Auteur(s) de la notice :

DESBUISSONS Frédérique

Profession ou activité principale

Peintre, historien et théoricien de l’art

Autres activités
Pédagogue, philosophe

Sujets d’étude
Histoire, théorie et technique de la peinture occidentale, art ancien et moderne

Carrière
Années 1780 : scolarité au collège Pithou de Troyes dirigé par les pères de l’Oratoire ; première formation artistique à l’École municipale de dessin sous la direction du peintre Pierre Baudemant (1729-1808)
1989 : aurait voyagé en Allemagne et en Flandres
1792 : (mars) prend des cours de dessin à Paris avec le peintre Sevin (Claude Sevin ?) ; se rend à Rouen (juillet), y entre en relation avec Jean-Baptiste Laumonier (1749-1818), chirurgien-chef de l’Hôtel-Dieu, dont les cires sont réputées surpasser celles des Florentins ; rencontre sans doute à cette occasion le jeune Charles Le Boulenger de Boisfrémont (1773-1838) qui se destine alors à la chirurgie ; tous deux fréquentent probablement l’École de dessin et suivent les cours de Jean-Baptiste Descamps (1742-1836) et de Charles François Lecarpentier (1744-1822), père de son élève, ami et futur biographe Paul Carpentier (1787-1877)
4 mars 1793 : considéré comme émigré du fait de son absence inexpliquée de Troyes
Octobre 1793 : avec Boisfrémont, s’enrôle au quartier de Rouen comme novice matelot dans la Marine de la République
Décembre 1793 : embarque à Brest sur la frégate « La Sémillante » faisant partie de la division commandée par le contre-amiral Vanstabel, qui quitte Brest le 24 décembre pour une mission aux États-Unis
Vers 1794 : se serait installé à New York avec Boisfrémont, où ils auraient gagné leur vie comme portraitistes
Vers 1797 : retour en Italie, probablement toujours avec Boisfrémont ; radiation provisoire de la liste des émigrés
Vers 1798 : se fixe à Rome avec son ami
1800 : installation en République cisalpine dans l’attente de la confirmation définitive de sa radiation
Vers 1801 : retour en France et installation à Paris
1802 : enregistré à l’École des beaux-arts comme élève de Joseph-Benoît Suvée (1743-1807) (sic !)
1802-1817 : expose avec régularité au Salon, principalement des portraits, mais aussi des peintures d’histoire et des scènes de genre
Début février 1805 : entre à l’atelier de David
1810 : médaillé au Salon pour sa Léda (localisation inconnue)
1816 : après avoir été supplanté par Charles Thévenin, élu membre correspondant de l’Académie des beaux-arts (20 avril), donne à ses collègues de l’Institut deux lectures successives de ses travaux, intitulées « Divers styles des écoles d’art de l’Antiquité » (4 et 25 mai, 1er, 6 et 29 juin)
1824 : membre résidant de la Société d’agriculture, sciences et belles lettres de l’Aube (dite « Société académique »), fauteuil n°13
1829 : parution du Traité complet de la peinture à Paris chez Bossange père
1831 : dernière participation au Salon ; admis à la Société libre des beaux-arts, section Archéologues, hommes de lettres, amateurs, etc., dont il sera un membre très actif ; présente une Geneviève de Brabant et plusieurs portraits à l’unique exposition de la Société (décembre)
1834 : devenu aveugle, abandonne la peinture et se consacre à l’écriture ; retour définitif à Troyes
1836 : membre résidant de la Société d’agriculture, sciences et belles lettres de l’Aube (Société académique), fauteuil n°30
1843 : à Troyes, co-organise une exposition de peintures à l’encaustique avec son beau-frère Alexis-Nicolas Lépine, qui signe la notice publiée à cette occasion
1849 : décès à Saint-Martin-ès-Vignes, faubourg de Troyes
1851 : nouvelle émission du Traité complet de la peinture à Paris chez Delion, avec réimpression des faux-titres et des titres
1855 et 1858 : édition par Paul Carpentier de deux manuscrits inédits de Paillot de Montabert chez le libraire de la Société libre des beaux-arts : L’Artistaire : livre des principales initiations aux beaux-arts et L’Unitismaire : livre des chrétiens unitistes
1859 : L’Unitismaire est inscrit à l’Index des livres interdits par décret de la Congrégation pour la doctrine de la foi

Chevalier de l’ordre royal de la Légion d’Honneur (5 juin 1843)

Étude critique

L’artiste entré à l’atelier de Jacques-Louis David au début de l’Empire est totalement oublié aujourd’hui : l’auteur de Jupiter et Io (vers 1802, loc. inconnue), Bélisaire (coll. part.), Stratonice et Antiochus (vers 1804, loc. inconnue) et d’une foule de portraits d’inconnus – dont deux pseudo-effigies de Byron (vers 1820, musée d’Art et d’Histoire, Troyes ; 1823, Fondation Chi Mei, Taïnan, Taïwan) – n’a jamais eu la renommée de son contemporain Gros, et l’on ignore jusqu’à la localisation de la Léda (vers 1810) pour laquelle il avait été médaillé en 1810. Le peu que nous sachions de lui laisse imaginer un de ces artistes de province si nombreux alors à abandonner à de plus acharnés la scène artistique parisienne. Si ses retours à Troyes pendant la Restauration semblent confirmer cette interprétation – sa famille y était solidement implantée depuis le XVIe siècle et son frère aîné y menait une brillante carrière politique –, elle doit toutefois être nuancée : le peintre n’a pas tant été oublié qu’il n’a, très tôt – toujours ? –, été concurrencé, voire éclipsé, par l’écrivain.

À l’atelier de David, déjà, le théoricien perçait sous le peintre d’histoire : Étienne-Jean Delécluze (1781-1863) le décrit comme « entraîné invinciblement à s’occuper de la théorie de l’art », tandis que le maître reconnaît sa supériorité intellectuelle : « Ce diable de Montabert a toujours raison quand il vous démontre un principe sur les choses de l’art ; son raisonnement est si juste qu’il faut s’y soumettre. » Les premiers travaux qu’il consacre à l’histoire de l’art précèdent de très loin la publication du Traité complet de la peinture (1828-1829) auquel on l’associe habituellement : en 1811, Alexis-François Artaud de Montor (1772-1849) insère dans la seconde édition de ses Considérations sur l’état de la peinture en Italie dans les quatre siècles qui ont précédé celui de Raphaël une trentaine de pages de ses réflexions encore inédites sur les primitifs italiens, précédant de peu la publication en 1812, dans le Magasin encyclopédique, de la Dissertation sur les peintures du Moyen Âge, et sur celles qu’on a appelées gothiques, édité cette même année en volume chez Delaunay. Quand, en 1831, Paillot de Montabert devient membre de la Société libre des beaux-arts fondée à Paris au lendemain de la révolution de Juillet, c’est comme « amateur, auteur du Traité complet de la peinture » paru deux ans auparavant. Quelques années plus tard, l’hégémonie de la théorie sur la pratique trouvera une forme d’accomplissement dans la cécité obligeant l’artiste à abandonner définitivement non seulement ses pinceaux, mais aussi Paris.

Les tableaux de tous genres qu’il a présentés avec régularité au Salon, de 1802 à 1817, manifestent pourtant le désir d’être reconnu comme peintre. En particulier comme rénovateur de l’encaustique selon un procédé original dont il aura inlassablement revendiqué la paternité. Si l’on en croit le critique d’art Edme-François Miel (1775-1842), lui aussi membre de la Société libre des beaux-arts, la réussite des peintures exécutées suivant ses recommandations aurait convaincu Jean Alaux, François Édouard Picot et Abel de Pujol, et poussé Louis-Philippe à en imposer l’usage lors de la restauration des peintures de Fontainebleau (« Note sur la peinture à l’encaustique », Annales de la Société libre des beaux-arts, t. IV, 1834, p. 57-63). Là réside sans doute l’articulation la plus nette entre ses œuvres plastique, historique et théorique, puisque pour Paillot de Montabert, l’invention technique est indissociable de la réflexion historique. La peinture, considère-t-il, a décliné dès la fin de l’Antiquité, mais sa décadence n’a fait qu’amplifier après la mort de Raphaël. Celle-ci se manifeste notamment dans l’abandon de l’encaustique – technique qu’il définit non par l’emploi de cire mais par l’usage du « cauterium (réchaud allumé), pour parfondre et faire un tout homogène du fond ou apprêt, avec les cires, les matières colorantes et les résines qui composaient le tout » (TCP, t. I, p. 155, ainsi que t. VIII, ch. 568). Corrélat de cette décadence, la peinture à l’huile devrait donc être délaissée et l’encaustique rénovée si l’on veut que l’édifice tout entier ait une chance d’échapper à la ruine. Paillot de Montabert se distingue ici d’Émeric-David, qui signalait quelques années auparavant l’importance de l’encaustique dans la peinture ancienne et son abandon progressif à partir du IXe siècle, mais sans donner à la technique un rôle prépondérant dans cette décadence, dont les raisons étaient, selon lui, principalement sociales (Toussaint-Bernard Émeric-David, « Discours historique sur la peinture moderne », Le Musée Français, Paris, 1809, t. VIII). L’histoire, dans le Traité complet, est un récit ordonnateur visant l’art « sous le rapport de sa définition, de sa destination et de toute sa théorie » et sert à asseoir la théorie plus qu’à établir la chronologie des œuvres et de leurs auteurs. Si Paillot de Montabert souligne aussi l’intérêt pour les artistes de cette seconde tâche, qu’il assigne plus spécialement aux archéologues et aux érudits, il la distingue de l’histoire théorique de l’art, dont il a fait son objet parce qu’elle est seule à même de montrer à son lecteur « ce qu’il doit faire lui-même [plutôt] que ce que les autres ont fait avant lui » (TCP, t. II, p. 1-2).

L’histoire de la peinture occupe donc une place à la fois nécessaire mais réduite dans le Traité complet – pour l’essentiel ses tomes deux et trois, après le premier volume introductif, définissant le projet et réunissant les annexes (en particulier bibliographies et listes d’artistes), et avant les développements plus spécifiquement théoriques et techniques. Car traiter de la peinture complètement signifiait pour l’auteur récapituler l’ensemble de ce qui pouvait être connu et pensé alors sur cet art. De nature encyclopédique, le projet de Paillot de Montabert est tributaire des Lumières, ce qui ne surprendra guère de la part d’un homme né à la fin du règne de Louis XV et formé pendant les dernières années de l’Ancien Régime. Sa pensée se fonde en outre sur une conception de l’art idéaliste et chrétienne identifiant le beau au bien, qui se trouvera plus longuement développée dans ses deux ouvrages posthumes, L’Artistaire (1855) et L’Unitismaire (1858), ce dernier figurant à l’Index dès l’année suivant sa parution (J. M. Bujanda, dir., Index librorum prohiborum, 1600-1966, Montréal-Genève, 2002, p. 676).

La figure de l’artiste idéal, que Paillot de Montabert esquisse au fil de ses écrits, est celle du « peintre-philosophe » alliant connaissance du métier, réflexion théorique et culture historique. L’histoire de l’art, telle que Paillot de Montabert la conçoit et la pratique, n’est pas exclusivement destinée aux érudits mais doit être utile aussi bien aux artistes, qui disposent enfin de l’ambitieux manuel (quoique le terme s’applique mal à un ouvrage aussi peu maniable !) qui leur faisait jusqu’alors défaut, qu’aux simples amateurs – moins l’« honnête homme » prérévolutionnaire que ce nouveau public sans patrimoine qui se presse aux expositions et témoigne de la démocratisation de la culture dans la France postrévolutionnaire. C’est à lui que l’auteur entend rappeler les bonnes et saines doctrines, expliquer les règles d’exécution du bel art et fonder historiquement la suprématie de l’art classique. On ne peut donc comprendre le Traité complet de la peinture et la place qu’y occupe l’histoire de l’art en dehors non seulement du projet pédagogique dont il est porteur, mais aussi de la conception de l’artiste et de ses fonctions sociales qui le sous-tend. Parce qu’il revient au peintre de donner une forme sensible à l’unité, ses responsabilités sont morales car « sentir l’unité dans l’ensemble et dans les parties d’un beau tableau, nous rend propres à les reconnaître dans tous les actes de la vie privée ou sociale, [si bien] qu’à la fin une inconvenance dans les mœurs nous choquera autant qu’une inconvenance en peinture » (TCP, t. III, p. 346). Sous la monarchie de Juillet, l’auteur investira à son tour la pédagogie du dessin, publiant successivement Le Dessin linéaire enseigné aux ouvriers (1831), un Discours sur la nécessité d’introduire la connaissance des beaux-arts dans l’éducation (1832) et Le Guide des élèves en dessin linéaire (1839), auxquels nous devons ajouter les manuscrits inédits répertoriés par Louis Morin et aujourd’hui perdus (L. Morin, « L’Émigration de Paillot de Montabert », Réunion des Sociétés des beaux-arts des départements, section des beaux-arts, 1910, t. XXXIV, p. 111-112).

Cette histoire de l’art pragmatique (c’est-à-dire utile et finalisée) est destinée à montrer aux jeunes artistes la (bonne) voie, ouverte par les anciens, préservée durant le Moyen Âge, mise à mal par les modernes et rénovée à la fin du XVIIIe siècle. Les Grecs, estime Paillot de Montabert, n’ont pas mené l’art à des sommets inégalés parce qu’ils auraient été, par essence, plus aptes à le faire ou prédestinés, ou encore qu’ils auraient bénéficié d’un milieu favorable, mais parce que chez eux la bonne théorie se trouvait comme naturalisée, intuitivement pensée et vécue. Paillot de Montabert est de ce point de vue un néoclassique orthodoxe pour lequel le bon art découle d’une bonne et droite doctrine. Il entend ainsi écrire « plutôt l’histoire de la théorie que l’histoire des artistes et des événements », ce qu’il faut faire résultant de ce qui avait été parfaitement conçu par les anciens et leurs héritiers. La pratique des arts est soumise à leur théorie comme leur histoire est mue par des principes universels. Si cette histoire peut sembler accueillante, c’est que Paillot de Montabert s’est efforcé d’inclure toutes les manifestations picturales dans une catégorie universelle, et de retracer d’une ligne, sinon continue du moins pointillée, son évolution des temps anciens à l’âge moderne : « La peinture n’a jamais péri ; elle a langui, elle a été déprimée dans des temps malheureux ; mais ses racines profondes produisirent de temps en temps de faibles rejetons qui rappelaient son illustre origine ; d’ailleurs elle était conservée dans l’Inde, dans la Perse, en Chine et dans d’autres lieux, où toute barbare qu’elle était, elle n’en subsistait pas moins toujours au même degré » (TCP, t. III, p. 45-46). Cette position essentialiste lui interdit de négliger jusqu’à l’école flamande, dont les œuvres « acheminent savamment l’art au grand but, qui est la beauté et la parfaite harmonie de la nature » (TCP, t. III, p. 165), et même l’art chinois, dont Paillot de Montabert signale « les qualités de naïveté, de simplicité et même de style qu’on peut rencontrer dans plusieurs de ces ouvrages dont l’étude peut faire découvrir quelques pratiques importantes pour l’art » (TCP, t. II, p. 141).

L’art exemplaire reste toutefois pour lui l’art grec. Son histoire est celle d’un perfectionnement, les Grecs abandonnant leur rudesse primitive en même temps que leur art s’épurait pour atteindre la beauté et l’harmonie au temps d’Alexandre. Cette unité avait perduré, quoique fortement dégradée, jusqu’à la fin du Moyen Âge, pour faire place dès le XVe siècle à un nouveau naturalisme certes, mais aussi à un goût monastique rompant avec l’idéal antique et ouvrant la voie à une incomplétude claudicante. Alors même que les peintres modernes gagnaient en virtuosité, ils n’en devenaient que plus « réellement barbares » (TCP, t. III, p. 2) et la si mal nommée Renaissance n’aura été que « la naissance de la dégradation » (TCP, t. II, p. 14). L’histoire de l’art depuis Raphaël, dominée par l’individualisme et les conflits d’école et de styles, est celle d’une décadence à laquelle il n’a été mis fin qu’au XVIIIe siècle. David, « devenu classique, parce qu’aucun autre n’a pénétré comme lui dans les secrets des anciens et de la nature » (TCP, t. VI, p. 66), a refondé la peinture sur des bases saines : respect du naturel et refus de la manière, simplicité du trait et noblesse des formes. Dans les années suivant la publication du Traité complet, Paillot de Montabert rédige d’ailleurs, en collaboration avec le philosophe Valentin Parisot (1800-1861), la notice « David » du Supplément de la Biographie universelle de Louis-Gabriel Michaud (1837). Les dernières lignes de l’article, consacrées aux Barbus ou Méditateurs auxquels E.-J. Delécluze l’associera dans un même désir de peinture renouvelée des Grecs (Louis David, son école et son temps, Paris, 1855, p. 96-97), montrent les limites du « primitivisme » de Paillot de Montabert : « Leur moyen d’atteindre à la perfection qu’ils rêvaient, c’était le sentiment », leur reproche Paillot de Montabert (Louis David, son école et son temps, Paris, 1855, p. 209), qui n’aura cessé de revendiquer pour le peintre l’usage de la raison théorique, seule à même de lutter, selon lui, contre les « routines » du goût et de la main.

Sa méfiance envers les habitudes visuelles de ses contemporains justifie pour partie son intérêt pour les primitifs italiens. Paillot de Montabert accorde aux œuvres de ce qu’il appelle le « Moyen Âge » (période qui, chez lui, court du règne de Constantin à Cimabue) et distingue résolument du « gothique » auquel ses contemporains tendent à l’identifier péjorativement, une attention aussi cérébrale que sensible. D’une certaine manière, le regard qu’il revendique, ni amateur, ni doctrinaire, pourrait être rapproché de celui d’un historien : « Il nous faut faire l’abnégation de nos goûts, et de beaucoup de nos doctrines », remarque-t-il dès 1812, pour « ménager quelques affections pour les ouvrages, qui, quoique faibles, sont les propagateurs précieux des plus saines maximes » (Dissertation). La neutralité visuelle revendiquée n’est toutefois pas si ascétique qu’il le prétend : ses rares peintures conservées le confirment, mais aussi Artaud de Montor, qui dès 1811 le présentait comme l’audacieux disciple de Jean-Baptiste Séroux d’Agincourt (1730-1814). Or l’on sait que ce dernier, rencontré en Italie à la fin de la Révolution (donc bien avant que ne paraisse, à partir de 1811, son Histoire de l’art par les monumens), récusait l’enthousiasme de ses admirateurs pour un art dont il concevait certes l’étude, mais non l’imitation. D’autre part, s’il apparaît aujourd’hui excessif de suivre Giovanni Previtali (La Fortune des primitifs, Paris, [1989] 1994, p. 116) lorsqu’il réduit son attrait pour les primitifs à une stérile « réaction bigote à la vision progressiste de la Renaissance », l’existence de motivations plus idéologiques, que soulignait avec vigueur l’historien de l’art italien, ne doivent pas pour autant être écartées. À la différence du protestant Athanase Coquerel fils (1820-1875), qui appelle de ses vœux un art alliant spiritualité et modernité, récuse le Moyen Âge et valorise l’héritage humaniste et individualiste de la Renaissance, dont il voit en Rembrandt la plus parfaite incarnation, une mouvance réactionnaire tente, à partir de la Monarchie de Juillet, de rechristianiser l’art et de lutter contre les progrès des conceptions matérialistes de la peinture en privilégiant l’art préraphaélite. Ces préoccupations, propres aux auteurs néo-catholiques Charles de Montalembert (1810-1870) et Alexis-François Rio (1797-1874), ne sont pas sans échos chez Paillot de Montabert, bien que le Traité complet ne l’exprime jamais explicitement.

Le Traité complet de la peinture aurait coûté à son auteur trente années de travaux et sa fortune, mais devait établir sa réputation. Pourtant, une décennie seulement après sa mort, l’ouvrage semble déjà anachronique et il n’est plus que David Sutter (1811-1880) pour s’y référer avec éloge (Philosophie des beaux-arts appliquée à la peinture. Paris, 1858, dédicace n. p.) et, dix ans plus tard, Charles Blanc (1813-1882) pour se souvenir de l’artiste visité dans sa retraite troyenne (Grammaire des arts du dessin. Paris, [1867] 2000, p. 501). Le romantisme, si violemment combattu par la Société libre des beaux-arts, est désormais victorieux et le réalisme même en passe d’institutionnalisation. La grande œuvre néoclassique n’inspire plus que de l’ironie à Charles Asselineau (1820-1874), dont L’Enfer du bibliophile (1860) imagine un amoureux des lettres conduit par un vieillard satanique à sacrifier ses plus chers auteurs pour acquérir l’ouvrage-monstre. Depuis lors, le Traité complet de la peinture n’a cessé d’être lu, mais d’une manière paradoxale, comme à rebours : parce qu’il fige un état transitoire, donc particulier, des représentations de la peinture (son histoire, ses pratiques et ses conceptions) avec un luxe extraordinaire de détails de toutes sortes, mais aussi parce que son pragmatisme, lié à un solide caractère analytique propre à son auteur, charme encore le lecteur moderne, lequel donne aux fondements matériels de la peinture une nouvelle place – aux antipodes de celle que lui accordait Paillot de Montabert.

Frédérique Desbuissons, maître de conférences en Histoire de l’art contemporain à l’Université de Reims Champagne-Ardenne

Principales publications

Ouvrages et catalogues d’expositions

Articles

  • « De la partie matérielle de la peinture chez les anciens et les modernes ». In Alexis-François Artaud de Montor, Considérations sur l’état de la peinture en Italie dans les quatre siècles qui ont précédé celui de Raphaël […], 2e éd. Paris : F. Schoell, 1811, p. 116-139.
  • « Dissertation sur les peintures du Moyen Age, et sur celles qu’on a appelées gothiques ; extrait d’un ouvrage inédit sur la Peinture ». Magasin encyclopédique, mars 1812, p. 53-90 et avril 1812, p. 339-358.
  • « David ». – In [Louis-Gabriel Michaud], Biographie universelle, ancienne et moderne, Supplément. Paris : L. G. Michaud, 1837, t. LXVII, p. 124-157.

Bibliographie critique sélective

  • [Edme-François-Antoine-Marie] Miel. – « Note sur la peinture à l’encaustique ». Annales de la Société libre des beaux-arts, t. IV, 1834, p. 57-63.
  • Mézières Letillois (de). – Biographie générale des Champenois célèbres, morts et vivants […]. Paris : Au bureau du Journal des peintres, 1836.
  • Carpentier Paul. – « Notice sur M. de Montabert, peintre et homme de lettres ». Annales de la Société libre des beaux-arts, t. XVII, 1847-1850, p. 133-147.
  • L[egrand] Gustave, Schitz Jules. – « Inauguration du monument élevé à la mémoire de Paillot de Montabert ». Mémoires de la Société d’agriculture, sciences, arts et belles-lettres du département de l’Aube, 1851-1852, p. 235-248.
  • Jouin Henry. – « Hittorff, Steuben, Abel de Pujol, Picot, Hué, David d’Angers. Demande de la croix d’honneur pour Paillot de Montabert (1843) ». In Les Maîtres peints par eux-mêmes : sculpteurs, peintres, architectes, musiciens, artistes dramatiques. Paris : Gaultier-Magier et Cie, 1902, p.292-299.
  • Morin Louis. – « L’Émigration de Paillot de Montabert ». Réunion des Sociétés des beaux-arts des départements, Section des beaux-arts, 1910, t. XXXIV, p. 99-114.
  • Lamy Eugène. – « La Découverte des primitifs italiens au XIXe siècle. Séroux d’Agincourt (1730-1814) et son influence sur les collectionneurs, critiques et artistes français ». Revue de l’art ancien et moderne, 1921, t. XXX, p. 169-181 et t. XL, p. 182-190.
  • Levitine George. – The Dawn of Bonhemianism : the Barbus Rebellion and Primitivism in Neoclassical France. University Park ; Londres : The Pennsylvania State University Press, 1978.
  • Rice Danielle. – The Fire of the Ancients : the Encaustic Painting Revival, 1755 to 1812. PhD. Dissertation. New Haven : Yale University, 1979.
  • Beyer Roland. – Alexis-François Artaud de Montor, 1772-1849 : diplomate, traducteur, historien et collectionneur, sa vie et son œuvre de 1772 à 1814. Thèse, université de Strasbourg 2, 1979. Lille : A.N.R.T., 1983.
  • Moutard-Brochet Marion. – « Pierre-Eugène Maison et la redécouverte à Troyes de la peinture à l’encaustique au milieu du XIXe siècle ». Gazette des Beaux-Arts, avril 1983, n°101, p.173-174.
  • Previtali Giovanni. – La Fortuna dei primitivi : dal Vasari ai neoclassici. Turin : Giulio Einaudi editore, 1964 ; trad. La Fortune des primitifs : de Vasari aux néoclassiques. Paris : Gérard Monfort, 1994.
  • Kohle Hubertus. – « La Modernité du passé : David, la peinture d’histoire et la théorie néo-classique ». In Régis Michel, éd., David contre David : actes du colloque organisé par le service culturel du musée du Louvre du 6 au 10 décembre 1989. Paris : La Documentation française, 1993, t. II, p.1095-1113.
  • Bertin Éric. – Collection « L’Art français sous la Révolution, l’Empire et la Restauration » : catalogue établi par Eric Bertin. L’Étang-la-Ville : Chez l’auteur, 2002.
  • Leniaud Jean-Michel, dir., collab. de Catherine Giraudon et Agnès Goudail. – Procès-verbaux de l’Académie des beaux-arts. Paris : École des Chartes, 2002, t.II.
  • Enfert Renaud (d’). – L’Enseignement du dessin en France : figure humaine et dessin géométrique (1750-1850). Paris : Belin, 2003.
  • Jacques-Nicolas Paillot de Montabert, Troyes, 1771-1849. Peintre et théoricien de l’art : [catalogue de l’exposition], Troyes, musée Saint-Loup, 5 mai-9 septembre 1007. Troyes, musées de Troyes, 2007, 112 p.
  • Desbuissons Frédérique, Wrigley Richard, dir. – Jacques-Nicolas Paillot de Montabert (1771-1849) : carrières et contextes d’un peintre-philosophe : actes du colloque international de l’université de Reims Champagne-Ardenne, Troyes, 4-5 mai 2007. À paraître, 2009.

Sources identifiées

Troyes, Archives départementales de l’Aube

  • Archives privées (série J)
    • 78 J : Archives de la famille Paillot de Montabert, 16e-21e siècles (don) : pièces relatives à l’histoire de la famille ; lettres de l’artiste à son père et son frère