien oui, cela m’a fait progresser !». La bibliothèque numérique met en valeur le fait de travailler à la bibliothèque : quand on est privé de quelque chose, on l’apprécie deux fois plus, quand on manque de quelque chose, on en réalise vraiment la valeur. C’est peut-être ce que je retiendrais du moment.
Une idée à partager ?
La bibliothèque permet de rester en éveil, de garder une curiosité ouverte sur tous les sujets, tous les articles, tous les arts. Il ne faut pas se décourager, toujours suivre son intuition : quelque part dans le raisonnement de l’histoire de l’art, la plus belle récompense, c’est de trouver la preuve de son raisonnement dans une archive ou dans un livre.
Et puis, garder ce côté humain de la recherche me semble très important. Ne pas s’enfermer dans sa voie, savoir toujours remettre tout en question et surtout chercher, non pas pour soi mais pour donner, pour transmettre : le partage, c’est ce qui rend la recherche riche et intéressante.
En savoir plus
Sidonie Lemeux-Fraitot et Rémi Cariel, « Dans l’intimité de Girodet, pictor doctus »