Anonyme, Édouard Lartet (1801-1871). Vue de face d'un buste en marbre sur socle mouluré (par Louis Rochet, sculpteur, 1874), [s.d.], Saint-Germain-en-Laye, musée d'Archéologie nationale, © Marie-Hélène Thiault. Photographie, tirage sur papier argentique, 17,8 x 12,7 cm.

Auteur(s) de la notice :

HANTAI Anna

Profession ou activité principale

Paléontologue

Autres activités
Préhistorien, géologue

Sujets d’étude
Paléontologie animale et humaine, outillages préhistoriques, art paléolithique, géologie

Carrière
1820-1830 : licence de droit à Toulouse ; effectue un stage à Paris ; manifeste un goût pour les sciences naturelles, dont il suit des cours au Collège de France
1830 : retour dans le Gers ; administre la propriété familiale, près de Castelnau-Barbarens ; se consacre à des recherches de géologie et de paléontologie tertiaires
1836 : mène des recherches paléontologiques à Sansan (Gers) ; découverte du Pliopithecus antiquus (singe fossile du Tertiaire) ; entre en contact avec les paléontologues de l’Académie des sciences, notamment Henri Ducrotay de Blainville et Étienne Geoffroy Saint-Hilaire
1851 : assistant au Muséum d’histoire naturelle
1856 : découverte du Dryopithecus Fontani, autre singe fossile du Tertiaire, à Saint Gaudans (Pyrénées) ; mène des recherches paléontologiques avec Albert Gaudry à Pikermi (Grèce)
1860 : fouille à Massat (Ariège), puis à Aurignac (Haute-Garonne)
À partir de 1860 : fouille avec le banquier Henri Christy plusieurs grottes préhistoriques majeures dans la vallée de la Vézère (Le Moustier, Laugerie-Haute, Gorge d’Enfer, Les Eyzies, Laugerie-Basse, La Madeleine, Le Pech-de-l’Azé) ; découverte d’art mobilier paléolithique
1865 : membre de la Commission d’organisation du musée des Antiquités nationales
1866 : fouille à Hallstatt (Autriche) avec Arthur John Evans et John Lubbock
1867 : préside la Commission de l’âge de pierre à l’Exposition universelle de Paris ; préside le Congrès international d’archéologie et d’anthropologie préhistorique de Paris
1868 : obtient la chaire de paléontologie au Muséum d’histoire naturelle

Officier de la Légion d’honneur (1867) ; président de la Société géologique (1867) ; président de la Société d’anthropologie de Paris (1867)

Étude critique

Par les hasards de ses prospections, Édouard Lartet est devenu un des tout premiers inventeurs de l’art du Paléolithique récent (± 40 000 – 10 000 avant notre ère). Les œuvres en grotte n’étant pas encore reconnues, cet art se manifeste d’abord sous forme d’objets. Ces œuvres révèlent des « […] gravures et sculptures d’animaux que l’on a peine à accepter comme remontant à des temps si anciens, attendu que ces œuvres d’art s’accordent mal avec l’état de barbarie inculte dans lequel nous nous représentons ces peuplades aborigènes » (« Sur des figures d’animaux gravées ou sculptées et autres produits d’art et d’industrie rapportables aux temps primordiaux de la période humaine », 1864, p 264). En ces temps, où l’ancienneté même de l’Homme fait encore débat, Lartet sait que ses contemporains auront quelque peine à admettre cette nouvelle évidence archéologique que ses fouilles ont révélée : l’association entre un tel « degré de culture des arts » (ibid) et des restes de faune très ancienne.

Lartet, pour sa part, assume l’évidence. Il est déjà connu comme un des promoteurs de l’idée d’un Homme fossile, une idée qui tarde à s’imposer auprès de la communauté scientifique française de l’époque. Dès 1845, c’est même par anticipation qu’il annonce la découverte de fossiles humains : « Un type supérieur ne s’y est pas encore retrouvé, celui du genre humain. […] Mais de ce que les restes osseux de l’homme, ni les vestiges de son industrie ne se sont nulle part montrés dans ces formations anciennes, il ne faut pas se hâter de conclure qu’il n’existait pas » (1845). Les découvertes, et notamment celles qu’il effectue à Aurignac, en 1861, ne tardent pas à confirmer cette prémonition.

Cette prémonition lui est venue de ses recherches en paléontologie. Sa vocation pour cette science semble naître de la découverte d’une dent de mastodonte, apportée par un paysan en échange de conseils juridiques. Suite à la rédaction, en 1835, d’une première note sur ses découvertes, pour l’Académie des sciences, celle-ci le mandate alors pour effectuer des recherches destinées à enrichir les collections paléontologiques du Muséum d’histoire naturelle. La découverte retentissante qu’il fait en 1836, à Simorre et dans la colline de Sansan (Gers), du premier singe fossile, le Pliopithecus antiquus, vient contredire la thèse de Cuvier selon laquelle les singes seraient d’apparition récente. Par la suite, c’est donc l’ancienneté même de l’Homme que Lartet n’a de cesse de prouver. Et pour cela, il agit toujours en paléontologue, démontrant par les fouilles qu’il commande l’association entre outils en pierre, éventuels restes humains et faunes disparues. Il va plus loin et propose une des toutes premières chronologies de la Préhistoire, fondée sur la succession des principales espèces contemporaines des Hommes (1861, p. 177-253).

À ce propos, il faut souligner la modernité de certaines de ses analyses. Esprit scientifique rigoureux, Lartet vise l’établissement des faits et sélectionne avant tout, pour l’établissement de sa chronologie, les restes de gibier, c’est-à-dire ceux portant indubitablement des traces d’intervention humaine, par exemple sous la forme d’incisions laissées par les outils de découpe. Il les interprète comme « les preuves les plus directes et les moins contestables de l’ancienneté de l’Homme et de sa contemporanéité avec des espèces depuis longtemps disparues » (1859-1860). Cette communication effrayera l’Académie à tel point qu’elle n’en publiera que le titre (« Sur l’ancienneté géologique de l’espèce humaine dans l’Europe occidentale ») dans les comptes rendus de ses séances !

Ses fouilles, exécutées quant à elles, par des terrassiers, sont moins modernes, si bien que la documentation archéologique réunie reste limitée, conformément à ce qui s’observe la plupart du temps à son époque. Dommage, car Lartet et son ami, le banquier et mécène anglais Henri Christy, entreprennent l’exploration assez destructrice de quelques gisements fameux, par exemple Massat en Ariège, ou dans la vallée de la Vézère, Les Eyzies, Gorge d’Enfer, Laugerie-Basse ou La Madeleine.

C’est à La Madeleine et à Laugerie-Basse, dans des couches probablement magdaléniennes (± 16 000 – 12 000 avant le présent), que Lartet et Christy découvrent plusieurs objets décorés, dont certains constituent encore aujourd’hui des œuvres de référence.

Peu préparé à ces découvertes qui cadrent assez mal avec l’idée d’un Homme primitif, Lartet développe à leur propos une interprétation assez simpliste : « Or, si la nécessité est mère de l’industrie, on peut dire aussi que les loisirs d’une vie facile enfantent les arts » (« Sur des figures d’animaux gravées ou sculptées et autres produits d’art et d’industrie rapportables aux temps primordiaux de la période humaine », 1864, p. 264). Dans cette vision rousseauiste, on retrouve les fondements de cette théorie dite de « l’art pour l’art », qui prévaut jusqu’à ce que s’imposent des explications plus utilitaristes comme « la magie de la chasse » promue par Salomon Reinach.

En somme, l’apport théorique de Lartet à l’étude des arts préhistoriques reste assez pauvre. Son apport est essentiellement celui du découvreur, celui aussi d’un chercheur qui argumente d’emblée en faveur de l’ancienneté pour des raisons d’évidence. Par la suite, d’autres auront plus de mal à démontrer l’ancienneté de l’art en grotte en l’absence de telles évidences stratigraphiques. S’il a fallu tant argumenter, c’est que cet art bouleversait les idées préconçues sur l’Homme préhistorique. Lartet, s’en était fait finalement une raison. « Quand à l’objection tirée du contraste qu’offre l’exécution de ces œuvres d’art avec l’ancienneté que nous leur attribuons, nous ferons simplement remarquer que le progrès et la perfection dans les arts ne se manifestent pas toujours en conformité des gradations chronologiques » (« Sur des figures d’animaux gravées ou sculptées et autres produits d’art et d’industrie rapportables aux temps primordiaux de la période humaine », 1864, p. 264 ).

À la fin de sa vie, Lartet acquiert l’entière reconnaissance officielle de la communauté scientifique, ce qui lui permet de siéger dans les principales sociétés de géologie et d’anthropologie. En 1865, il concourt à la création du musée des Antiquités nationales, en tant que membre de la Commission d’organisation du musée, sous la présidence du comte de Nieuwerkerke, et aux côtés d’Alexandre Bertrand, de Félix de Saulcy, et de Jacques Boucher de Perthes. Esprit éclectique, il participe en 1866 aux investigations menées par Arthur John Evans et John Lubbock sur le célèbre site autrichien de Hallstatt, gisement éponyme du Premier Âge du fer.

C’est à cette époque que son fils Louis, rendu célèbre par la découverte de Cro Magon, reprend le flambeau à la fois comme préhistorien et comme géologue. Le père obtient la chaire de paléontologie au Muséum d’histoire naturelle en 1869, mais il n’enseignera pas car il tombe malade peu de temps après, et retourne dans le Gers pour mourir en 1871, à l’âge de 70 ans. C’est donc quelques années après sa mort que paraîtra, cosigné avec Christy, Reliquiae aquitanicae : being contribution to the Archaeology and Paleontology of Perigord and the adjoining provinces of Southern France (1875). Malheureusement inachevé, il s’agit d’un des ouvrages fondateurs de l’archéologie préhistorique, qui rassemble articles et communications sur la géologie, la paléontologie, la culture matérielle et l’art des sites du Périgord préhistorique.

Anna Hantaï, documentaliste

Principales publications

Ouvrages et catalogues d’expositions

  • Reliquiae aquitanicae : being contribution to the Archaeology and Paleontology of Perigord and the adjoining provinces of Southern France. Collab. de Henri Christy. Édité par Thomas Rupert Jones, 1865-1875. Londres : Williams and Norgate (H. Baillière), 1875, 2 parties en 1 vol., 10 livraisons parues, inachevé.

Articles

  • « Note sur les ossements fossiles des terrains tertiaires de Simorre, de Sansan, etc., dans le département du Gers, et sur la découverte récente d’une mâchoire de singe fossile ». Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des sciences, 1837, t. IV, séance du 16 janvier 1837, p. 85-93.
  • « Considérations sur le Diluvium sous-périnéen : lettre de M. Lartet à M. Arago ». Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des sciences, 1838, t. VI, séance du 26 mars 1838, p. 377-382.
  • « Considérations géologiques et paléontologiques sur le dépôt lacustre de Sansan, et sur les autres gisements fossiles appartenant à la même formation dans le département du Gers ». Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des sciences, 1845, t. XX, séance du 10 février 1845, p. 316-320.
  • « Note sur un grand singe fossile qui se rattache au groupe des singes supérieurs ». Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des sciences, 1856, t. XLIII, séance du 28 juillet 1856, p. 219-223.
  • « Sur les migrations anciennes des mammifères de l’époque actuelle ». Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des sciences, 1858, t. XLVI, séance du 22 février 1858, p. 409-414.
  • « Note sur des os fossiles portant des empreintes ou entailles anciennes et attribuées à la main de l’homme ». Bulletin de la Société géologique de France, 1859-1860, 2e série, t. XVII, p. 492-495.
  • « Sur l’ancienneté géologique de l’espèce humaine dans l’Europe occidentale ». Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des sciences, 1860, t. L, séance du 19 mars 1860, p. 599 (texte non publié) ; Annales des sciences naturelles. II. Zoologie, 1860, 4e série, t. XIV, p. 117-122.
  • « Addition à la note sur l’ancienneté géologique de l’espèce humaine, présentée le 19 mars 1860 ». Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des sciences, 1860, t. L, séance du 23 avril 1860, p. 790-791.
  • « Nouvelles Recherches sur la coexistence de l’homme et des grands mammifères fossiles réputés caractéristiques de la dernière époque géologique ». Annales des sciences naturelles. II. Zoologie, 1861, t. XV, p. 177-253.
  • Milne Edwards (collab. de). – « Remarques sur quelques résultats des fouilles faites récemment par M. de Lastic, dans la caverne de Bruniquel ». Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des sciences, 1864, t. LVIII, séance du 8 février 1864, p. 264-266.
  • « Sur de nouvelles observations de MM. Lartet et Christy relatives à l’existence de l’homme dans le centre de la France à une époque où cette contrée était habitée par le renne et d’autres animaux qui n’y vivent pas de nos jours ». Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des sciences, 1864, t. LVIII, séance du 29 février 1864, p. 401-408.
  • Christy Henri (collab. de). – « Sur des figures d’animaux gravées ou sculptées et autres produits d’art et d’industrie rapportables aux temps primordiaux de la période humaine ». Revue archéologique, 1864, nouv. série, 5e année, n° 9, p. 233-267 ; in L’Ancienneté de l’homme, appendice de Sir Charles Lyell.
  • « L’Homme fossile dans le Périgord ». In Boucher de Perthes Jacques, L’Homme fossile en France, communications faites à l’Institut, Académie des sciences par Boucher de Perthes, Boutin et al. Paris : J.-B. Baillière et fils, 1864, p. 135-177.
  • « Lettre à M. Milne Edwards relative à une lame d’ivoire fossile trouvée dans un gisement ossifère du Périgord et portant des incisions qui paraissent constituer la reproduction d’un éléphant à longue crinière ». Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des sciences, 1865, t. LXI, séance du 21 août 1865, p. 309-311.

Bibliographie critique sélective

  • Cent ans de préhistoire toulousaine : [catalogue de l’exposition], Toulouse : Muséum d’histoire naturelle de Toulouse. Toulouse : Imprimerie régionale, 1956. 87 p.
  • Coye Noël. – La Préhistoire en parole et en acte : méthodes et enjeux de la pratique archéologique (1830-1950). Paris : L’Harmattan, 1997, 338 p. (« Histoire des sciences humaines »).
  • Groenen Marc. – Pour une histoire de la préhistoire : le Paléolithique. Grenoble : Éd. Jérôme Million, 1994, 603 p.
  • Hommage à Édouard Lartet paléontologue et préhistorien : 1801-1871. Auch : Société archéologique, historique, littéraire et scientifique du Gers, 175 p.
  • Richard Nathalie (textes choisis, préfacés et commentés par). – L’Invention de la Préhistoire : anthologie. Paris : Presses Pocket, 1992, 352 p. (« Agora. Les Classiques », n° 86).
  • Goulven Laurent. – « Édouard Lartet (1801-1871) et la Paléontologie humaine ». Bulletin de la Société préhistorique française, 1993, t. XC, n° 1-2, p. 22-30.
  • Vie et Travaux de Édouard Lartet publiés à l’occasion de sa mort. Paris : C. Reinwald, 1872, 80 p.

Sources identifiées

Toulouse, Bibliothèque interuniversitaire de Toulouse

  • « Papiers d’Édouard et Louis Lartet »