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Clotilde Brière-Misme (1889-1970)
Mis à jour le 10 décembre 2020
Histoire(s)
Après la conservatrice Clotilde Brière-Misme, après le magasinier Jean Sineux, voici la troisième grande personnalité de la Bibliothèque d’art et d’archéologie dans l’entre-deux-guerres : son directeur, André Joubin (1868-1944).
Un portrait des années 1920, pris par un photographe anonyme au musée Fabre de Montpellier, résume parfaitement le personnage : André Joubin, la cinquantaine pimpante, bouc et moustache tirés à quatre épingles, pose devant une de ses découvertes du moment. Directeur du musée Fabre, Joubin avait eu le temps d’en examiner le Voltaire assis de près ; il avait démontré que, loin de n’être qu’une copie quelconque de l’œuvre fameuse de Houdon, il s’agissait en vérité d’un estampage original, retouché par le maître, et par conséquent d’une valeur comparable au marbre original commandé par les sociétaires de la Comédie-Française. En Hercule Poirot de l’histoire de l’art, Joubin consigne ses observations dans un calepin, tout en affectant une pose élégante et dégagée, accoudé à la balustrade.
Anonyme, André Joubin au musée Fabre de Montpellier, avant 1926, bibliothèque de l’Inha, Archives 25/15/6/9. Cliché Inha
Les contemporains confirment à foison cette image. « André Joubin, écrit Charles Picard en 1950, a représenté, dans l’équipe des anciens Athéniens, avec une prestance aristocratique, une forme d’esprit brillante, qui séduisait. Sa courtoisie était seigneuriale. Elle s’alliait à une bonté indulgente « d’homme du monde » qui n’était jamais dédaigneuse, et à un vif amour de tous les arts ». Clotilde Brière-Misme, avec qui il mena la bibliothèque dans un esprit de franche camaraderie, décrit un homme « riche, dilettante, sans ambition », qui professe en riant que « l’homme n’est pas fait pour travailler ». Ses parents possèdent le domaine de La Tuque près de Sainte-Foy et des terres en Tunisie. Sa femme Jeanne (1875-1940) est la fille d’Armand Reclus, ingénieur de l’isthme de Panama. « Lui et sa femme, ajoute Clotilde Brière-Misme, ont de l’allure (un Italien dans un article laudatif sur la bibliothèque, n’avait-il pas comparé le directeur à un « noble florentin du Quattrocento »), l’assurance que donnent le rang et la fortune, air d’autorité débonnaire acquis sur leurs terres auprès des paysans et des villageois parmi lesquels ils se plaisent ». « Haut de taille, se souvient un habitué de la bibliothèque, carré, les cheveux taillés en brosse, une main sur la hanche, tendant l’autre à un lecteur, un large sourire aux lèvres, découvrant ses dents irrégulières, apparaissait souvent M. Joubin, directeur de la bibliothèque. Il renseignait ce lecteur ou se laissait renseigner par lui ».
Élève de l’École normale supérieure en 1886, élève de l’École française d’Athènes en 1889, André Joubin a d’abord beaucoup voyagé en Orient et s’est consacré aux études grecques, précédant notamment Gustave Mendel dans l’étude et le classement des riches collections antiques du musée de Constantinople, en tant que chargé de mission officiel (1893-1898). De retour de Constantinople, il est nommé maître de conférences, et bientôt professeur à la faculté de lettres de l’université de Montpellier, où il enseigne l’archéologie classique. Il publie, sans beaucoup de conviction, un nouveau Guide au musée de moulages de la faculté des lettres de Montpellier (1904).
Très impliqué dans la Société archéologique de Montpellier, il dirige le musée Fabre et le cabinet Atger de 1915 à 1920, avant d’être adoubé par Jacques Doucet : il devient directeur de la Bibliothèque d’art et d’archéologie le 1er janvier 1918, mettant fin à l’intérim assuré par Albert Vuaflart, secrétaire de Doucet, et le restera jusqu’à sa retraite en juin 1937, après le transfert de la bibliothèque rue Michelet.
Pourquoi Joubin ? « Il n’avait jamais recherché une nomination parisienne », note Clotilde Brière-Misme. Il ne faisait pas non plus partie des anciens collaborateurs de la bibliothèque. Mais Joubin avait été en contact avec Doucet dès 1913 pour la reproduction photographique des dessins du musée Atger. Ce projet, envisagé en avril 1913, aboutit à un séjour du photographe de Doucet, Devisme, à la fin de cette même année. De toute évidence, la libéralité de Joubin envers la Bibliothèque d’art et d’archéologie avait très favorablement disposé Jacques Doucet en sa faveur. Clotilde Brière-Misme explique l’affaire ainsi : « Doucet, au cours d’un voyage, s’arrêta à Montpellier, visita les musées avec Joubin, et fut conquis par ce grand charmeur. « Voilà le directeur qu’il faut à ma bibliothèque ! » Et il la donna à l’université de Paris, à condition qu’André Joubin en serait le chef ». L’histoire est plausible : forcé de désigner un universitaire, Doucet nomma une personnalité inattendue, la moins universitaire et la plus joviale qui lui tomba sous la main – ultime pied de nez du couturier au monde académique, au moment de lui abandonner sa bibliothèque. Et, au fond, Doucet fit preuve une fois de plus de son intuition légendaire ; car Joubin, dans un contexte difficile, se révéla un négociateur hors pair.
Pour son ancien bibliothécaire René-Jean, évincé faute de titre universitaire, le coup fut terrible. Les mots que lui adresse alors son ami Paul Perdrizet, professeur d’archéologie à Nancy, sont à la hauteur de sa déception, accrue par la nouvelle que Joubin serait de surcroît nommé maître de conférences à la Sorbonne : « je considère cette nouvelle comme navrante pour tout le monde : pour vous, à qui cette place de bibliothécaire était due ; – pour moi, qui suis considéré, si Lechat ne se présente pas, comme le plus digne successeur de Collignon ; – pour la Sorbonne, à qui ce pauvre sot de Joubin ne rendra aucun service. Il est scandaleux qu’un paresseux & une nullité de cet acabit, un type qui n’a rien fait depuis 15 ans, ait une place comme celle-là ».
Il est exact que, depuis sa thèse sur les sarcophages de Clazomènes et celle, très controversée, sur La Sculpture grecque entre les guerres médiques et l’époque de Périclès (1901), Joubin n’avait rien publié d’important, et qu’il avait abandonné les études classiques. Quelle était donc, de son côté, sa motivation ? À l’en croire, Joubin avait pris fait et cause pour l’entreprise de Doucet. Ainsi répondait-il aux récriminations de Salomon Reinach sur la gestion de la bibliothèque, le 5 mai 1923 : « j’’y ai, pour ma part, tout sacrifié, à commencer par mon travail scientifique. Ne mêlez pas à une si belle entreprise les racontars qui peuvent venir à vos oreilles ».
Malgré sa réputation de dilettante, André Joubin se révéla un défenseur acharné de la Bibliothèque d’art et d’archéologie et de l’œuvre de son fondateur. Dès 1918, de nombreuses tâches attendaient le nouveau directeur de la bibliothèque.
La guerre n’était pas encore finie. À partir du 23 mars 1918, la Grosse Bertha bombarda Paris. Le 20 juin 1918, Joubin expédia cinquante caisses de documents précieux à Sainte-Foy-la-Grande, en Gironde, pour les mettre à l’abri. Elles n’étaient pas encore revenues début novembre, mois de l’Armistice, en raison de « la situation actuelle du trafic sur le réseau ».
La seconde préoccupation de Joubin, constante et lancinante, fut de trouver des subsides. La bibliothèque en manquait désormais cruellement, car sa nouvelle propriétaire, l’université de Paris, n’était pas riche. Très vite Joubin obtint 100 000 francs annuels, accordés par le Parlement par l’entremise d’Édouard Herriot, habitué de la bibliothèque. Mais cette somme suffisait à peine aux dépenses courantes. Au cours du temps, toutes les ressources furent envisagées, même les plus minimes : l’instauration d’un droit d’entrée, la vente ou l’échange des numéros du Répertoire d’art et d’archéologie contre d’autres publications… Parmi les idées les plus baroques de Joubin figure une candidature au prix Nobel de la paix. Outre le prix lui-même, consistant en une forte somme d’argent, le Nobel inciterait peut-être Doucet à « une nouvelle marque de générosité ». Les démarches de Joubin pour le Nobel s’étendent de décembre 1921 à 1922, date à laquelle D’Estournelles de Constant, Nobel 1909, lui avoua ne pas avoir « encore assez trouvé clairement le moyen de faire ressortir le lien entre le musée Doucet et la paix qui intéresse le comité Nobel et qui est sa raison d’être ». Finalement, Joubin abandonna son projet. Le Nobel ne fut d’ailleurs décerné ni en 1923, ni en 1924, et jamais une bibliothèque n’a encore reçu ce prix ; seules quelques institutions internationales en ont été honorées jusqu’ici. La création de la Société des amis de la Bibliothèque d’art et d’archéologie, en 1925, allait provisoirement régler les problèmes de trésorerie.
La troisième tâche de Joubin, et sans doute la plus épuisante, fut le transfert de la bibliothèque.
Les multiples appartements loués par Doucet rue Spontini pour abriter sa bibliothèque étaient difficiles à surveiller et coûtaient cher. La bibliothèque devait déménager. Mais où ? En 1920, la marquise Arconati Visconti avait donné « deux millions » à l’Université pour construire un institut d’histoire de l’art rue Michelet, dont la Bibliothèque d’art et d’archéologie serait le centre ; mais sa construction n’avait pas commencé. Le décès de la baronne Adèle de Rothshild, en 1922, parut fournir une solution : celle-ci avait légué à l’État l’hôtel Salomon de Rothschild, 11, rue Berryer (8e arr.), et les collections qu’il abritait, pour en faire « une maison d’art qui s’appellera ‘Fondation Salomon de Rothschild’ ». Dès mai 1922, la Direction des beaux-arts proposa d’héberger provisoirement la bibliothèque Doucet dans l’hôtel.
Dès lors, deux camps s’affrontèrent. D’un côté Doucet, Joubin son porte-parole et le recteur de l’académie de Paris, jugeant cette solution inespérée et conforme au projet initial de la bibliothèque ; de l’autre l’Université, formellement opposée à voir sa bibliothèque installée dans un lieu aussi éloigné du Quartier Latin, mal commode pour les étudiants et les professeurs, et où elle aurait plus de difficultés à la contrôler.
Faute de solution alternative, l’Université dut d’abord céder. Joubin travaille alors activement au transfert de la bibliothèque. Dès août 1922, Émile Bois (1875-1960), architecte du gouvernement et de la ville de Paris, dresse les plans des premier et second étages de l’hôtel Salomon de Rothschild, dévolus à la bibliothèque ; Joubin les annote pour indiquer la distribution des espaces et l’implantation des collections. Le 5 décembre, il détaille au président du conseil d’administration de la fondation Rothschild les travaux à prévoir : « les transformations à apporter se réduiront à de simples suppressions de cloisons, & encore en très petit nombre. Les appartements une fois vidés des meubles & objets qu’ils contiennent, le travail d’installation se réduira donc à la simple adaptation du matériel que nous possédons déjà […] L’établissement d’un monte-charge indispensable pour le service de la bibliothèque coûtera 10 000 fr ; le service téléphonique, 5 000 ; le service d’incendie 30 000 […] En résumé, on peut admettre qu’avec une somme de 250 000 fr on installera complètement la bibliothèque & on rendra l’hôtel utilisable pour les réceptions officielles. Plus tard, il sera possible d’envisager les travaux complémentaires, tels que par exemple l’organisation d’une ou de plusieurs salles d’exposition ».
Le recteur autorise la bibliothèque à fermer à partir du 15 juin 1923 « pour permettre de procéder aux travaux préliminaires du déménagement ». Joubin en profite pour refondre entièrement le système de cotation de la bibliothèque. Jusqu’ici morcelé et déjà modifié à de multiples reprises depuis 1906 ou 1908, celui-ci est ramené à un système unique alphabétique. Chaque lettre correspondra désormais à un sujet, et les lettres se suivront alphabétiquement de salle en salle. Ce système et la distribution classique de l’hôtel Salomon de Rothschild permettent de conserver l’organisation et l’esprit de la bibliothèque fondée par Jacques Doucet : en dehors de la grande salle de lecture où sont parqués les étudiants les moins avancés, chaque chercheur y a son cabinet attitré, dédié à sa discipline de prédilection ; s’il ne trouve pas le livre dont il a besoin, le fidèle Jean Sineux, ancien domestique de Doucet, le lui trouve, de mémoire, et le lui apporte à la minute.
Émile Bois, plan du 1er étage de l’hôtel Salomon de Rothschild, 1922, annoté par André Joubin (les lettres ajoutées en rouge correspondent aux nouvelles cotes de la bibliothèque), Archives nationales, AJ16 8406. Cliché Jérôme Delatour
Cependant la fermeture va durer plus d’un an, attisant le mécontentement des usagers de la bibliothèque, au premier rang desquels les musées et l’Université. Salomon Reinach, illustre directeur du musée des Antiquités nationales et professeur à l’École du Louvre, compte parmi les plus virulents. Ses récriminations, incendiaires, se poursuivent sans relâche jusqu’à la réouverture. Dès le 29 juin 1923, il écrit au recteur pour se faire « l’interprète des travailleurs déçus et bafoués. C’est le moment de l’année où les travailleurs sérieux et les provinciaux viennent à Paris, avec l’espoir de recueillir des informations dans les livres rares. L’an dernier, sous prétexte de vacances, la bibliothèque qui devait rester du moins accessible aux spécialistes, a été fermée rigoureusement pendant trois mois. Cette année, sous prétexte de déménagement, on la ferme complètement jusqu’en janvier 1924… Vu le classement des séries, qui est méthodique, le déménagement en bloc est une absurdité ; on crée à plaisir du désordre pour pouvoir fermer la porte à double tour. Permettez-moi d’exprimer l’opinion que tout ce qui concerne cette précieuse bibliothèque devrait être contrôlé par une petite commission de savants. Le règne du caprice et du bon plaisir y a plus qu’assez duré. »
La bibliothèque reste pourtant à peu près fermée jusqu’à son inauguration par le Président de la République, Gaston Doumergue, le 5 novembre 1924 à 11 heures. Minutieusement préparé, l’événement est abondamment relayé par la presse.
Cependant, la construction de l’Institut d’art rue Michelet, un instant remise en cause, a débuté en mai 1924, rallumant la guerre avec l’Université. Bien qu’on l’ait assurée que l’installation de la bibliothèque dans l’hôtel Salomon de Rothschild serait provisoire, le rectorat, Doucet et son porte-parole Joubin intriguent en coulisses pour qu’elle y demeure définitivement. Joubin critique sévèrement le chantier de l’Institut : « si au lieu de faire des trous dans les catacombes de la rue Michelet, & de gaspiller son argent en moëllons on pensait à la science, on aurait pu faire quelque chose d’utile. On se plaint de ne pas avoir d’argent pour acheter des bouquins, & on fait de l’architecture de prix de Rome ! Quelle folie, quelle stupidité ! Enfin, les professeurs auront un cabinet & une clef à eux. Pour les bouquins, je crois que le Larousse suffira ». Le 17 janvier 1925, Doucet prie Joubin de faire dire au ministre de l’Instruction publique qu’il est « formellement opposé » au transfert de sa bibliothèque dans l’Institut ; qu’il menace, s’il était effectué, de ne pas « compléter la donation qu’il a déjà faite par le legs de sa bibliothèque littéraire et de toute somme d’argent qui pourrait l’accompagner ». Malgré les promesses faites à l’Université, le ministre s’empresse de le rassurer : « il n’a jamais été question d’enlever cette collection de l’hôtel Rothschild pour la transférer dans un autre local. M. Doucet peut être certain que le désir exprimé par lui sera respecté ». Le 22 février 1925, le recteur défend cette position dans les colonnes du Figaro.
La faculté finit pourtant par l’emporter. À la rentrée 1927, Henri Focillon, professeur à la Sorbonne depuis 1924, réclama la réintégration de la bibliothèque dans l’Institut d’art. Avec succès : le décret de création de l’Institut, le 10 janvier 1928, inclut la bibliothèque. C’est par la ténacité et le travail acharné de Focillon que la bibliothèque finit par quitter l’hôtel Salomon de Rothschild, malgré l’opposition persistante de Joubin, et même la tiédeur de certains professeurs qui, finalement, jugèrent l’Institut trop petit.
L’entre-deux-guerres est la dernière époque faste de la bibliothèque avant de nombreuses décennies. Et ce, essentiellement grâce à l’aide financière de puissants mécènes, bientôt rassemblés dans la Société des amis de la Bibliothèque d’art et d’archéologie, fondée en 1925 et toujours active aujourd’hui. Joubin ne semble pas avoir pris de part active dans sa création. Déjà, en octobre 1921, Claude Roger-Marx plaidait pour « la création d’une société d’amis de la bibliothèque » qui lui « apporterait de nouveaux subsides ». Le rectorat commença à démarcher des mécènes dès 1922 pour « constituer un conseil de trustees, analogue à ceux qui fonctionnent en Angleterre, formule féconde pour l’avenir de la bibliothèque et de ses travaux ». La Société des amis de la Bibliothèque d’art et d’archéologie se réunit en assemblée générale constitutive du 11 juin 1925 ; elle est reconnue d’utilité publique par décret du Président de la République du 1er juin 1927.
Déjà secrétaire de la fondation Rothschild, Georges Wildenstein, grand marchand d’art, directeur de la Gazette des beaux-arts, devient secrétaire général de la SABAA et y joue d’emblée un rôle de premier plan. Avec lui, David-Weill, Maurice Fenaille, Moïse de Camondo, sont les donateurs les plus récurrents de la société. Sans eux, la bibliothèque ne fonctionnerait pas : la SABAA finance le Bulletin de la société, qui paraît à partir de 1929, le catalogage et le conditionnement de la photothèque, la publication du catalogue de la bibliothèque (dont ne parut que le catalogue des périodiques) et du Répertoire d’art et d’archéologie, la reliure des recueils d’ornements, et ainsi de suite.
Pierre-Antoine Baudouin, La Sainte Famille de Michel Ange, dessins de la galerie du Palais-Royal à Paris, t. 1, pl. 5, Bibliothèque de l’INHA, Ms 691. Cliché INHA
C’est également à eux que la bibliothèque doit la plupart de ses documents les plus précieux, acquis à l’époque de Joubin. Le 29 décembre 1921, la bibliothèque enregistre par exemple le don par Georges Wildenstein du recueil de dessins de la galerie du Palais Royal (1786-1791). Le 18 février 1924, David-Weill apporte lui-même à la bibliothèque le Journal de Delacroix, acquis le jour précédent pour 20 000 francs ; il lui fait également don de nombreux autres documents relatifs au peintre et de 250 lettres environ. En 1932, la SABAA finance l’achat complémentaire des 85 lettres de Delacroix à George Sand possédées par la petite-fille de cette dernière. En 1927, dans la plus grande discrétion, Doucet offre à la bibliothèque le Cahier pour Aline de Gauguin…
Le 1er juin 1929, Doucet rédigeait son testament. Bien qu’il n’eût pas obtenu le maintien de sa bibliothèque dans l’hôtel Salomon de Rothschild, il ne mit pas ses menaces à exécution, mais légua sa bibliothèque littéraire à l’Université, « pour qu’elle soit jointe à la Bibliothèque d’art et d’archéologie rue Berryer précédemment donnée par moi à l’Université ». Créée par Doucet vers 1916, la Bibliothèque littéraire était administrée par Marie Dormoy depuis 1924. Encore une fois, Doucet associa étroitement Joubin à sa décision. À la veille de sa mort, le 30 octobre 1929, il lui téléphonait encore pour régler les derniers détails de son legs. Malheureusement, l’hôtel Salomon de Rothschild étant trop petit pour accueillir les quelque 20 000 documents que comptait alors la Bibliothèque littéraire, le recteur dut la faire installer dans une partie de la réserve de la Bibliothèque Sainte-Geneviève, où elle demeure depuis 1932.
S’il n’en devint pas directeur, Joubin veilla cependant à la pérennité de la bibliothèque cadette. Il proposa notamment la création d’une Société des amis de la Bibliothèque littéraire, sur le modèle de la SABAA. Il prononça un discours devant son comité constitutif, le 4 juillet 1930, et en réécrivit le procès-verbal. La relieuse de la Littéraire, Rose Adler, qu’on a précédemment vue peu amène avec Clotilde Brière, fut obligée de reconnaître, à sa façon, l’habileté de Joubin : « c’est vraiment magnifique et tout lui. Chef-d’œuvre d’égoïsme et diplomatie de fonctionnaire, mais pour le reste c’est vraiment bien, bien mieux rédigé ».
Par la suite, Joubin continua de suivre le destin de la Bibliothèque littéraire. C’est là que Paul Léautaud le rencontra, comme ce dernier le raconte dans son Journal, le 20 novembre 1936 : « c’est comme hier, à la bibliothèque Doucet. J’étais là depuis un quart d’heure, quand arrive Joubin, le conservateur de la Bibliothèque d’art et d’archéologie, et le publicateur du Journal de Delacroix. Marie Dormoy l’entretient des 70 lettres de Mallarmé à Jean Lahor que la bibliothèque veut acheter pour les publier dans un de ses Cahiers et les placer ensuite dans ses collections. Je me tiens fort éloigné de la conversation. À un moment, à l’appui de ce qu’elle lui en explique, Marie Dormoy, se tournant vers moi : » N’est-ce pas, Léautaud ? » puis, à Joubin : » Vous connaissez Léautaud ? » Il se lève. Je me lève. Nous nous serrons la main. Puis j’entends : » Je vous connais depuis longtemps, je suis tout ce que vous faites. » Il suit tout ce que je fais ! Voilà qui ne doit pas l’accaparer. Je ne fais rien. Je publie quelque chose une fois par an, et encore ! Encore un propos de protocole. Je me demande si ces gens n’ont pas perdu tout naturel dans la conversation. »
Au lendemain de la mort de Doucet, le 30 octobre 1929, c’est Joubin qui lui rendit les plus importants hommages, signe de son attachement à l’homme et à l’œuvre du grand mécène. Après un article dans le Figaro du 11 novembre 1929, Joubin publia deux longs articles ; l’un dans la Gazette des beaux-arts de février 1930 et l’autre, resté célèbre pour ses photographies en couleurs du fameux studio de Jacques Doucet, dans L’Illustration du 3 mai 1930.
Jérôme Delatour, service du patrimoine