Auteur(s) de la notice : TALADOIRE Eric

Profession ou activité principale

Médecin

Autres activités
Archéologue

Sujets d’étude
Préhistoire, art paléolithique, comparatisme archéologique, américanisme

Carrière
1872 : commence à suivre les cours de Gabriel de Mortillet à l’École d’anthropologie
1878 : docteur de la faculté de médecine de Paris, interne des Hôpitaux de Paris
1880 : crée le premier laboratoire de pathologie et de thérapeutique de la faculté de médecine
1883 : thèse de doctorat de médecine
1892 : anthropologie pathologique
1898 : succède à Gabriel de Mortillet à la chaire d’anthropologie
1901 : découverte des vestiges d’art pariétal paléolithique de la grotte de Font-de-Gaume (avec Henri Breuil et Denis Peyrony)
1904 : vice-président de la Commission du vieux Paris
1906 : vice-président du Congrès international d’anthropologie et d’archéologie préhistoriques (session de Monaco)
1908 : professeur au Collège de France où il occupe la chaire d’américanisme ; secrétaire général de la Société des américanistes de Paris
1909 : membre de l’Académie de médecine
1914-1918 : dirige le service des contagieux à Vincennes
1916 : participe à la restauration des arènes de Lutèce
1925 : participe à la controverse de Glozel

Membre de l’Académie de médecine (1909)

Étude critique

On pourrait s’étonner du nombre de médecins qui se sont passionnés pour l’archéologie au point, parfois, d’abandonner leur profession originelle, pour leur vocation tardive. Joseph Louis Capitan est du nombre, même si lui ne délaissera jamais la médecine. Sa production bibliographique dans les deux domaines est pratiquement équivalente, avec près de deux cent cinquante titres pour chacune de ses passions. Il est aussi renommé dans le monde médical que parmi les préhistoriens, même si ses apports à l’archéologie sont plus connus. Ils ne sont d’ailleurs pas négligeables, puisque, parmi de multiples contributions, on lui doit la reconnaissance de l’art paléolithique et l’identification de l’Aurignacien.

En fait, comme le souligne Éric Boeda, lui-même médecin et préhistorien, l’incompatibilité entre les deux domaines n’est qu’apparente : le médecin doit, sur des indices visibles et une perception de l’état du patient, établir un diagnostic. L’archéologue dispose d’un nombre limité de signes, qu’il doit interpréter en s’appuyant sur sa sensibilité. La démarche est similaire et le droit à l’erreur, faible. L’œil et l’acuité du médecin sont deux qualités qui font de lui un archéologue potentiel.

Né à Paris en 1854, Louis Capitan semble prédestiné à une brillante carrière médicale. À 24 ans à peine, il est docteur à la faculté de médecine de Paris, interne des Hôpitaux de Paris, où il crée en 1880, le premier laboratoire de pathologie et de thérapeutique générale. Il y côtoie des collègues aussi prestigieux que Claude Bernard, et soutient en 1883 sa thèse de doctorat. Au fil des ans, il exerce à l’Hôtel-Dieu, à La Pitié, et poursuit des recherches en bactériologie. Parmi ses succès professionnels, on lui doit des études sur les oreillons, le pus bleu, le tétanos, ou la fièvre typhoïde. Ses travaux et ses découvertes feront l’objet de près de deux cent cinquante publications ou communications, et jamais il n’interrompra ses activités. Il sera d’ailleurs nommé membre de l’Académie de médecine en 1909, reconnaissance officielle de sa brillante carrière. Durant la Première Guerre mondiale, trop âgé pour être mobilisable, il contribue à l’effort de guerre et dirige le service des contagieux à Vincennes. De quoi remplir une vie, mais sa puissance de travail lui permet d’en remplir deux, voire trois.

Sa passion pour l’archéologie naît en même temps que sa vocation médicale : à 18 ans, il suit à l’École d’anthropologie les cours de Gabriel de Mortillet, dont il devient le disciple, sans pour autant être son simple reflet. Quand Mortillet est plutôt théoricien, Capitan se tourne vers le terrain, la pratique, peut-être en raison de sa formation médicale. Est-ce Mortillet qui l’y encourage ? Toujours est-il que, parallèlement aux cours de ce dernier, Capitan suit également les cours d’ethnologie d’Hamy, peut-être à l’origine de sa carrière d’américaniste, et les travaux d’archéologie romaine et médiévale de Vacquer, alors responsable de la Commission du Vieux Paris. Nous sommes à l’époque de la création du Paris haussmannien, et de la destruction de nombreux vestiges : c’est presque du concept d’archéologie de sauvetage qu’il s’agit ici, du moins de la notion d’urgence, ce qui renforce chez lui le souci du travail de terrain. Ses intérêts ne sont pas uniquement académiques : on en a la confirmation par sa fréquentation des cercles d’antiquaires et de collectionneurs, comme Eugène Boban. Faut-il y voir l’origine de sa propre vocation de collectionneur, puisqu’il rassembla plus de 30 000 pièces de tous les continents ? Il est vrai qu’à l’époque, presque rien n’était prévu pour accueillir le produit des fouilles. La constitution de collections d’objets « exotiques » paraissait naturelle à tous, y compris aux pays victimes de telles spoliations.

Quand, en 1898, Capitan succède à Mortillet à la chaire d’anthropologie, il n’a pourtant pas encore développé une activité importante en archéologie. On ne compte à son actif que quelques fouilles importantes, à Preslong, et Abilly (en 1874), à Saint-Valery-sur-Somme en 1888, et dans la région de la Vézère. Il s’est toutefois déjà tourné vers d’autres horizons, puisqu’il a fouillé à Ouargla, en Algérie. Il s’est déjà fait un nom, mais ne s’est pas encore investi dans sa contribution majeure. Il est encore novice, mais donne à son enseignement une orientation délibérément nouvelle. Sans rompre avec Mortillet, il définit d’emblée ses ambitions : mener la recherche préhistorique au même niveau que les autres sciences d’observation. Pour y parvenir, il faut une théorie, une méthode, une pratique. L’interdisciplinarité fournit le cadre théorique. Selon lui, l’archéologie doit s’appuyer sur la géologie, la géophysique, comme le prônait Mortillet, mais aussi sur la pétrographie, la paléontologie, l’anthropologie ou l’ethnographie : on retrouve là la patte d’Hamy. Pour les méthodes, la stratigraphie, qu’il préconise, répond à ses attentes. La pratique, c’est d’abord la multiplication des interventions, des chantiers de fouilles : la région des Eyzies, bien sûr, avec les grottes de Font-de-Gaume et des Combarelles, La Ferrassie, Teyzat, La Calavie Saint-Acheul, mais aussi Suse, El Mekta en Tunisie, Tombouctou, et tant d’autres sites. Ce sont également les expériences de taille, la technologie du silex, l’observation directe dans une perspective comparatiste. Capitan accumule les objets, les faits, les dessins, les photos, les relevés. Il enregistre tout, sans perdre de vue l’essentiel ; la recherche du sens du fait étudié, sa signification sociale. L’archéologue doit reconstituer le geste et la pensée. La structuration rigoureuse de l’approche choisie par Capitan donne tout son sens à cette récolte de données.

Rien d’étonnant, donc, que les résultats tombent à un rythme soutenu. D’abord, la formation d’une équipe homogène, parmi lesquels on compte Henri Breuil ou Denis Peyrony, avec lesquels Capitan poursuivra une fructueuse collaboration. La définition d’une nouvelle coupure dans le Paléolithique ensuite, l’Aurignacien, à partir des fouilles de La Ferrassie. Mais surtout, son apport majeur, la reconnaissance de l’art pariétal paléolithique, aux origines de l’art européen. Les peintures d’Altamira étaient connues, mais non reconnues, depuis 1875. La découverte des peintures magdaléniennes de Font-de-Gaume et des Combarelles, étayée par des fouilles, de rigoureuses études technologiques (des analyses de colorants), mais surtout esthétiques lui permettent d’affirmer leur caractère artistique. Il observe des règles de composition, un désir de l’artiste de corriger les irrégularités des supports, une recherche esthétique qui dévoile une intention, une pensée.

Dès lors, Capitan est un préhistorien reconnu, un spécialiste de renommée internationale. Revenant à des amours de jeunesse, et dans la continuité de son comparatisme, il se tourne vers l’américanisme. Il prend part aux fouilles de Trenton, avec le Peabody Museum et le National Museum of Natural History, entretient une correspondance avec le redoutable Hrdlička, part fouiller au Mexique, s’intéresse aux Antilles, au Pérou. Sa compétence est officialisée par l’obtention, en 1908, de la chaire d’américanisme du Collège de France, et le poste de secrétaire général de la Société des américanistes de Paris, qu’il occupe plusieurs années. Une troisième carrière, et peut-être même une quatrième : en 1904, il est vice-président de la Commission du Vieux Paris, succédant à son ancien maître, Vacquer. Il s’y consacre à de vraies fouilles de sauvetage durant la construction du métro, mais également à la mise en valeur des arènes de Lutèce, tâche qu’il mènera à bien en pleine guerre en 1916, alors qu’il est responsable d’un service médical. Son buste trône au square des Arènes, posé sur un chapiteau romain trouvé boulevard Saint-Germain. Un square à Paris, des rues comme à Montpellier amplifient cet hommage mérité.

L’âge venant, ses activités se ralentissent, sans pour autant s’interrompre : en 1925, il prend connaissance de Glozel, en même temps que Morlet, à qui il propose, en vain, de participer à la publication. Mais sa position évolue rapidement, de la confiance dans le gisement à la dénonciation du faux. Il n’a rien perdu de son sens critique. Ce sera sa dernière contribution majeure, car il décède en 1929, laissant une œuvre qui a certes vieilli, sur bien des points. Comme nombre de ses contemporains, Capitan a travaillé dans une discipline encore balbutiante. On peut dire de lui qu’il lui a appris à parler. La formation rigoureuse qu’il a dispensée à de nombreux chercheurs leur a permis de poursuivre et d’approfondir son œuvre. Il a surtout reculé les bornes de l’histoire de l’art, en identifiant ses racines par-delà les millénaires. Ne serait-ce là que son seul apport à l’archéologie, il suffit à faire figurer son nom parmi les grands noms de la discipline.

Éric Taladoire, professeur d’archéologie des Amériques, UMR 8096

Principales publications

Ouvrages et catalogues d’expositions

  • Les Sacrifices dans l’Amérique ancienne. Paris : Bibliothèque de vulgarisation du musée Guimet, XXXII, 1909.
  • Breuil Henri, Capitan Louis, Peyrony Denis. – La Caverne de Font-de-Gaume aux Eyzies. Publication du Prince de Monaco, 1910.
  • Capitan Louis. – Notice sur les travaux scientifiques de M. le docteur Capitan. Paris : impr. Wellhoff et Roche, 1911.
  • Capitan Louis, Lorin Henri. – Le Travail en Amérique avant et après Colomb. Paris : Histoire universelle du travail, 1914.
  • La Préhistoire. Paris, 1922.
  • Breuil Henri, Capitan Louis, Peyrony Denis. – Les Combarelles aux Eyzies (Dordogne). Paris, 1924.
  • L’Humanité préhistorique dans la vallée de la Vézère. Paris, 1924.
  • Bouyssonie Jean, Capitan Louis. – Limeuil. Son gisement à gravures sur pierres de l’âge du renne. Paris : Institut international d’anthropologie 1, 1924.
  • Capitan Louis, Peyrony Denis. – La Madeleine, son gisement, son industrie, ses œuvres d’art. Paris : Institut international d’anthropologie 2, 1928.

Articles

  • « Les Trépanations préhistoriques ». Bulletin de la Société d’anthropologie. Paris, 1882, p. 535.
  • « Poteries des Galibis. Technique de leur fabrication ». Bulletin de la Société d’anthropologie. Paris, 1882, p. 649 et suiv.
  • « La Science préhistorique, ses méthodes ». Revue de l’École d’anthropologie. Paris, 1899, p. 333 et suiv.
  • « Étude pétrographique des matières employées pour la fabrication des vases en pierre préhistoriques égyptiens ». Collab. de Gentil. Revue de l’École d’anthropologie. Paris, 1900, p. 284 et suiv., p. 386 et suiv..
  • « Les Grottes à parois gravées ou peintes à l’époque paléolithique ». Collab. d’Henri Breuil. Revue de l’École d’anthropologie. Paris, 1901, p. 321 et suiv.
  • « Les Alluvions quaternaires autour de Paris ; géologie, paléontologie ; étude critique ». Commission municipale du vieux Paris. Paris, 1901, p. 196 et suiv.
  • « Les Graveurs de la grotte des Eyzies ». Collab. d’Henri Breuil et Denis Peyrony. Revue de l’École d’anthropologie. Paris, 1905, p. 237 et suiv.
  • « Recherches expérimentales sur la taille du silex ». Association française pour l’avancement des sciences. Lyon, 1906.
  • « La Grotte de la mairie à Teyjat (Dordogne). Fouilles d’un gisement magdalénien ». Collab. de P. Bourrinet, Henri Breuil et Denis Peyrony. Revue de l’École d’anthropologie, 18. Paris, 1908, p. 153-173, 198-218.
  • « Cours d’antiquités américaines du Collège de France ». Revue de l’École d’anthropologie, XVIII. Paris, 1908, p. 89-111.
  • « Le Squelette humain moustérien de la Chapelle-aux-Saints et l’Homo Heidelbergensis ». Revue de l’École d’anthropologie, Paris, 1909, p. 103 et suiv. * « Ethnographie préhistorique africaine (Tunisie) ». Collab. de Morgan et Boudy. Revue de l’École d’anthropologie. Paris, 1910-1911.
  • « Fouilles à La Ferrassie, commune de Savignac-du-Bugue (Dordogne) ». Collab. de Denis Peyrony. Revue anthropologique, XXII. Paris, 1912.
  • « Les Origines de l’art à l’Aurignacien moyen. Nouvelles découvertes à La Ferrassie ». Collab. de Denis Peyrony. Revue anthropologique, XXXI. Paris, 1921.
  • « Un manuscrit judiciaire de 1534 nahuatl-espagnol. ». Journal de la Société des américanistes, XV. Paris, 1923, p. 75-81.

Bibliographie critique sélective

  • « Louis Capitan » (nécrologie). Bulletin de la Société historique et archéologique du Périgord. 1929, p. 313.
  • Burkitt Robert. – « Louis Capitan ». MAN, XXIX. 1929, p. 194-195.
  • « Louis Capitan » (nécrologie). Bulletin de la Société préhistorique française, XXVI, 1929.
  • « Louis Capitan » (nécrologie). L’Illustration, 7 sept. 1929.
  • Peabody Charles. – « Necrología de Louis Capitan ». American Anthropologist. XXXII, 1930, p. 567-568.
  • Roman d’Amat et al.Dictionnaire de biographie française. Paris : Librairie Latouzey et Ané, 1933, p. 1066-1067.
  • Leroi-Gourhan André. – La Préhistoire de l’art occidental. Paris : Mazenod, 1971.
  • Gran-Aymerich Eve et Jean – « Louis Capitan ». Archéologia. Dijon, janvier 1985, p. 79-81.
  • Groenen Marc – Pour une histoire de la préhistoire. Grenoble, 1994.
  • Gran-Aymerich Eve. – Dictionnaire biographique d’archéologie (1798-1945). Paris : CNRS Éditions, 2001.

Sources identifiées

New York, National Anthropological Archives, Department of Anthropology, National Museum of Natural History

  • Correspondance avec Ales Hrdlicka

Paris, faculté de Médecine de l’Académie de Paris

  • Notes et manuscrits

Paris, archives de la Société des américanistes de Paris, musée de l’Homme, palais du Trocadéro

  • Notes, documents

Saint-Germain-en-Laye, musée des Antiquités nationales

  • Manuscrits, notes et correspondances. Collections archéologiques (environ 30 000 pièces)