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Archives d’archéologues à la bibliothèque de l’INHA
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Mis à jour le 11 septembre 2024
Les trésors de l'INHA
Auteur : Isabelle Péricaud, Iulia Toader
Si vous passez un jour par l’île de Délos, vous y croiserez sans doute l’ombre malicieuse et bienveillante de Philippe Bruneau qui débuta sa carrière sous le soleil de la Grèce avant de la poursuivre dans les amphithéâtres des universités de Rennes puis de Paris-Sorbonne (Paris IV). La récente mise en ligne sur Calames de l’inventaire de son fonds d’archives donné en 2018 à l’Institut national d’histoire de l’art est l’occasion de retracer un parcours saisissant dont il est possible d’appréhender chacune des étapes grâce à la complétude d’un ensemble conséquent, riche de plus de cent boites d’archives.
Agrégation en poche, Philippe Bruneau rejoint en 1960 l’École française d’Athènes, dont il devient ultérieurement secrétaire général. Il débarque à Délos l’année suivante avec pour mission de coordonner la fouille de l’îlot de la maison des Comédiens, un ensemble d’habitations richement décorées, situé dans le quartier de Skardhana, dans la partie nord-ouest de l’île. Il y réalise plusieurs campagnes qui mèneront à la publication, en 1970, d’un grand volume de la collection Exploration archéologique de Délos. Outre son ampleur, l’ouvrage frappe par son originalité, car il réunit dans la même publication, contrairement à l’usage établi qui consiste à les séparer, l’étude de l’architecture et du matériel associé.
Avec son équipe, Philippe Bruneau dégage la maison des Comédiens, la maison des Tritons et la maison aux Frontons. Le fonds donné à l’INHA témoigne de ces découvertes à travers de nombreux documents, dont seize carnets de fouilles rédigés par l’archéologue et ses confrères, de l’été 1961 à l’été 1966. Toujours d’actualité, ces carnets recèlent de précieuses données de recherche, utilisées tout récemment encore par Jean-Yves Empereur dans le cadre de son projet de cartographie en lien avec le système d’information géographique de Délos (SIG-Délos). Ainsi, cinquante ans après la publication, de nouveaux résultats peuvent être tirés de ces documents à l’aide d’outils informatiques, afin de proposer notamment une analyse fonctionnelle des espaces fouillés.
Les carnets sont accompagnés de nombreux tirages photographiques qui constituent une véritable petite iconothèque dédiée aux trouvailles effectuées sur le site. Si la plupart des originaux de ces tirages ont été, comme il se doit, déposés à l’École française d’Athènes, où ils restent consultables sur place, Philippe Bruneau en avait conservé des doubles ainsi que plusieurs clichés plus personnels.
Enfin, les chercheurs les plus curieux découvriront, parmi les très sérieux papiers de fouilles, plusieurs feuillets manuscrits extraits d’un Dictionnaires des idées déliennes témoignant du côté drôle et décalé de Ph. Bruneau. Esquissé à l’origine au dos d’un de ses carnets, ce dictionnaire propose en quelques entrées un vocabulaire délien croustillant, non exempt de pointes sarcastiques, à destination des heureux fouilleurs de l’île.
Du début et jusqu’à la fin de sa carrière en 2001, Ph. Bruneau consacra de nombreuses pages à l’archéologie délienne. Il reste une référence incontournable en la matière, et son expertise sur les grands sujets classiques que sont la mosaïque, les cultes ou encore les lampes est toujours unanimement reconnue. En parallèle de ses travaux monographiques importants, la série des « Deliaca » qu’il publie dans le Bulletin de correspondance hellénique (BCH) lui permet d’explorer des réflexions parfois plus informelles et de lancer des questionnements théoriques inédits.
À l’université de Rennes, lorsqu’il est nommé assistant puis titulaire de la chaire d’histoire de l’art antique à la fin des années 1960, il retrouve Jean Gagnepain, qu’il avait reçu en son temps sur l’île de Délos. Auditeur assidu du linguiste, comme en témoignent ses notes de cours versées à l’INHA, Philippe Bruneau découvre la théorie de la médiation, une théorie générale de l’humain matérialisée en une anthropologie clinique, que Gagnepain élabore en collaboration avec le neuropsychiatre Olivier Sabouraud. C’est un moment charnière dans la pensée de Philippe Bruneau, et le début de sa contribution pionnière à l’archéologie contemporaine.
Avec Pierre-Yves Balut, moderniste et contemporanéiste rencontré à Rennes, il recourt à ce modèle anthropologique pour théoriser l’archéologie tout en élargissant cette dernière aux époques moderne et contemporaine. C’est le début d’une aventure intellectuelle à Paris-Sorbonne, où les deux archéologues fondent la chaire et le centre d’archéologie moderne et contemporaine en 1977, puis la Revue d’archéologie moderne et d’archéologie générale (RAMAGE) en 1982, véritables laboratoires de cette archéologie redéfinie. Dans leurs mémoires d’archéologie générale (MAGE) publiés en 1997 et intitulés Artistique et Archéologie, les auteurs posent les bases épistémologiques d’une discipline toute neuve, l’artistique comme science de l’art (sur le même principe que celui de la linguistique comme science du langage). Outre le manuscrit de cet ouvrage fondateur, les archives renferment de nombreux dossiers témoignant des tropismes développés alors par les deux chercheurs : l’archéologie du catholicisme et des cultes funéraires, à lire en regard de celle de la religion antique et des cultes de Délos, l’archéologie du vêtement ou encore de la littérature, en particulier balzacienne. Les papiers permettent également de mesurer l’ampleur de l’activité éditoriale liée à la revue RAMAGE, des aspects administratifs et financiers aux très nombreuses contributions extérieures, dont on conserve trace des corrections et échanges épistolaires. Comme la plupart des dossiers qui composent le fonds, ces ensembles contiennent en effet une correspondance parfois conséquente, témoignage du vaste réseau professionnel et scientifique entretenu par Philippe Bruneau, tant international qu’interdisciplinaire.
Théoricien et chercheur éminent, Philippe Bruneau était avant tout un passeur, qui plaçait l’enseignement au centre de son travail et de sa démarche scientifique. Après les années rennaises, il prend ses quartiers à Paris-Sorbonne qu’il ne quittera qu’au moment de la retraite, en 2000. Il obtient en 1975 la très convoitée chaire d’archéologie grecque, avant d’entamer, deux ans plus tard, son enseignement d’archéologie moderne et contemporaine avec P.-Y. Balut.
Enseignement et recherche étaient indissociables pour Philippe Bruneau, qui estimait que le passage devant ses élèves l’obligeait à formuler et à formaliser sa pensée, de sorte qu’à l’issue d’une année universitaire, le sujet enseigné lui était plus clair et plus abouti. La préparation d’un cours constitue ainsi souvent une étape intermédiaire du travail menant à la publication écrite. De fait, dans ses archives, une partie importante de ses notes de cours est insérée dans les dossiers liés à des publications. On les reconnaît à leur graphie fine et nette, et aux feuillets souvent agrémentés de nombreuses paperolles à la Proust, autant de traces d’une pensée en train de se faire.
Ancien élève de Philippe Bruneau, vous trouverez peut-être en explorant ce fonds d’archives l’un de vos devoirs d’époque, agrémenté de corrections quelquefois sévères mais toujours pertinentes, ou l’une de vos lettres lui demandant un conseil bibliographique ou un délai de quelques jours pour rendre un mémoire déjà très en retard. Le professeur qu’était Philippe Bruneau a soigneusement conservé quelques-uns de ces témoignages, preuves s’il en est de l’intérêt porté à ses étudiants, devenus au fil du temps archéologues ou historiens de l’art, conservateurs de musée, acteurs du monde de la culture, de l’art, du livre, ou tout simplement citoyens curieux de comprendre le monde qui les entoure. Ces liens qu’il entretenait avec ses élèves, Philippe Bruneau a su les conserver tout au long de sa vie, et P.-Y. Balut les perpétuer jusqu’à ce jour. Un dossier d’archives évoque la mémorable soirée organisée pour fêter son départ à la retraite, dans son château angevin, proche de la région chère à Balzac, où il vivait la majeure partie du temps. Tenue une année avant sa mort, elle regroupa plusieurs dizaines d’étudiants de ses diverses années d’enseignement, et préluda aux universités d’été qui se déroulent encore au château.
Isabelle Périchaud, service du Patrimoine, et Iulia Toader
Iulia Toader est doctorante en archéologie et histoire de l’art à sorbonne Université, avec une thèse intitulée Philippe Bruneau théoricien de l’art, archéologie d’une pensée à travers ses archives