Gustave Courbet, Jules-Antoine Castagnary, 1870, Paris, musée d'Orsay, © Photo musée d'Orsay / RMN. Huile sur toile, 55 x 45,5 cm.

Auteur(s) de la notice : SCHLESSER Thomas

Profession ou activité principale

Journaliste et juriste

Autres activités
Homme politique

Sujets d’étude
Art vivant, naturalisme, rapports entre arts et politique

Carrière
1830 : naissance à Saintes
1849 : gagne Paris pour faire des études de droit
1857 : premier article parisien dans La Revue moderne, rend compte du Salon
1858-1864 : collabore successivement à L’Audience (1858), L’Opinion nationale (1860), Le Mouvement (1862), La Nouvelle Revue de Paris (1864)
1861-1865 : collabore au journal Le Courrier du dimanche
1864 : publie Libres Propos, recueil d’articles écrits pour Le Courrier du dimanche
1865-1867 : rédacteur en chef et directeur du Nain jaune, qui connaît de sérieux déboires avec les censeurs et se trouve plusieurs fois interdit pour « mauvais esprit », « articles injurieux », « réflexions malveillantes », etc. (notamment à l’endroit du culte catholique) ; suite à ces sanctions, séjourne quinze jours en prison à Sainte-Pélagie en février 1866
Novembre 1867 : cède Le Nain jaune à deux de ses collaborateurs
1867 : entre au journal L’Époque
1868-1879 : écrit pour le journal Le Siècle, collaboration fructueuse qui lui permet d’asseoir son autorité sur les plans artistique comme politique
1877 : publie Les Jésuites devant la loi française
1874-1879 : conseiller municipal du XVe arrondissement de la Ville de Paris
1879-1888 : conseiller d’État
1887-1888 : directeur des Beaux-Arts

Étude critique

C’est un chemin de traverse qui conduit Jules-Antoine Castagnary à traiter d’esthétique. Né le 11 avril 1830 dans un milieu d’artisans et de commerçants (son père tient une entreprise de mégisserie) à Saintes, il se destine plutôt, dans un premier temps, aux fonctions politiques et administratives. Il est bon élève et, dans sa ville natale, fait ses premiers pas de journaliste dès l’âge de 19 ans, avant d’étudier sérieusement à l’École de droit, à Paris. Insuffisamment riche pour mener ce cursus à son terme, il assistera cependant un avoué comme principal-clerc à compter de 1854. Républicain, il admire Jules Michelet et Jules Simon, lit Saint-Simon et Auguste Comte. Comme tous les bohèmes de sa génération, il déplore le coup d’État du 2 décembre 1851. L’avènement du Second Empire, foncièrement liberticide, conforte son inclination pour l’histoire de l’art. Et la clef de sa disposition est donnée dès l’ouverture de sa première publication sur le sujet : « Dans ce livre, il n’est question que de beaux-arts. Mais […] nier ou affirmer en matière d’art, c’est argumenter et conclure non seulement pour l’Esthétique, mais encore pour la Religion, la Philosophie, la Morale, la Politique et le reste : la partie est aussi grande que le tout » (Philosophie du Salon de 1857, t. I, 1892).

Dans un contexte où la liberté d’expression se trouve sévèrement mise à mal, Castagnary cherche une brèche du côté du discours sur l’art. Quoiqu’il s’inspire de la plume de Denis Diderot et ne se départisse jamais d’une rigueur historique héritée des travaux de Gustave Planche, il suit d’abord et avant tout le sillon tracé par Théophile Thoré. Ce dernier, compromis par son implication dans la Révolution de 1848, a dû fuir la France et, d’une certaine manière, c’est cette place vide que Castagnary reprend. L’occasion lui en est donnée lorsque La Revue moderne, d’obédience saint-simonienne, lui confie un Salon. Il en tire La Philosophie du Salon de 1857 qui, en un style enlevé, construit une réflexion vivante sur la situation des beaux-arts. Castagnary se livre d’abord à un impressionnant rejet du bilan dressé lors de l’Exposition universelle deux ans auparavant. La manifestation avait beau chercher à asseoir la supériorité de l’École française (par l’excellence de la rivalité entre Jean-Auguste-Dominique Ingres et Eugène Delacroix, notamment), elle fut plutôt, aux yeux de Castagnary, l’attestation de « l’anarchie des idées et le trouble intellectuel [des] trente dernières années ». Parti d’une table rase, l’esthète croit décerner, en 1857, une « unité de tendance » qui va occuper ses nombreux textes : la promotion du « côté humain ». Pour le dire autrement, il s’opère selon lui une substitution : la représentation de l’invisible (la peinture des anciennes écoles, religieuse, mythologique, historique « nul[le] du point de vue du beau ») périclite au profit d’une représentation du visible (paysages et peintures de genre). Ce type de représentation, à l’instar des Glaneuses de Jean-François Millet, doit pouvoir dispenser un message qui meuve et émeuve les foules en lui parlant directement et démocratiquement. Compte tenu de la mission morale qui est assignée à la création, l’art pour l’art n’a plus aucun intérêt.

Le constat enthousiaste en faveur de cet avènement d’un art du visible le conduit naturellement à adhérer aux maîtres du réalisme. À deux nuances près. D’une part, il n’aime pas le terme et lui préférera celui de naturalisme. D’autre part, il vante les paysages sensuels et enchanteurs de Jean-Baptiste Corot, Jean-Jacques Rousseau ou Charles-François Daubigny, mais se méfie considérablement de Gustave Courbet – un peintre « sceptique » dont le besoin de scandale lui paraît obsolète. Un spectaculaire retournement de situation, une véritable conversion se produit pourtant. En mai 1860, les deux hommes se rencontrent et sympathisent. Castagnary devient alors le défenseur patenté de Courbet, à l’heure où, progressivement, Jules Champfleury s’en écarte. Les deux hommes fonctionnent presque en binôme et c’est alors la peinture du « maître d’Ornans », qui dicte les orientations esthétiques du Saintongeais. Après avoir intensément soutenu Courbet dans ses batailles juridiques après la Commune, il deviendra le chantre de sa réhabilitation, en publiant quelques mises au point à son sujet, en intégrant ses œuvres aux collections publiques et en orchestrant une remarquable exposition rétrospective à l’École des beaux-arts en 1882.

Castagnary exemplifie parfaitement la façon dont la conception de l’Idéal en art a changé au tournant du XIXe siècle. La fréquentation d’une peinture nouvelle, issue de tempéraments singuliers, le conduit à considérer cette notion comme « le libre produit de la conscience de chacun » et non plus comme une « révélation d’en haut ». Dans son Salon de 1864, il écrit ainsi que Raphaël, dans la « fabuleuse aventure » de l’Idéal, est un « point culminant » en aval duquel il n’y a plus que « décadence ». Voilà qui explique – entre autres – son souverain mépris pour les continuateurs du classicisme tels que Gustave Moreau avec son Sphinx.

Parmi les maîtres, Velázquez est en revanche une source féconde, dont Courbet serait un illustre héritier, non seulement pour servir de « guide » à la société entière (Salon de 1861), pour imposer une « peinture socialiste » (Salon de 1863) et servir de « mandataire » à « la génération en marche » (Salon de 1868), mais encore pour satisfaire les sens de son public.

Car le naturalisme de Castagnary procède aussi de cette exigence : prodiguer, par la peinture, l’exquise sensualité et les variations sensorielles à l’œuvre dans la nature. Ses options esthétiques préparent ainsi le terrain à la légitimité de la démarche l’impressionniste. Traitant de ce mouvement en avril 1874, il en vante les qualités. Il en désamorce aussi la prétendue dangerosité artistico-politique en feignant de s’en inquiéter à l’heure où La Presse parle de « l’exposition des révoltés ».

Les options modernistes de Castagnary ne se démentent pas à l’heure où il accède à de hautes responsabilités administratives en matière de culture. Proche de Léon Gambetta, il fait partie des grands bénéficiaires de la chute de l’Empire. Il est élu au conseil municipal du XVe arrondissement à partir de novembre 1874. Castagnary est convaincu de l’importance du rôle de l’État dans le domaine artistique – il le dit dans son Salon de 1876 – et ne trahit donc pas ses positions en devenant conseiller d’État en 1879 et, en 1880, membre du Conseil des beaux-arts, puis membre du Comité des monuments historiques en 1881. En 1882, il prend très brièvement la tête de la direction générale des cultes et, enfin, celle des Beaux-Arts en 1887. Ces différentes fonctions l’amènent – d’abord comme conseiller municipal – à défendre le projet d’un « musée de la révolution », à proposer d’élever une statue célébrant la Révolution et la République, à donner des noms de rue de Paris à des artistes qui ont défendu les valeurs républicaines. Comme conseiller d’État, il a particulièrement œuvré dans la commission d’enquête sur la situation des ouvriers et des industries d’art.

Laïc invétéré, Castagnary officie également sous l’égide de Paul Bert comme directeur des cultes : dans un climat de polémique avec la presse, il tente de faire respecter le Concordat et les Articles organiques réglementant les rapports entre l’Église et l’État. Son action s’inscrit dans la lignée de son ouvrage, Les Jésuites devant la loi française, publié en 1877.

Il prend ses fonctions de directeur de Beaux-Arts en octobre 1887, déclarant : « justice et progrès sont les deux mots que je voudrais voir inscrits au frontispice de cette direction nouvelle ». Il cherche à démocratiser et à diffuser l’histoire de l’art par la création de cours du soir et par une clarification des explications au public au Louvre. Il passe également quelques commandes : la décoration du grand escalier du musée des Beaux-Arts de Rouen à Pierre Puvis de Chavannes, un buste de Sadi Carnot au sculpteur Henri Chapu, les bustes d’Honoré Daumier et de Paul Gavarni à Alfred Lenoir. À sa mort, le 11 mai 1888, il a droit à des obsèques grandioses au Père-Lachaise.

Thomas Schlesser

Principales publications

Ouvrages et catalogues d’expositions

Articles

  • « Fragment d’un livre sur Courbet ». Gazette des Beaux-Arts, janvier et décembre 1911, janvier 1912.

Bibliographie critique sélective

  • Guigard Joannis. – Castagnary, écrivain saintongeais. Paris : Dupray de la Mahérie, 1865.
  • Dorra Henri. – « Entre romantisme et naturalisme : Castagnary et Courbet ». In Bouillon Jean-Paul, dir., La Critique d’art en France 1850-1900 : actes du colloque, Clermont-Ferrand, mai 1987. Saint-Étienne : Centre interdisciplinaire d’études et de recherches sur l’expression contemporaine, 1989.
  • Bouillon Jean-Paul, dir. – La Promenade du critique influent : anthologie de la critique d’art en France 1850-1900. Paris : Hazan, 1990.
  • Goliard Viviane (née Alix Leborgne). – Jules-Antoine Castagnary (1830-1888), un critique d’art républicain, thèse en linguistique et littérature française, université Paris 3, 1993, 1048 p.
  • Schlesser Thomas. – Réceptions de Courbet, fantasmes réalistes et paradoxes de la démocratie. Dijon : Les Presses du réel, 2007.

Sources identifiées

Paris, Archives de Paris

  • D2 M2 73 : lettre de Castagnary annonçant sa démission du conseil municipal de Paris, 29 juillet 1879

Paris, Archives des Musées nationaux

  • P30 : une trentaine de lettres de Castagnary, pour la majorité adressées à Juliette Courbet au sujet du règlement de la succession de son frère

Paris, Archives nationales

  • F18391 : lettres concernant les démêlés de Castagnary avec l’administration à propos du journal Le Nain jaune

Paris, Archives nationales, minutier central des notaires parisiens, étude n°5

  • Testament de Castagnary, 10 novembre 1885. Il prie son épouse d’organiser la vente des objets de sa collection qu’elle ne souhaite pas conserver. « Le produit à provenir de cette vente sera affecté à l’impression et à la publication, après mon décès si je n’y pourvois pas moi-même de mon vivant, d’un choix de mes meilleurs salons et articles artistiques ou littéraires. »

Paris, Bibliothèque nationale de France, département des Manucrits occidentaux

  • NAF 240 20 et 87 AP2 : lettr s de Castagnary à Jules Simon
  • Autres lettres de Castagnary (NAF 15512 F. 41-42 ; NAF 15817 F. 362 (copie) ; NAF 17377 F. 142 ; NAF 24875 F. 178-181)

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