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Admiration, d’Edgar Degas
Mis à jour le 21 mars 2024
Les trésors de l'INHA
Auteur : Océane Eutionnat pour la Nuit de la lecture
La Nuit de la lecture 2024 a été l’occasion d’ouvrir la bibliothèque de l’INHA à une classe d’élèves en terminale option « Histoire des arts » du lycée Léon Blum de Créteil. Le thème de la Nuit, le corps, s’articulait parfaitement avec celui de leur programme, autour des « Femmes, féminisme, féminité », et leur a permis de porter leur regard sur des estampes de la collection. Après un travail de plusieurs semaines, la Nuit de la lecture a été l’occasion pour ces apprentis historiens et historiennes de l’art de lire leur texte sur une estampe de leur choix. Quelques-uns de ces textes seront publiés sur le blog de la bibliothèque, comme celui d’Océane, Enzo, autour de Admiration, d’Edgar Degas.
Le monotype est un procédé d’impression qui a pendant longtemps passionné Degas. Il s’agit d’une technique qui consiste d’abord à travailler sur un aplat d’encre, et de faire vivre le dessin grâce à différents outils. Admiration, réalisée par Edgar Degas vers 1877, est une œuvre qui appartient aux trésors de l’INHA, et qui renferme, par son motif unique, une analyse saisissante, voire surprenante, que je vous propose de découvrir maintenant.
C’est en 1876 que Degas entame une série de monotypes de femmes au bain, dont Admiration fait partie. Ici est représentée une femme de dos à la silhouette déroutée et aux formes idéalisées. L’artiste pose un regard très sensuel sur le corps de la femme, et cherche à ce que l’œil du spectateur godille et redessine la courbe de son dos et la forme de sa croupe. Le sujet est donc le corps de la femme plus que la femme en elle-même.
La technique du monotype renforce aussi l’idée de sensualité : l’artiste a travaillé l’encre de façon à ce que le rendu de la peau soit doux et velouté pour donner un rendu plus séduisant et vivant à cette femme.
Malgré sa représentation sensuelle et charnelle, cette femme fait une action plutôt simple : elle prend son bain. La scène se passe en intérieur, dans une petite salle où l’on remarque la présence de deux porcelaines et d’un mobilier dédié à la toilette. Par ailleurs nous pouvons souligner que l’artiste met l’accent sur la sinuosité des formes que ce soit sur le corps de la femme mais aussi sur le décor qui l’entoure, la cruche reprend en effet les formes arrondies et convexes du corps pour ainsi renforcer le côté sensuel de cette estampe.
Peut être ne l’avez-vous pas remarqué, mais la présence de cet homme accroupi, caché à la gauche de l’image, presque camouflé, donne à la lecture de cette œuvre une toute autre tournure. Par sa présence, l’homme donne à l’œuvre l’impression d’une femme livrée à ses plaisirs. Son regard exalté, sa posture avachie sur la baignoire montre qu’il se complait et se délecte du spectacle.
Le contrapposto de la femme, autrement dit le poids de son corps qu’elle laisse reposer sur une seule jambe, définit ses hanches et fait ainsi de cette posture innocente, l’expression du plaisir de la femme à être regardée et admirée par cet homme.
La nuque est elle aussi dégagée de façon plus subtile car la femme est en train de retirer son collier, achevant ce qui se révèle comme une sorte de strip-tease amoureux. La nuque ainsi dégagée nous invite peut-être à admirer de plus près cette zone qui a été souvent l’objet de fantasmes.
Le voyeur apparaît ici comme un double du spectateur qui admire lui aussi la femme, mais de dos. Degas procède à une mise en abyme. Le fait que ce voyeur ne soit pas visible au premier regard est une manière plus subtile de faire comprendre et réaliser au spectateur son acte.
De façon sûre, le regard se pose plus facilement sur le corps de cette femme. C’est ce qui plaît, et c’est d’ailleurs ce que cherche à faire l’artiste sur son œuvre. Je pense que c’est pour cela que j’ai choisi cette œuvre, Admiration. Elle dégage au premier abord quelque chose d’envoûtant et de captivant jusqu’à ce qu’on aperçoive cet homme qui apporte, grâce à son sourire taquin et son regard émerveillé, une touche d’humour. Sa représentation est donc faite de sorte à ce qu’on comprenne instantanément son intention envers cette femme.
Ce qui m’a aussi beaucoup frappée en regardant cette œuvre, est le soin que met l’artiste dans le travail de rendu de l’encre. En effet, l’artiste semble avoir fait en sorte que le rendu de la peau soit doux et très vivant, il s’applique sur chaque petit détail de pli et de lumière. La baignoire est aussi travaillée ce qui donne un rendu presque réaliste à cette dernière, contrairement au décor de la scène ou l’artiste laisse en évidence l’empattement et l’éclaboussure de l’encre.
Lorsque Degas entame sa série de femmes au bain, il s’insère dans une tradition iconographique. Le sujet de la femme à la toilette connu une très grande popularité chez les artistes réalistes. Ce thème leur a permis de développer une nouvelle vision du corps féminin. Malgré un engouement très prononcé chez les artistes, ces femmes au bain provoquèrent immédiatement chez le public le scandale. Le réalisme des scènes appellerait l’indécence signifiant le voyeurisme. C’est explicitement ce que dénonce Degas sur son estampe car l’artiste fait le choix d’une forme de naturalisme explicite qui ne vise pas à la description, mais plutôt à accuser les stéréotypes qui marquaient la prostitution dans l’imaginaire collectif du temps. L’artiste a donc une approche critique de l’humain, et de la société, et cherche en dessinant cette femme à dénoncer.