Auteur(s) de la notice : AMIOT-SAULNIER Emmanuelle

Profession ou activité principale

Historien de l’art, critique d’art, conservateur du musée de Bourg-en-Bresse

Autres activités
Philosophe

Sujets d’étude
Art chrétien, architecture, arts décoratifs, art et société, art lyonnais, art bressan, vie des saints, les Clouet

Carrière
Élève de l’École des beaux-arts de Lyon
1886 : consacre des études au Salon de 1886, aux arts décoratifs et au théâtre
1889-1896 : critique pour la revue Art et Critique, puis L’Ermitage, où il écrit sous le pseudonyme de « Kallophile L’Ermitte » ; publications régulières dans La Plume, puis le mensuel anarchiste Entretiens politiques et littéraires
1919 : conservateur des musées Lorin (beaux-arts) et Guillon (Arts et traditions populaires)
1922 : installe les musées Lorin et Guillon dans les cloîtres du musée de Brou ; rédige un inventaire des collections
1923 : publication de Le Musée de Bourg aux éditions Laurens
1927 : démissionne par suite de divergences avec la municipalité

Étude critique

Critique symboliste d’origine lyonnaise, Alphonse Germain commence sa carrière en 1889 dans les colonnes de la revue Art et Critique (1889), puis dans celles de L’Ermitage (1890-1896), sous le pseudonyme de « Kallophile L’Ermite ». Collaborant régulièrement à La Plume (1891-1902) et plus ponctuellement au Moniteur des arts (1891), à L’Art et l’Idée (1892) et à la Gazette des Beaux-Arts (à partir de 1907), il réunit ses textes les plus importants en 1893, en un volume intitulé Pour le beau : essai de Kallistique. Citant Charles Blanc dans un article de La Plume du 15 mai 1891, Alphonse Germain définit parfaitement ce qu’il attend d’un artiste et de sa recherche du « style » : « la vérité agrandie, simplifiée, dégagée de tous les détails insignifiants, rendue à son essence originelle ». Phrase emblématique, qui place sa critique d’art sous le signe de l’idéal, tournant le dos à ce qu’il nomme les « tendances néo-réalistes ». L’auteur, évoluant dans le milieu des symbolistes à la fin du siècle, est en effet l’un des premiers défenseurs de ce mouvement. Alexandre Séon incarne, au sein de cette phalange, l’artiste parfait, celui qui aurait su concilier les exigences de la tradition, héritée de son maître Pierre Puvis de Chavannes, avec celles du modernisme. Dans ces articles qui le distinguent dans les années 1890, publiés notamment dans La Plume, Alphonse Germain entreprend une analyse des éléments de la peinture et de leur portée symbolique. Suivant en cela les théories de Charles Henry, mathématicien féru d’esthétique, il affirme que les couleurs et les lignes ont une qualité expressive et permettent à l’artiste de réaliser l’harmonie décorative qui doit être le but de toute œuvre d’art. Ainsi, par exemple, l’horizontale est facteur de calme, les lignes ascendantes sont porteuses de gaîté tandis que leur opposé est vecteur de tristesse. N’ignorant pas que ces réflexions sont partagées par certains artistes contemporains, et en particulier Georges Seurat, il cite son exemple, tout en refusant à ce dernier le statut d’artiste modèle : Seurat se serait arrêté à l’application d’expériences scientifiques, ne tenant pas compte du but de l’art, qui ne peut se résumer « à entasser des matériaux ».

Malgré cette réflexion, il n’est pas question de relier le critique aux spéculations contemporaines d’Albert Aurier, qui pose les fondements d’une définition du symbolisme en peinture dans un article du Mercure de France en mars 1891. Aurier, en effet, s’appuie sur l’exemple, admirable à ses yeux, de Gauguin, artiste qu’Alphonse Germain condamne avec violence. Répondant à Maurice Denis, qui vient d’écrire sur les « néo-traditionnistes » (Art et Critique, août 1890), mais aussi aux expériences de la jeune génération qu’incarnent Paul Gauguin et Vincent Van Gogh, Alphonse Germain rétorque dans un article intitulé « Théorie des déformateurs » (La Plume, 1er septembre 1891) que leur simplification de la forme reviendrait à renoncer à toute syntaxe, établissant un parallèle entre peinture et littérature. Et, conscient de cette poussée nouvelle de primitivisme, il développe une argumentation véhémente : « Parbleu, les Byzantins, les précurseurs de Giotto ou de Memling ont gauchi les formes, équipollé les teintes – par ignorance. Ils étaient de leur temps, soyons du nôtre : les imperfections ne sont touchantes qu’autant que le Divin en émane, que la Foi a guidé la main. » Mais revenir à cela, le temps n’étant pas de nature à être remonté, ce serait « aboutir à un art décoratif inférieur puisque sans rapports avec notre race et notre modernité ».

L’auteur est en fait loin d’avoir toutes les audaces des symbolistes qu’il défend. Si les plus primitifs, tels Gauguin et les nabis, n’obtiennent pas ses grâces, aucun de ceux qui se sont adonnés au satanisme ou à la pornographie dans le choix des sujets ne retient son attention. La face sombre de son sujet de prédilection est délibérément occultée, et même Félicien Rops, qu’il nomme pourtant, revêt les habits de la tradition et de l’idéal sous ce regard pour le moins partial. De même, alors qu’il appelle de ses vœux des artistes qui sauraient renouveler les arts décoratifs, il ne rend pas grâce aux Nabis, ainsi qu’à toutes les expériences en ce domaine, au tournant du siècle. C’est d’ailleurs à Alexandre Séon, symboliste plus traditionnel, qu’il a pu rencontrer aux mercredis de L’Ermitage, que le critique dédie le premier de ses essais d’esthétique, Pour le beau : essai de Kallistique, publié en 1893. Dans une langue fleurie de néologismes, il reprend et développe ses thèses précédentes, affirmant que la science ne saurait guider seule les artistes. C’est pourquoi les recherches d’un naturaliste comme Jules Bastien-Lepage ou celles de Seurat – qualifiées de chromo-luminarisme – ne peuvent satisfaire : la photographie ou les sciences portant sur la vision ne sauraient donner à l’artiste l’alphabet de l’harmonie. De même, être moderne ne consiste pas à représenter la vie contemporaine ; ceux qui, à la suite d’Édouard Manet, sont « séduits par le curieux, l’exubérant de la vie, ceux-là se cantonnent en le pittoresque des choses, en la représentation du tangible ». Germain donne dès le début de l’essai l’une des clés de compréhension de sa conception de l’art : « qui commence par douter de Dieu finit par perdre toute logique, partant toute notion de l’Harmonie, cette logique des arrangements et des rythmes ». Le religieux, plus encore que le spirituel, est en effet au cœur de ses préoccupations.

S’il ne donne pas expressément pour mission à l’œuvre d’art d’évangéliser, la régénérescence de l’art religieux est un souhait très vif et suscite la rédaction de l’ouvrage essentiel sur le sujet, en 1906 : Comment rénover l’art chrétien : caractères de l’art chrétien, causes de sa dégénérescence et moyens de le relever. L’auteur, catholique fervent et anti-républicain, renoue au fil de ces pages avec certains lieux communs de la doctrine catholique, mise en place dès les années 1830 : Fra Angelico est placé au firmament, tandis que les Italiens de la Renaissance seraient coupables d’avoir éloigné l’art de l’inspiration véritablement chrétienne : « Les Italiens, mal inspirés par l’antique, ne surent pas concilier la belle santé du corps avec celle de l’âme. Séduits par les réalités sensibles, ils négligèrent la beauté morale pour celle des formes et ne se soucièrent que de la vie naturelle ; dans les thèmes sacrés, la plupart ne virent que des prétextes à scènes décoratives ou à tableaux dramatiques. »

Ces préoccupations sont au cœur de son travail d’historien de l’art et animent de manière récurrente les diverses publications de sa carrière. La religion chrétienne étant l’un des fondements de l’identité française et de la tradition, le peintre ne saurait s’en passer sans perdre son âme. Car l’autre leitmotiv de ses écrits est effectivement le caractère national, ou régional, de l’art, qu’il développe dès 1894 dans Notre art de France, étude, et trouve parfois des accents nationalistes assez nauséabonds. Ainsi, la Renaissance, après l’apogée du XIIIe siècle, amorcerait une décadence et dénaturerait l’art français : « C’est cette manière italienne qui, follement fêtée chez nous, accentua le retour à l’antique mal compris et adultéra notre art ». On comprendra aisément, dès lors, pourquoi ce Lyonnais d’origine consacre un ouvrage aux Artistes lyonnais en 1910 (réunion d’articles publiés dans la Gazette des Beaux-Arts), ou certains articles, tel que celui écrit en 1905 dans la Gazette des Beaux-Arts sur Jean Seignemartin, peintre lyonnais lui aussi. Répondant à Charles Baudelaire, à plus de cinquante ans de distance, il définit ainsi une école lyonnaise, plongeant dans La Philosophie de Taine (1865) les racines de cette vision régionaliste de l’art. Celle-ci explique aussi les jugements à l’emporte-pièce, parfois de nature raciste, sur des arts étrangers, comme l’art japonais. Elle peut néanmoins donner lieu à des études plus bénéfiques pour l’histoire de l’art telles que celle sur l’art des Clouet (un an avant l’étude d’Étienne Moreau-Nélaton) ou celle sur Les Néerlandais en Bourgogne, travail pionnier publié en 1909. Dans sa tentative de définir un art typiquement français, la biographie des Clouet, dans une étude des œuvres plus subjective que s’appuyant réellement sur une recherche de sources premières, s’attache surtout aux caractères d’individualisation du sujet, et loue Jean Clouet pour « sa pénétrante interprétation des caractères individuels ». Nous retrouvons dans Les Néerlandais en Bourgogne bien des leitmotive de ses études : l’attachement au caractère expressif, la définition d’un art spécifiquement bourguignon, régénéré par l’art des Pays-Bas, qui s’éloignerait des poncifs byzantins au XIIIe siècle, et dont l’un des plus beaux exemples serait Vézelay ; la conquête d’un art « naturel et vivant », dont l’apothéose se situerait aux XIVe et XVe siècles, avant de s’italianiser au XVIe siècle. La plus grande figure en est Claus Sluter, dans lequel il salue « la puissance expressive et vivificatrice ». L’attachement aux caractères ethniques, natifs, qu’il démêle des influences extérieures, s’affirme ainsi de manière moins polémique que dans sa critique d’art, de même que dans son activité de conservateur des musées de Bourg-en-Bresse, à partir de 1919 (et jusqu’en 1927 – c’est lui qui installe en 1922 dans les cloîtres du musée de Brou les musées municipaux Lorin et Guillon) : les catalogues Le Musée de Bourg (1923) ou Le Mobilier bressan (1927) poursuivent de façon moins partisane une réflexion amorcée depuis la fin du siècle et dont le grand initiateur est Hippolyte Taine. Il ne faut certes pas oublier que le début du XXe siècle est marqué par un nationalisme qui peut se comprendre au regard de l’histoire. Néanmoins, les accents conservateurs et patriotiques nuisent à l’ensemble de l’œuvre écrite d’Alphonse Germain, et contribuent à figer sa vision des arts dans une acceptation nationaliste ou régionaliste, à l’heure de la mondialisation des avant-gardes.

Emmanuelle Amiot-Saulnier, docteur en histoire de l’art

Principales publications

Ouvrages et catalogues d’expositions

Articles

  • « Critique d’art. Sur un tableau refusé. Théorie du symbolisme des teintes ». La Plume, 15 mai 1891, p. 171-172.
  • « Petits Maîtres oubliés. Jean Seignemartin ». Gazette des Beaux-Arts, 1905, t. XXXIV, p. 131-136.
  • « Théorie chromo-luminariste. Exposé et critique ». La Plume, 1er septembre 1891.
  • « Théorie des déformateurs. Exposé et réfutation ». La Plume, 1er septembre 1891, p. 289-290.
  • « Alexandre Séon ». La Plume, 1er septembre 1891, p. 303.
  • « Botticelli et la Divine Comédie ». Mercure de France, septembre 1900, p. 676-693.
  • « Le Congrès de Toulouse et la Rénovation de nos arts décoratifs ». Le Correspondant, 10 août 1910, p. 538-556.

Bibliographie critique sélective

  • Lorenz Otto. – Catalogue général de librairie française. Paris, t. XIIX, 1908.
  • Marlais Michael. – Conservative Echoes in the Avant-Garde : Anti-naturalisme, Idealism and Symbolism in French Fin de siècle Art Criticism, thèse, University of Michigan, 1985.
  • Naubert-Riser Constance. – « La Critique des années 1890 ». Actes, 1989, p. 193-204.
  • La Promenade du critique influent : anthologie de la critique d’art en France 1850-1900, textes réunis et présentés par J.-P. Bouillon, N. Dubreuil-Blondin, A. Ehrard et C. Naubert-Riser. Paris : Hazan, 1990, p. 345-348.
  • Pochon Arianne. – Histoire des collections du Musée municipal de la ville de Bourg-en Bresse, 1842-1992, maîtrise, université de Lyon II, 1993.
  • Dumas Véronique. – Le Peintre symboliste Alphonse Osbert (1857-1939). Paris : CNRS éditions, 2005.
  • Béghain Patrice. – « Oublier Baudelaire ? ». In Le Temps de la peinture. Lyon 1800-1914 : [catalogue de l’exposition], Lyon, 20 avril-30 juillet 2007. Lyon : musée des Beaux-Arts, 2007, p. 6-7.

Sources identifiées

Paris, Bibliothèque nationale de France

  • Archives biographiques françaises, microfiche V, p. 295, 363

En complément : Voir la notice dans AGORHA