Auteur(s) de la notice :

BERTRAND Pascal-François

Profession ou activité principale

Architecte et ingénieur civil des mines

Sujets d’étude
Tapisserie, mobilier

Carrière
Sort major de sa promotion de l’École des mineurs de Saint-Étienne
1837 : ingénieur civil à Dijon, prend la direction d’une société qui construit le nouveau quartier Saint-Bernard entre 1841 et 1845
1849 – 1892 : architecte diocésain de Besançon et de Saint-Claude (son nom figure sur les Almanachs du bâtiments jusqu’en 1870)
29 septembre 1850 : directeur de la manufacture des Gobelins à la place de Pierre-Adolphe Badin ; révoqué le 16 mai 1860

Directeur des mines de plusieurs établissements, notamment à Sainte-Marie-aux-Mines, à Fourchambault, où il était particulièrement chargé des analyses chimiques. Selon le Dictionnaire biographique illustré de la Côte-d’Or, il aurait aussi dirigé des travaux d’ornemanistes, de peintres et de statuaires.

Étude critique

L’état civil d’Antoine Louis Lacordaire, qui avait pour frères le père dominicain Henri Lacordaire et le scientifique Théodore Lacordaire, est lacunaire et quelque peu confus. On ne connaît assurément que la date et le lieu de sa naissance. La Nouvelle Biographie générale de Ferdinand Hoefer lui donne pour prénom, non pas celui de son état civil Adrien-Léon, mais Antoine-Louis, ce qui a ensuite été largement repris jusqu’à nos jours. Elle le confond également avec Jean-Auguste-Philibert-Alexandre Lacordaire (1789-1860), qui a été député de l’arrondissement de Gray (Haute-Saône) de 1839 à 1842 (voir Adolphe Robert, Edgar Bourloton et Gaston Cougny, Dictionnaire des parlementaires français, t. III, Paris, 1891). Il est mort dans l’anonymat le plus total, puisqu’on n’a connaissance ni de la date ni du lieu de son décès. Lacordaire a pourtant été le premier à écrire l’histoire de la manufacture des Gobelins dès qu’il en a été nommé directeur. Ingénieur de formation et architecte, rien ne semblait le destiner à cette haute fonction, qu’il aurait obtenue, selon ses détracteurs, grâce aux appuis politiques de son frère aîné Henri. Il est vrai que, juste après sa nomination, il a eu à repousser une diffamation, que dès 1856 sa direction a été contestée et qu’il a été révoqué quatre ans plus tard, à l’occasion de la réunion des manufactures des Gobelins et de Beauvais, alors placées sous la direction commune de Pierre-Adolphe Badin jusqu’en 1871.

Publiée à la fin de la Deuxième République et immédiatement rééditée l’année suivante avec un nouveau titre en raison du changement de régime, l’étude de Lacordaire se proposait un triple but. Premièrement, donner un aperçu historique des anciennes manufactures de tapisserie et de tapis. Deuxièmement, tirer des leçons du passé, au moins celle de l’emploi des peintres « les plus habiles à créer des décorations et des modèles de tenture, dans les conditions propres de la tapisserie, et en tenant compte des progrès de cet art ». Troisièmement, esquisser une étude de grande ampleur, fondée sur une documentation inédite en publiant de larges extraits, ce qui revenait à envisager une grande somme sur les Gobelins, effectivement réalisée au début du XXe siècle par Fenaille, qui a eu pour effet d’éclipser l’étude pionnière de Lacordaire.

Ce dernier a ainsi proposé une histoire de l’art de la tapisserie et du tapis divisée en trois périodes, selon le rapport entretenu de la tapisserie avec la peinture, prenant en compte « la qualité des modèles » et « le mode d’imitation ». La première phase couvre les origines de la tapisserie en France jusqu’à la fondation de la manufacture des Gobelins en 1662. Le « tapissier n’imite pas la peinture, mais seulement le dessin », il est le « coloriste » qui dispose d’une gamme restreinte de couleurs franches. Ce qui importe alors, c’est la transposition du modèle quel qu’il soit (une peinture aboutie ou une esquisse de Raphaël ou de Rubens, de Lucas de Leyde ou de Vouet), par les procédés les plus simples pour une « production expéditive » (Lacordaire, Notice historique sur les Manufactures impériales de tapisseries des Gobelins et de tapis de la Savonnerie, suivie du catalogue des tapisseries exposées et en cours d’exécution, 1853, p. I-II). C’est ce que Lacordaire nomme « l’époque de la tapisserie industrielle ». Des établissements royaux ont été fondés à Fontainebleau, par François Ier, et à Paris à l’hôpital de la Trinité, par Henri II. Des tapissiers sont installés par Henri IV au faubourg Saint-Marcel (les Flamands Comans et La Planche), au faubourg Saint-Antoine et au Louvre (les tapissiers Dubout et Laurent, le fabricant de tapis Dupont). Lacordaire retient de cette première phase l’Histoire d’Artémise d’après Caron, les Amours de Renaud et Armide d’après Vouet, des verdures à bestions[figures d’animaux] d’après Fouquières, les Sacrements d’après Poussin, les Jeux d’enfants et l’Ancien et le Nouveau Testament d’après Michel Corneille.

La deuxième période, qui va de la fondation de la manufacture des Meubles de la couronne à la Révolution, se caractérise par une production qui tend à une imitation restreinte de la peinture. Les modèles ne sont plus de simples dessins, mais des peintures de plus en plus achevées. Il s’ensuit une « lutte entre le principe industriel et le principe artistique émané de la peinture ». L’auteur insiste sur l’importance de la fondation de Colbert, « véritable école artistique et industrielle », sur son organisation, ses entrepreneurs ou chefs d’atelier, ses teinturiers, ses peintres chargés des dessins et des modèles de tapisseries et de tapis, et qui abritait aussi des orfèvres, des sculpteurs, des ébénistes, des brodeurs (Lacordaire, Notice historique sur les Manufactures impériales de tapisseries des Gobelins et de tapis de la Savonnerie, suivie du catalogue des tapisseries exposées et en cours d’exécution, 1853, p. II). Lacordaire retient principalement des produits de la manufacture sous le règne de Louis XIV les tentures exécutées sur des dessins de Le Brun, auquel on doit l’usage de véritables tableaux à la place des anciens cartons de tapisserie, le peintre du roi exigeant des liciers un dessin et un modelé corrects. Lorsqu’il aborde le XVIIIe siècle, l’auteur évoque surtout le différend qui opposa Oudry, le dessinateur des célèbres Chasses de Louis XV, aux entrepreneurs, et s’arrête sur des considérations techniques : les services rendus par Neilson, un des chefs d’atelier les plus zélés de la seconde moitié du siècle, la comptabilité obscure des entrepreneurs, et le prix des tableaux.

La troisième phase, qui correspond à l’extrême fin du XVIIIe siècle et à la première moitié du XIXe, voit la tapisserie se transformer en un art de pure imitation(Lacordaire, Notice historique sur les Manufactures impériales de tapisseries des Gobelins et de tapis de la Savonnerie, suivie du catalogue des tapisseries exposées et en cours d’exécution, 1853, p. III). Le tapissier s’attache à reproduire le coloris avec une science non égalée. S’il s’agit d’un réel progrès technique, la perfection atteinte voit toutefois poindre une réaction timide de « l’élément industriel », devenu totalement subalterne. Lacordaire s’arrête sur la situation de la manufacture après la Révolution, sur l’activité intense durant la période impériale, sur les réformes entreprises sous la Restauration et la Monarchie de Juillet par le teinturier Roard et le tapissier Deyrolle pour améliorer les procédés de teinture et de tissage. Son étude est suivie d’une liste des tapisseries présentées dans les salles d’exposition de la manufacture (la tapisserie contemporaine se taille la part du lion, avec plus de la moitié des pièces exposées) et de celles en cours d’exécution (des tapisseries d’après Couder et surtout des copies de tableaux anciens).

Lacordaire a exposé une conception de la tapisserie reposant sur l’aspect matériel et sensible de l’objet, opposée à celle qui s’attache aux mérites plus intellectuels de la composition. Il était réticent aux théories et principes nouveaux exposés par Achille Fould, ministre de la Maison de l’Empereur, qui voulait réduire la tapisserie à n’être que décor, à ne représenter que des ornements ou des figures ornementales. Il préconisait l’usage de la tapisserie dans la décoration des appartements de préférence à la peinture à l’huile, à la fresque et à la mosaïque. Il était convaincu qu’il « n’est pas absolument nécessaire qu’un peintre se soit proposé de faire un modèle de tenture pour que son œuvre ait les qualités qu’exige cette fabrication » ; ce qui ne veut pas dire, ajoutait Lacordaire, « qu’un modèle de tapisserie ne doit pas être conçu dans des conditions toutes spéciales » (Vaisse, Revue de l’Art, 1973, p. 66-86). Cette phrase pleine de bon sens s’est trouvée au cœur des débats sur la conception de la tapisserie durant la seconde moitié du XIXe siècle et au début du XXe, et elle est encore d’actualité. Sceptique, Lacordaire a toutefois fait figure d’isolé en son temps. Son mérite reste d’avoir effectué une première étude historique de la manufacture des Gobelins.

Pascal-François Bertrand, Professeur d’histoire de l’art, université de Bordeaux 3

Principales publications

Ouvrages et catalogues d’expositions

Articles

  • « Brevet de peintre et architecte du roi de Charles Errard ». Archives de l’art français, t. III, 1853-1855, p. 256-257.
  • « Lettre de Louis David sur la composition des quatre tableaux commandés par l’empereur ». Archives de l’art français, t. IV, 1855-1856, p. 33-40.
  • « Pierre et Charles-André Boulle, ébénistes de Louis XIII et de Louis XIV ». Archives de l’art français, t. IV, 1855-1856, p. 321-349.
  • « Joseph Vernet. Pièces et notes pour servir à l’histoire de ses tableaux des ports de France ». Archives de l’art français, t. IV, 1855-1856, p. 164-167.
  • « État civil des tapissiers des Gobelins au XVIIe et au XVIIIe siècle », publié par Jules Guiffrey. Nouvelles Archives de l’art français, 3e série, t. XIII, 1897, p. 1-60. Tiré à part, Paris, Charavay, 1897.

Bibliographie critique sélective

  • Faure Jules. – Note explicative pour M. Adrien-Léon Lacordaire, ancien directeur de la Manufacture des Gobelins, et M. Amable Marchal,propriétaire, contre l’abbé Mourey, ancien directeur de l’école de Sorèze, appelant Me Locamus, avoué. Toulouse : Douladoure, s. d.
  • Hoefer Ferdinand. – Nouvelle Biographie générale depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos jours. Paris, Firmin-Didot, 1866, t. XLVI.
  • Larousse Pierre. – Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle. Paris : Administration du grand dictionnaire universel, 1873.
  • Bauchal Charles. – Nouveau Dictionnaire biographique et critique des architectes. Paris : André, Daly fils et Cie, 1887.
  • Dictionnaire biographique illustré de la Côte-d’Or, Paris, Wagner, 1910
  • Brune Paul. – Dictionnaire des artistes et ouvriers d’art de la France-Comté. Paris : Bibliothèque d’art et d’archéologie, 1912.
  • Vaisse Pierre. – « La Querelle de la tapisserie au début de la IIIe République ». Revue de l’Art, 1973, n°22, p. 66-86.
  • Fernand Calmettes – Période du dix-neuvième siècle. 1794-1900. In Maurice Fenaille. ‘État général des tapisseries de la manufacture des Gobelins depuis son origine jusqu’à nos jours, 1600-1900. Paris : Imprimerie nationale, librairie Hachette et Cie, 1912, t. V, p. XI.
  • Leniaud Jean-Michel. – Répertoire des architectes diocésains du XIXe siècle, édition en ligne de l’École des Chartes : http://elec.enc.sorbonne.fr/archite…
  • Gastinel-Coural Chantal. – La Manufacture des Gobelins au XIXe siècle. Tapisseries, cartons, maquettes. Beauvais, galerie nationale de la Tapisserie, 1996, p. 12, 47-53, 57, 113-115.

Sources identifiées

Dijon, Archives municipales

  • 1 O1 : aménagement de la place Saint-Bernard

Paris, archives du Mobilier national

  • G 159

Paris, Archives nationales

  • F 19 7230, F21 668, 676 et 680 ; Va XIV, 26, 44

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