La construction d'un passage à la mode

François Thiollet, Nouveau recueil de menuiserie et de décorations intérieures et extérieures, Paris, Bance, 1837, bibliothèque de l'INHA, Fol Ko 30. Cliché INHA

Dans les années 1820, il s’agit de proposer une galerie commerciale confortable destinée à une clientèle aisée : non loin de la galerie Colbert, la galerie Vivienne (1823), la galerie Véro-Dodat (1826), le passage Choiseul (1829), ou encore, le passage du Grand Cerf (1825), sont construits selon cette même logique. Une concurrence existe entre ces différents passages commerciaux : ainsi, le concepteur et propriétaire de la galerie Vivienne, M. Marchoux, président de la chambre des notaires, considère avec un grand déplaisir la construction de sa voisine ! De fait, pourvue d’une rotonde majestueuse de 17 mètres de diamètre qui célèbre les nouveaux matériaux employés, le verre et le métal, éclairée au gaz, la galerie Colbert est d’une apparence plus monumentale que sa voisine.

La création de tels passages est explicitée par François Thiollet dans son Nouveau recueil de menuiserie et de décorations intérieures et extérieures, publié en 1837 (Fol Ko 30) :

« Galeries marchandes. – Depuis que le nombre des voitures s’est accru à Paris d’une manière effrayante pour les piétons, l’industrie s’est imaginée d’ouvrir des galeries couvertes, des bazars où elle expose ses produits aux regards du public. Là, à l’abri du froid dans l’hiver, de la chaleur dans l’été, de la pluie et de la crotte dans toutes les saisons, et des accidents sans nombre qui menacent le promeneur dans les rues fréquentées, il peut, en sécurité, vaquer à ses occupations, et apprendre à connaître mille objets dont il ignore jusqu’à l’usage, et qui lui deviennent bientôt un besoin dès qu’il les a vus. »

« La Galerie Colbert, pl. 61, par M. Billaud, architecte, remplit parfaitement toutes les données du programme ; on ne saurait trop louer la disposition de l’espèce d’attique qui règne au-dessus des boutiques à devanture et archivoltes en glaces. Les peintures de cette décoration sont : marbre rouge pour les socles, marbre jaune pour les colonnes, marbre gris veiné pour la frise et le fond ; les moulures et corniches sont en blanc, la menuiserie en bronze, les médaillons se détachent en blanc sur des fonds violets. »

Un temple du commerce parisien

T. Winkles d'après J. Nash, Rotonde, passage Colbert, Londres, Jennings, 1829. Source : Brown University digital collections (digital ID 1092852676917000)

Ces passages couverts connaissent un grand succès et sont l’un des décors privilégiés de la vie parisienne des années 1830-1840. Dans sa nouvelle Gaudissart II, publiée en 1844, Balzac évoque ainsi « les profondeurs, les espaces immenses et le luxe babylonien des galeries où les marchands monopolisent les spécialités en les réunissant… ». L’écrivain situe même certains de ses romans parisiens dans le cadre de ce quartier animé, autour du Palais-Royal : par exemple, l’étude de Maître Derville, l’avocat du colonel Chabert, est située rue Vivienne.

Les almanachs des années 1820-1830 recensent dans la galerie Colbert de nombreux commerçants : un coiffeur, des tailleurs, couturières, marchands de plumes à écrire, de lampes, de parapluies et marchandes de modes… Libraires et cabinets de lecture sont aussi présents : en 1828, on signale l’existence d’un cabinet littéraire : « ancien établissement de Brigitte Mathé (Mme), bibliothèque de 15000 volumes et collection complète des principaux auteurs. Lecture de nouveautés, journaux français et anglais. Prix de l’abonnement 6 fr. et pour une séance 30 c. »

En 1833, l’Almanach du Commerce répertorie par exemple :

  • Au n° 3, un libraire, Delaroque ;
  • Au n° 6, au niveau de la rotonde, un certain Arrondelle, bottier cordonnier de son état, « et fabricant de soques chinois » ;
  • Au n° 13, Georges Legois, fabricant de parapluies ;
  • Au n° 16-18, un arquebusier, Salmon ;
  • Au n° 23-25, est signalée la présence du magasin de pianos de Gabriel Pleyel;
  • Au n° 28, M. Bouis, « bandagiste herniaire », « confectionne des ceintures contre l’onanisme pour les enfans de tout âge »
Publicité pour la pharmacie Colbert, Le Figaro, 17 juillet 1837. Source : Gallica/Bibliothèque nationale de France

Enfin, dès 1830, on trouve mention de l’existence de la Pharmacie Colbert, qui publie de nombreuses annonces publicitaires : elle s’y dit le « premier établissement de la capitale pour le traitement végétal des maladies secrètes et des dartres ». Parmi ses produits phare figurent les « pilules stomachiques » (« 25 ans de succès » en 1854), et surtout, l’« essence de salsepareille » : celle-ci, « véritable spécifique contre les maladies secrètes, les dartres, gales rentrées, douleurs rhumatismales et goutteuses, et toute âcreté du sang… humeur noire et mélancolique », se « distingue éminemment de tous ces remèdes créés par le charlatanisme ». En fait, la salsepareille est depuis le XVIe siècle un remède employé contre la syphilis.

Déclin et décadence

Eugène Atget, La galerie Colbert, 1906, BnF, département des Estampes et de la photographie. Source : Gallica.bnf.fr/Bibliothèque nationale de France

Puis, si la galerie est encore active dans les années 1850-1860, le centre du commerce parisien se déplace alors, et peu à peu, elle tombe en désuétude, au point d’être « à peu près déserte » en 1890. Cette impression de délabrement se confirme à la vue des photographies de la galerie prises en 1906 par Eugène Atget. Celles-ci montrent aussi que le sommet du candélabre monumental en bronze qui ornait la rotonde, autrefois comparé à un fier « cocotier au milieu d’une savane » a été remplacé par une horloge (changement attesté dès les années 1880).

Finalement, en 1916, la Commission du Vieux Paris déplore que la galerie Colbert et les passages couverts voisins « meurent d’anémie commerciale ». Ils seraient alors « condamnés à disparaître, dans l’intérêt de la santé publique, physique et morale ». La Commission note aussi que le grand candélabre a désormais disparu…

Le XXe siècle verra la renaissance de la galerie, qui sera le sujet d’un prochain billet.

Lucie Fléjou, service du Patrimoine

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