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André Joubin directeur de la Bibliothèque d’art et d’archéologie (1918-1937)
Mis à jour le 10 décembre 2020
Histoire(s)
1. Un directeur dandy
André Joubin directeur de la Bibliothèque d’art et d’archéologie (1918-1937)1. Un directeur dandy
Après la conservatrice Clotilde Brière-Misme, après le magasinier Jean Sineux, voici la troisième grande personnalité de la Bibliothèque d’art et d’archéologie dans l’entre-deux-guerres : son directeur, André Joubin (1868-1944).
Un portrait des années 1920, pris par un photographe anonyme au musée Fabre de Montpellier, résume parfaitement le personnage : André Joubin, la cinquantaine pimpante, bouc et moustache tirés à quatre épingles, pose devant une de ses découvertes du moment. Directeur du musée Fabre, Joubin avait eu le temps d’en examiner le Voltaire assis de près ; il avait démontré que, loin de n’être qu’une copie quelconque de l’œuvre fameuse de Houdon, il s’agissait en vérité d’un estampage original, retouché par le maître, et par conséquent d’une valeur comparable au marbre original commandé par les sociétaires de la Comédie-Française. En Hercule Poirot de l’histoire de l’art, Joubin consigne ses observations dans un calepin, tout en affectant une pose élégante et dégagée, accoudé à la balustrade.
Anonyme, André Joubin au musée Fabre de Montpellier, avant 1926, bibliothèque de l’Inha, Archives 25/15/6/9. Cliché Inha
Les contemporains confirment à foison cette image. « André Joubin, écrit Charles Picard en 1950, a représenté, dans l’équipe des anciens Athéniens, avec une prestance aristocratique, une forme d’esprit brillante, qui séduisait. Sa courtoisie était seigneuriale. Elle s’alliait à une bonté indulgente « d’homme du monde » qui n’était jamais dédaigneuse, et à un vif amour de tous les arts ». Clotilde Brière-Misme, avec qui il mena la bibliothèque dans un esprit de franche camaraderie, décrit un homme « riche, dilettante, sans ambition », qui professe en riant que « l’homme n’est pas fait pour travailler ». Ses parents possèdent le domaine de La Tuque près de Sainte-Foy et des terres en Tunisie. Sa femme Jeanne (1875-1940) est la fille d’Armand Reclus, ingénieur de l’isthme de Panama. « Lui et sa femme, ajoute Clotilde Brière-Misme, ont de l’allure (un Italien dans un article laudatif sur la bibliothèque, n’avait-il pas comparé le directeur à un « noble florentin du Quattrocento »), l’assurance que donnent le rang et la fortune, air d’autorité débonnaire acquis sur leurs terres auprès des paysans et des villageois parmi lesquels ils se plaisent ». « Haut de taille, se souvient un habitué de la bibliothèque, carré, les cheveux taillés en brosse, une main sur la hanche, tendant l’autre à un lecteur, un large sourire aux lèvres, découvrant ses dents irrégulières, apparaissait souvent M. Joubin, directeur de la bibliothèque. Il renseignait ce lecteur ou se laissait renseigner par lui ».
Joubin directeur de la Bibliothèque d’art et d’archéologie (1918)
Élève de l’École normale supérieure en 1886, élève de l’École française d’Athènes en 1889, André Joubin a d’abord beaucoup voyagé en Orient et s’est consacré aux études grecques, précédant notamment Gustave Mendel dans l’étude et le classement des riches collections antiques du musée de Constantinople, en tant que chargé de mission officiel (1893-1898). De retour de Constantinople, il est nommé maître de conférences, et bientôt professeur à la faculté de lettres de l’université de Montpellier, où il enseigne l’archéologie classique. Il publie, sans beaucoup de conviction, un nouveau Guide au musée de moulages de la faculté des lettres de Montpellier (1904).
Très impliqué dans la Société archéologique de Montpellier, il dirige le musée Fabre et le cabinet Atger de 1915 à 1920, avant d’être adoubé par Jacques Doucet : il devient directeur de la Bibliothèque d’art et d’archéologie le 1er janvier 1918, mettant fin à l’intérim assuré par Albert Vuaflart, secrétaire de Doucet, et le restera jusqu’à sa retraite en juin 1937, après le transfert de la bibliothèque rue Michelet.
Pourquoi Joubin ? « Il n’avait jamais recherché une nomination parisienne », note Clotilde Brière-Misme. Il ne faisait pas non plus partie des anciens collaborateurs de la bibliothèque. Mais Joubin avait été en contact avec Doucet dès 1913 pour la reproduction photographique des dessins du musée Atger. Ce projet, envisagé en avril 1913, aboutit à un séjour du photographe de Doucet, Devisme, à la fin de cette même année. De toute évidence, la libéralité de Joubin envers la Bibliothèque d’art et d’archéologie avait très favorablement disposé Jacques Doucet en sa faveur. Clotilde Brière-Misme explique l’affaire ainsi : « Doucet, au cours d’un voyage, s’arrêta à Montpellier, visita les musées avec Joubin, et fut conquis par ce grand charmeur. « Voilà le directeur qu’il faut à ma bibliothèque ! » Et il la donna à l’université de Paris, à condition qu’André Joubin en serait le chef ». L’histoire est plausible : forcé de désigner un universitaire, Doucet nomma une personnalité inattendue, la moins universitaire et la plus joviale qui lui tomba sous la main – ultime pied de nez du couturier au monde académique, au moment de lui abandonner sa bibliothèque. Et, au fond, Doucet fit preuve une fois de plus de son intuition légendaire ; car Joubin, dans un contexte difficile, se révéla un négociateur hors pair.
Pour son ancien bibliothécaire René-Jean, évincé faute de titre universitaire, le coup fut terrible. Les mots que lui adresse alors son ami Paul Perdrizet, professeur d’archéologie à Nancy, sont à la hauteur de sa déception, accrue par la nouvelle que Joubin serait de surcroît nommé maître de conférences à la Sorbonne : « je considère cette nouvelle comme navrante pour tout le monde : pour vous, à qui cette place de bibliothécaire était due ; – pour moi, qui suis considéré, si Lechat ne se présente pas, comme le plus digne successeur de Collignon ; – pour la Sorbonne, à qui ce pauvre sot de Joubin ne rendra aucun service. Il est scandaleux qu’un paresseux & une nullité de cet acabit, un type qui n’a rien fait depuis 15 ans, ait une place comme celle-là ».
Il est exact que, depuis sa thèse sur les sarcophages de Clazomènes et celle, très controversée, sur La Sculpture grecque entre les guerres médiques et l’époque de Périclès (1901), Joubin n’avait rien publié d’important, et qu’il avait abandonné les études classiques. Quelle était donc, de son côté, sa motivation ? À l’en croire, Joubin avait pris fait et cause pour l’entreprise de Doucet. Ainsi répondait-il aux récriminations de Salomon Reinach sur la gestion de la bibliothèque, le 5 mai 1923 : « j’’y ai, pour ma part, tout sacrifié, à commencer par mon travail scientifique. Ne mêlez pas à une si belle entreprise les racontars qui peuvent venir à vos oreilles ».
À suivre…
Jérôme Delatour,
service du Patrimoine