Vivian Maier et les femmes photographes : artistes de l’ombre à la lumièreBibliographe sélective

Cet automne, le musée du Luxembourg consacre une grande exposition à la photographe Vivian Maier. L’occasion d’explorer les ressources de la bibliothèque de l’INHA consacrées aux femmes photographes, et de mettre en lumière des travaux encore sous-représentés dans le champ artistique et documentaire.

Vivian Maier : photographe, artiste et reporter du quotidien

Des femmes endimanchées se pressent dans la rue ; plus loin, un chien, des enfants qui jouent, et le reflet des buildings de Chicago dans une flaque ; un homme ivre, la vieillesse, une fenêtre ouverte sur les Alpes : autant de photographies prises par Vivian Maier, et présentées au musée du Luxembourg jusqu’au 16 janvier 2022. Découverte en 2007 seulement, deux ans avant son décès dans la misère et l’anonymat, elle a réalisé des milliers de clichés tout au long de sa vie. Vivian Maier est née en 1926 aux États-Unis, d’une mère française originaire du Champsaur, et a été gouvernante d’enfants toute sa vie, dans la région de Chicago. Elle a connu la postérité grâce au travail méthodique de John Maloof, un auteur local qui après avoir découvert par hasard une partie de son œuvre, s’est attelé à la reconstituer, la documenter et la diffuser. Dès 2010, des dizaines d’expositions lui sont consacrées de par le monde et un reportage réalisé par John Maloof, nominé aux Oscars en 2015, fait plus largement connaître son destin et son travail, souvent considérés comme indissociables.

Maloof John, Dyer Geoff. Vivian Maier : Street Photographer. Brooklyn (N.Y.) : PowerHouse Books, 2011. Cliché INHA.
Maloof John, Dyer Geoff. Vivian Maier : Street Photographer. Brooklyn (N.Y.) : PowerHouse Books, 2011. Cliché INHA.

Car si l’œuvre de Vivian Maier connaît un succès aussi retentissant, les conditions de la découverte de celle-ci n’y sont pas étrangères. Pourtant, sa manière de traiter ses sujets laisse transparaître un humanisme profond (on pense face à certains portraits aux travaux de Dorothea Lange sur la Grande Dépression en Amérique), une curiosité de chaque instant, que le volume de ses réalisations confirme, aux confins de la folie à la fin de sa vie. Son œuvre à la croisée de la photographie documentaire et d’une expression artistique plus stylisée, avec des cadrages saisissant de pertinence et de créativité quels que soient ses sujets, fascine aujourd’hui le grand public.

Et elle nous interroge, au-delà, sur la place des femmes dans la photographie, et le traitement qui leur est réservé : alors que les femmes, dès le début de l’histoire de la photographie, s’y consacrent, pourquoi sont-elles aujourd’hui encore moins représentées dans la photographie que les hommes ? Pourquoi le contexte biographique de la production des images reste-t-il l’un des vecteurs importants de l’attention portée à leur œuvre ?

Références bibliographiques consacrées à Vivian Maier

Du XIXe siècle à la photographie contemporaine : des femmes photographes dans les collections de la bibliothèque de l’INHA

Dès l’invention de la photographie, nombreuses sont les femmes qui s’intéressent au medium, tant dans ses dimensions artistiques que techniques. Constance Fox Talbot, Anna Atkins, Élisabeth Disdéri ouvrent la voie à leurs consœurs illustres ou méconnues. Ainsi, Germaine Krull s’illustre-t-elle à Paris dans les années 1930 ; Frances Benjamin Johnston est l’une des premières photojournalistes ; Ilse Bing travaille de part et d’autre de l’Atlantique et publie ses clichés dans de nombreuses revues, « à l’extrême périphérie du Bauhaus ». À ces pionnières succèdent tout au long du XXe siècle des grands noms, parfois tournés vers la dimension artistique de la photographie et plus particulièrement le surréalisme, comme Dora Maar, Claude Cahun ou Lee Miller.

Lebart Luce. Une histoire mondiale des femmes photographes. Paris : Textuel, 2020.
Lebart Luce. Une histoire mondiale des femmes photographes. Paris : Textuel, 2020.

Le cas de Lee Miller peut être rapproché de celui de Vivian Maier dans la réception de ses œuvres par le public : le fait qu’elle soit une femme au destin romanesque, au sens propre, a été l’un des facteurs de la popularité de son travail, alors que celui-ci s’illustrait déjà par son extrême diversité. Du reportage de guerre au surréalisme en passant par la mode, l’œil de Lee Miller a été partout – derrière comme devant l’objectif.

De la photo d’art au reportage, il n’y a souvent qu’un négatif, et on retrouve les femmes photojournalistes, comme Mary Ellen Mark, sur les traces de Gisèle Freund au sein de l’agence Magnum, ou tout au long de l’aventure du National Geographic , et dans le courant de la photographie humaniste, porté par des artistes engagées comme Sabine Weiss. Gisèle Freund, dans les années 1930, explore le Paris littéraire : et l’on n’est pas surpris de retrouver des clichés de la salle Labrouste, alors qu’elle documente la vie des bibliothèques de Paris.

Photo de l'entrée de la salle Labrouste par Gisèle Freund dans l'ouvrage  : Puttnies Hans-Georg, Musée national d’art moderne, Puttnies Hans-Georg. Catalogue de l’œuvre photographique de Gisèle Freund. Paris : Editions du Centre Pompidou, 1991. Cliché INHA.
Photo de l’entrée de la salle Labrouste par Gisèle Freund dans l’ouvrage : Puttnies Hans-Georg, Musée national d’art moderne, Puttnies Hans-Georg. Catalogue de l’œuvre photographique de Gisèle Freund. Paris : Editions du Centre Pompidou, 1991. Cliché INHA.

Plus récemment règnent au panthéon de la photographie contemporaine Diane Arbus, Annie Leibovitz , Cindy Shermanou encore Nan Goldin , qui toutes à un moment ou un autre de leur carrière, à différents degrés, se sont mises en scène dans leur propre œuvre, comme pour interroger leur place dans cet insaisissable art qu’est la photographie.

Monographies, catalogues d’expositions, catalogues de ventes… Les collections de la bibliothèque de l’INHA réunissent un grand nombre de documents consacrés à ces femmes photographes et à tant d’autres, dont voici une sélection :

Les femmes et la photographie, reconnaissance et diffusion

Les expositions que les musées et galeries consacrent aux femmes photographes donnent à voir leurs travaux, mais l’on peut parfois s’interroger sur cette idée qu’il existerait une « photographie féminine ». C’est l’un des sujets de la grande exposition Qui a peur des femmes photographes ? 1839 à 1945, présentée en 2015 au musée de l’Orangerie et au musée d’Orsay.

À l’instar de leurs homologues masculins, les femmes sont représentées dans tous les champs artistiques et documentaires de la photographie, avec peut-être une différence : celle de la diffusion de leurs travaux. Un sujet encore on ne peut plus d’actualité si l’on s’en réfère aux études menées récemment sur le sujet, qui démontrent la nécessité d’œuvrer à la visibilité des femmes dans la photographie, afin de parvenir à endiguer leur sous-représentation. Soulignons à cet égard l’important travail mené par les associations La part des femmes, FemmesPHOTOgraphes, ou encore Women Photograph, des collectifs engagés en faveur de la visibilité et de la reconnaissance des femmes photographes.

The Kodak Girl, publicité Kodak, poster de John Hassall, 1910. Source : Kodak Corporate Archive and Heritage Collection / Ryerson University Library and Archives.
The Kodak Girl, publicité Kodak, poster de John Hassall, 1910. Source : Kodak Corporate Archive and Heritage Collection / Ryerson University Library and Archives.

Que l’appareil photo soit un « outil d’émancipation » pour les femmes, comme l’avancent Luce Lebart, historienne de la photographie, et Marie Robert, conservatrice en chef au musée d’Orsay chargée de la collection de photographies, les auteures de Une histoire mondiale des femmes photographes ; ou tout simplement un instrument de création et de documentation du monde et de leurs contemporains, les femmes photographes sont au cœur d’un champ artistique et culturel essentiel, et ce, depuis sa création.

Bien loin est le temps de la Kodak girl éthérée : il appartient désormais autant aux institutions culturelles qu’au public de se tourner résolument vers les femmes photographes ; non parce qu’elles sont femmes, mais parce que, comme nous le rappellent les quelques exemples cités dans ce billet, leur œuvre reste trop souvent plus éloignée tant de la presse que des murs des musées et galeries.

 Marie Garambois

Service des Services aux publics

Références bibliographiques générales

Publié par Marie GARAMBOIS le 15 octobre 2021 à 11:00