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Apprendre à voir (les écrans)
Mis à jour le 17 juillet 2024Vademecum Histoire des arts | Collège
Marie-Josée Mondzain, philosophe, spécialiste de l’art et des images est l’autrice d’études érudites consacrées aux icônes et à l’iconoclasme mais elle est aussi extrêmement attentive aux méthodes pédagogiques qui peuvent initier les plus jeunes à savoir voir et parler des images. Dans ce registre, elle a mené un extraordinaire entretien durant deux ans avec des élèves du premier degré (Qu’est-ce que tu vois ?, Gallimard, 2008). Dans l’extrait qui suit, elle interroge la construction du regard à partir de l’usage si prégnant et problématique des écrans et indique les pistes dialectiques à envisager.
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Qui dit écran semble poser d’emblée un espace de séparation, voire même d’occultation du visible. Faire écran, cela peut signifier cacher. Or nos écrans sont les lieux de l’apparition des images. L’écran est à la fois un espace réel et la condition de déréalisation de ce qu’un réalisateur produit. […] La naissance des écrans a mis dans l’espace social un dispositif aussi énigmatique que l’image qu’il rend manifeste. (…) Toute réception visuelle sur un écran a lieu dans une sorte d’atopie fugitive, le temps de la vision ou de la projection. Ce non-lieu prend place dans l’espace social. C’est à partir de lui que s’organise l’espace des spectateurs. […] Donc quelque chose se met en place dans l’espace collectif où se joue en même temps la communauté du spectacle et la solitude de la vision. Dans le même temps se distribuent des places d’où chacun éprouvera les émotions singulières que les images vont provoquer. […] Si la construction du regard est un devoir politique, dès lors, quand cette construction existe, aussitôt tout spectacle est mesuré à l’aune de la liberté qu’il donne. (…) Plus cette place sera construite dans le respect des écarts, plus les spectateurs seront en mesure de répondre à leur tour d’une liberté critique dans le fonctionnement émotionnel du visible. C’est sans doute en ces termes qu’il faut aborder l’éducation des regards. Un enfant peut tout voir à condition d’avoir eu la possibilité de construire sa place de spectateur. Or cette place est longue à construire. Il faut donc en conclure qu’un enfant ne peut pas tout voir s’il n’est pas soutenu par la parole de ceux qui voient avec lui et qui eux-mêmes doivent avoir appris à voir. L’image n’est pas un espéranto accessible à tous et à chacun.
Marie-José Mondzain
Éclairage
La photographie prise au Rijksmuseum à Amsterdam par le photographe amateur Gijsbert van der Wal le 27 novembre 2014, largement diffusée sur les réseaux sociaux, a suscité une vive polémique médiatique. Elle a pour sujet la visite scolaire au musée. Ce qui a fait débat, c’est qu’ici le groupe d’élèves tourne ostensiblement le dos au chef-d’œuvre monumental de Rembrandt, La Ronde de nuit, les adolescents ayant les yeux rivés sur leur téléphone portable. Cette image semble à première vue un exemple du témoignage, à l’ère du numérique, de l’exposition nocive aux écrans et du désintérêt pour l’exercice du regard in situ. Le musée du Rijskmuseum, les services éducatifs et une équipe de recherche ont développé de riches ressources numériques pour former le jeune public à l’expérience de la visite. C’est cette application que les élèves regardent. Passer outre les faux-semblants par une étude plus attentive de l’image, c’est ce que fait également l’historienne de l’art Marine Kisiel, dans une capsule vidéo réalisée pour les 20 ans de l’INHA, à partir de cette photographie des jeunes gens réunis devant La Ronde de nuit, pour entrer plus avant dans l’univers pictural de Rembrandt et proposer, qu’à leur manière, les élèves rassemblés, rejouent une activité de dissection du tableau pour en approfondir l’analyse par l’explicitation de quelques détails choisis.
Ressources :
Ouvertures
L’artiste anglaise Anna Ridler interroge l’image à l’ère du numérique en établissant une filiation étonnante entre la tulipomanie au Siècle d’Or et les cryptomonnaies. Dans sa vidéo Mosaic Virus, une tulipe sur un fond sombre se déploie. L’apparence des fleurs, les formes des pétales, sont contrôlées virtuellement par le cours du bitcoin en temps réel, grâce à l’intelligence artificielle. Cette modélisation réalisée à partir de 10 000 photos de tulipes questionne les liens historiques entre marché financier et marché de l’art, rappelant qu’au siècle de Rembrandt, la tulipe, présente dans toutes les natures mortes de bouquets, a donné lieu au premier krach boursier… Les artistes contemporains investissent la puissance des images et leur fabrication autant matérielle qu’intellectuelle. La collecte d’images d’archives, de photographies anciennes voire ethnographiques est l’occasion pour les artistes d’interroger les conditions dans lesquelles ces images ont été prises, l’intention des photographes et ensuite leur circulation et/ou manipulation. Dans un de ses projets, le diaporama The Black Photo Album/Look at Me : 1890-1950, l’artiste sud-africain Santu Mofokeng aborde la représentation de la petite bourgeoisie noire de 1890 à 1950, les récits intimes et les histoires familiales chez les Noirs d’Afrique du Sud.
Ressources :
Une biographie de l’artiste Anna Ridler et une présentation de l’œuvre Mosaic Circus
Pistes pédagogiques
1 Lire une photographie de presse et relever des archétypes utilisés qui l’inscrivent dans une tradition iconographique. Discuter du sujet, des choix de cadrage, de composition. Identifier les éléments constitutifs (lignes, formes, composition) et des procédés de l’image (flash, plan, cadrage, couleur et format).
2 Confronter différentes reproductions d’une œuvre située à proximité de l’établissement, trouvées sur Internet. Comparer ensuite ces reproductions et l’œuvre sur place. En classe, on peut ensuite étudier l’histoire de la technique et l’amplification du phénomène de la reproduction à partir du XIXe siècle au temps de l’industrie.
Ressources :
Une présentation de l’exposition L’image et son double
Une émission et un article en ligne Fake news et canulars dans le monde de l’art
3 Concevoir un parcours au sein d’une institution muséale lors de l’opération « la classe, l’œuvre ! » à l’occasion de la Nuit des Musées combinant analyse sur place et support numérique. Faire une restitution sur un réseau social en interrogeant à cette occasion la nature des documents et des images partagées, comme la question des droits à l’image.
4 Explorer en ligne des images en haute résolution tirées des collections muséales étrangères (British Museum, Rijksmuseum, Prado, etc.). Faire une recherche en langue vivante sur la matérialité de l’œuvre et leurs spécificités pigmentaires.
Ressource : Une vidéo Comment tu regardes l’art ? de la série Zeste de sciences sur l’application Ikonikat
Référence au programme
Référence au programme de cycle 3
Histoire des arts
Relier des caractéristiques d’une œuvre d’art à des usages, ainsi qu’au contexte historique et culturel de sa création
Référence au programme de cycle 4
Histoire des arts
Thématique 4 État, société et modes de vie (XIIIe-XVIIIe s.) Évolution des sciences et techniques, évolution des arts
Arts Plastiques
La matérialité de l’œuvre ; l’objet et l’œuvre – le numérique en tant que processus et matériau artistiques (langages, outils, supports)
Éducation aux médias et à l’information
Exploiter l’information de manière raisonnée – distinguer les sources d’information, s’interroger sur la validité et sur la fiabilité d’une information
Français
Informer, s’informer, déformer ?
Découvrir des articles, des reportages, des images d’information sur des supports et dans des formats variés
Questionnements complémentaires
Progrès et rêves scientfiques – S’interroger sur l’idée du progrès scientifique notamment au XIXe siècle, tantôt exalté et mythifié, tantôt objet de répulsion ou de désillusion
Compétences en histoire des arts
Rendre compte de la visite d’un lieu de conservation ou de diffusion artistique ou de la rencontre avec un métier du patrimoine
Attendus de fin de cycle en histoire des arts
Rendre compte en termes personnels d’une expériences vécue, soit par la pratique soit comme spectateur
Connaissances et compétences associées en histoire des arts
Rendre compte, en termes personnels et en utilisant des supports divers, de la visite d’un lieu de conservation ou de diffusion artistique, ou de la rencontre avec un métier lié à la conservation, la restauration ou la valorisation du patrimoine
Domaine du socle commun de connaissances, de compétences et de culture
Domaine 3 La formation de la personne et du citoyen