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Ambroise Vollard , « le goût de l’estampe »
Mis à jour le 15 octobre 2019
Les trésors de l'INHA
Auteur : Élodie Desserle
Sans expérience ni relation dans le milieu de l’art rien ne prédestinait Ambroise Vollard (1866-1939), jeune étudiant en droit réunionnais, à devenir l’un des plus influents galeristes parisiens de la fin du XIXe et du début du XXe siècle, une légende universellement reconnue.
Porté par sa passion pour les arts graphiques, Vollard obtient un premier poste vers 1890, soit trois ans à peine après son arrivée en métropole, à « L’Union artistique », galerie de peinture académique dirigée par Alphonse Dumas. Il se met ensuite à son compte, d’abord dans son logement de la rue des Apennins, avant d’ouvrir en 1893 une véritable boutique rue Laffitte, la « rue des tableaux » comme il la nomme en référence au nombre conséquent de marchands d’art installés là, stratégiquement à proximité de l’hôtel Drouot.
Ses premières transactions d’importance sont le rachat de dessins et d’esquisses à la veuve de Manet (1832-1883) puis l’acquisition de toiles de Cézanne (1839-1906), Van Gogh (1853-1890), Pissarro (1830-1903) ou Guillaumin (1841-1927) à la vente après décès du père Tanguy (1825-1894).
Faisant preuve d’une grande capacité à discerner les talents encore méconnus, Vollard se positionne très vite sur le marché de l’avant-garde. Il s’assure des monopoles en faisant signer des contrats d’exclusivité comme celui conclu avec Georges Rouault (1871-1958), en achetant des lots entiers comme « les noirs » d’Odilon Redon (1840-1916) ou l’intégralité de fonds d’ateliers d’artistes, notamment ceux d’Émile Bernard (1868-1941) en 1901, Derain (1880-1954) en 1905, Picasso (1881-1973) et Vlaminck (1876-1958) l’année suivante. Ses méthodes commerciales, basées sur des achats massifs à prix avantageux, lui valent quelques controverses et l’inimitié d’un certain Paul Gauguin (1848-1903). « Profiteur » (qualificatif attribué par Gauguin) ou fin stratège ? Quoi qu’il en soit, Vollard gagne progressivement la reconnaissance des critiques et collectionneurs. Il expose et lance les carrières de nombreux artistes aujourd’hui reconnus comme les précurseurs de l’art du XXe siècle tels que Cézanne (1839-1906), Picasso (1881-1973), Matisse (1869-1954), la plupart des Fauves et des Nabis.
Pierre Bonnard, Couverture du 2e Album des peintres-graveurs, lithographie en 4 couleurs, 1897, Bibliothèque de l’INHA, VI P 21. Cliché INHA
Le marchand de tableaux tient également une place prépondérante dans l’édition d’estampes et de livres d’art auxquels il apporte un souffle nouveau en faisant appel aux services des grands peintres de son époque. Il confie dans son autobiographie : « De tout temps, j’ai aimé les estampes. […] Vers 1895, mon plus grand désir fut d’en éditer, mais en les demandant à des […] artistes qui n’étaient pas des graveurs de profession. Ce qui pouvait être pris pour une gageure fut une grande réussite d’art ». En juin 1896, il publie sa première édition de grande envergure avec l’Album des peintres-graveurs qui accompagne la première exposition qu’il organise, du 15 juin au 20 juillet, dans ses nouveaux locaux, plus spacieux, du 6 rue Laffitte. En collaboration avec l’imprimeur Auguste Clot (1858-1936), il propose sous la forme d’un portfolio tiré à cent exemplaires une suite de vingt-deux planches aux techniques variées : lithographie, eau-forte, bois et même gaufrage en blanc. L’expérience est renouvelée, un an plus tard, avec l’Album d’estampes originales de la galerie Vollard.
Malgré les trésors qu’ils contiennent (la Partie de campagne de Toulouse-Lautrec, la Petite Blanchisseuse de Bonnard, Béatrice d’Odilon Redon, le Jardin des Tuileries et Jeux d’enfants de Vuillard, Le Soir de Munch, les Oies de Sisley…), les recueils de Vollard ne rencontrent pas le succès escompté et une troisième édition des peintres-graveurs restera inachevée.
Vollard continue cependant à éditer des albums d’estampes mais s’oriente vers des publications monographiques, à l’image de celles qu’il commande à Bonnard (Quelques aspects de la vie de Paris, 1895-1899), Denis (Amour, 1892-1898), Vuillard (Paysages et intérieurs, 1899), Redon (Apocalypse, 1899) ou Picasso (Suite Vollard, 1930-1937). Là encore, les amateurs semblent « bouder et vingt ans plus tard les albums n’étaient pas épuisés ». Vollard devra même renoncer à éditer la série complète intitulée Paysages de Ker-Xavier Roussel (1867-1944).
Ker-Xavier Roussel, Paysage, Album d’estampes originales de la Galerie Vollard, 2e année, lithographie en couleurs, 1897, Bibliothèque de l’INHA, VI P 21. Cliché INHA
Vollard entreprend également l’édition de livres et poèmes illustrés : Parallèlement de Verlaine par Bonnard, les Jardins des supplices de Mirbeau par Rodin, Daphnis et Chloé de Longus par Bonnard, Sagesse de Verlaine par Denis, la Belle Enfant de Montfort par Dufy, les Fleurs du mal de Baudelaire par Rouault, la Maison Tellier de Guy de Maupassant par Degas, la Tentation de saint Antoine de Flaubert par Redon… en tout plus d’une quarantaine de volumes pour lesquels Vollard applique une même recette décrite par J.-E. Pouterman dans Arts et métiers graphiques : « un bon écrivain illustré par un bon artiste ». Mais Vollard se heurte à l’incompréhension et au « dogmatisme inflexible » des bibliophiles pour qui « les peintres ne sont pas des illustrateurs. Les libertés qu’ils se permettent sont incompatibles avec ce fini qui fait le mérite d’un livre illustré ».
Les difficultés rencontrées pour la commercialisation de ses éditions ne découragèrent pas Ambroise Vollard. Il poursuivit sa démarche artistique et ses « efforts pour éveiller dans le public le goût de l’estampe ». En incitant de nombreux peintres à s’essayer à la gravure et à la lithographie en couleurs, il fait figure d’acteur incontournable du développement de l’estampe originale. Il s’octroya une place unique dans l’histoire de l’édition française et les illustrations qui ne trouvaient pas toujours grâce aux yeux des amateurs de l’époque sont actuellement très recherchées des collectionneurs.
Élodie Desserle, service de l’informatique documentaire
En savoir plus
- Ambroise Vollard, Souvenirs d’un marchand de tableaux, Paris, Michel, 1937 (consulté en ligne le 14/10/2019).
- Jean-Paul Morel, C’était Ambroise Vollard, Paris, Fayard, 2007.
- J.-E. Pouterman, Ambroise Vollard, Arts et métiers graphiques (15 mai 1931), p. 231-237 (consulté en ligne le 14/10/2019).
- Les archives Vollard sont conservées au Musée d’Orsay.