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Benjamin Couilleaux, directeur du musée Bonnat-Helleu de Bayonne
Mis à jour le 22 avril 2022
Paroles
Benjamin Couilleaux, directeur du musée Bonnat-Helleu de Bayonne
Comment maintenir et développer l’activité d’un musée des beaux-arts, situé au Pays basque et fermé au public depuis plus d’une décennie pour cause de réhabilitation ? Un projet aux allures de défi qui a séduit Benjamin Couilleaux, conservateur en chef du patrimoine, sélectionné par la municipalité de Bayonne qui lui a confié les rênes de son musée Bonnat-Helleu. Entouré de sa petite équipe, il s’y consacre depuis bientôt quatre ans avec détermination.
Les collections de la bibliothèque de l’INHA, que Benjamin Couilleaux fréquente à chacun de ses passages à Paris, demeurent un outil de référence lors de ses missions.
Vous, en quelques mots ?
Je suis Benjamin Couilleaux, actuellement conservateur en chef du patrimoine et directeur depuis 2018 du musée Bonnat-Helleu, le musée des beaux-arts de la ville de Bayonne. Le musée est actuellement en travaux pour rénovation et extension. Sa réouverture est prévue pour le début de l’année 2025.
Musée Bonnat-Helleu, Bayonne, France, 2 septembre 2014. Cliché Jérôme Villafruela – CC-BY-SA 4.0
Je suis devenu conservateur du patrimoine en 2012. Mon premier poste avant Bayonne était à Paris, au musée Cognacq-Jay, le musée du XVIIIe siècle de la ville de Paris. J’y ai exercé pendant un peu plus de six ans en tant que responsable des collections de peinture, sculpture et arts graphiques. Mon activité scientifique était notamment liée à la rédaction d’un catalogue raisonné des sculptures de ce musée, publication qui, je l’espère, verra le jour d’ici quelques années. Parallèlement, j’ai réalisé plusieurs expositions, parmi lesquelles une exposition monographique sur un peintre français, Jean-Baptiste Huet (1745-1811), très versé dans le genre animalier. C’est à cet artiste qu’on doit les modèles des premières toiles de Jouy. Autre exposition un peu marquante et qui a beaucoup plu au public, dont j’étais co-commissaire avec Rose-Marie Mousseaux, alors directrice du musée Cognacq-Jay : Sérénissime ! Venise en fête, de Tiepolo à Guardi.
À gauche : Benjamin Couilleaux, Jean-Baptiste Huet : Le plaisir de la nature [exposition, Paris, Musée Cognacq-Jay, 6 février-5 juin 2016], Paris, Paris-Musées, 2016. À droite : Rose-Marie Herda-Mousseaux, Benjamin Couilleaux, Sérénissime : Venise en fête de Tiepolo à Guardi, Paris, Paris-Musées, 2017. Clichés INHA
Puis, lorsqu’un poste s’est trouvé vacant au musée Bonnat-Helleu de Bayonne, à la suite au départ de sa directrice, Sophie Harent, je me suis mis sur les rangs. Et j’ai l’honneur de diriger ce musée depuis septembre 2018.
Le musée Bonnat-Helleu, en quelques mots ?
C’est un musée des beaux-arts municipal qui dépend de la ville de Bayonne et qui, comme son nom l’indique, est très lié à la personnalité de Léon Bonnat (1833-1922), originaire de cette localité, et que l’on connaît surtout comme grand portraitiste des premières décennies de la IIIe République. Il a notamment réalisé les portraits de Victor Hugo, d’Adolphe Thiers ou encore Louis Pasteur.
Edgard Degas, Portrait de Léon Bonnat, vers 1863, huile sur toile, 1922, Bayonne, musée Bonnat-Helleu, inv. 69, legs Léon Bonnat, dépôt des musées nationaux. Cliché : Cliché A. Vaquero
Léon Bonnat, Portrait d’Adolphe Thiers (1796-1877), 1876, huile sur toile, musée du Louvre, Paris. Cliché : RMN.
Ce grand peintre d’histoire fut également un éminent collectionneur qui a légué à l’État, mais avec obligation de dépôt à Bayonne, une collection extrêmement riche de près de 3 000 œuvres. Celle-ci comprend notamment un fonds de dessins remarquable tant sur le plan quantitatif que qualitatif puisque Bonnat a laissé à Bayonne des feuilles très prestigieuses d’artistes tels Léonard de Vinci, Raphaël, Géricault, Delacroix, Dürer ou encore Watteau ! Il s’agit là d’une collection exceptionnelle pour une ville comme Bayonne et qui fait du musée Bonnat-Helleu un des grands musées du sud-ouest de la France.
Nous sommes actuellement 17 personnes à travailler et l’équipe doit encore s’agrandir. Pour la réouverture, elle devrait compter une trentaine d’agents avec le personnel d’accueil et de surveillance.
Votre fréquentation de la bibliothèque ?
Ma fréquentation de la bibliothèque de l’INHA remonte à 2004 déjà : j’étais alors en master à la Sorbonne après avoir suivi une formation à l’École du Louvre. Après mon cursus universitaire, j’ai continué à utiliser les services de la bibliothèque quand j’étais conservateur au musée Cognacq-Jay afin de préparer un certain nombre de projets scientifiques. Puis j’ai soutenu une thèse en fin d’année dernière, dans le cadre de laquelle j’ai eu à nouveau beaucoup recours aux collections de la bibliothèque. Il s’agit d’une thèse monographique qui porte sur Lambert Sustris, un peintre du XVIe siècle d’origine néerlandaise, relativement méconnu puisqu’on a très peu d’archives le concernant, d’où des problèmes d’attribution. Sur ce peintre, qui a été actif à Venise et dans sa région (à Padoue en particulier) et qui par ailleurs a réalisé une partie de sa carrière en Bavière, il manquait une monographie et il était important pour moi de pouvoir mener ce travail de connoisseurship à l’École pratique des hautes études sous la direction de Michel Hochmann, grand spécialiste de la peinture italienne de la Renaissance. D’autant que l’art Italien, tout particulièrement de la Renaissance, est l’un de mes sujets de prédilection, sur lequel j’ai véritablement axé mes recherches.
Lambert Sustris, Vénus, Amour et Mars, [vers 1550], huile sur toile, 132 x 184 cm, Paris, musée du Louvre, Inv. 1978. Cliché : RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Stéphane Maréchalle.
Actuellement mon rythme de fréquentation est étroitement lié à mes déplacements à Paris en lien avec le projet du musée Bonnat-Helleu. En effet, ce dernier, quoique municipal, présente la particularité de conserver de nombreuses œuvres des collections nationales, dépendant directement du Service des musées de France. J’essaie aussi de venir à Paris pour assister aux événements liés au marché de l’art, tels le Salon du dessin.
Plutôt salle Labrouste ou magasin central ?
Magasin central sans hésitation, pour être au plus près des ouvrages en libre accès. Je travaille en effet sur les collections du musée Bonnat-Helleu, très diversifiées et qui vont de l’Égypte pharaonique à l’Europe du XXe siècle, avec une spécialité : l’art français du XIXe siècle. Ceci en vue de combler les lacunes sur la documentation existante plutôt désuète, d’avoir un niveau d’information le plus complet et actualisé possible, dans l’optique de la réouverture du musée.
J’ai concentré mes recherches ces dernières années sur les collections de dessins italiens. Songez que le musée peut s’enorgueillir de près de 400 feuilles italiennes qui couvrent plusieurs siècles : des fonds prestigieux qui comptent de grands noms tels Michel-Ange, Titien, Le Guerchin, Tiepolo… Et pourtant, le seul catalogue qui a été publié remonte à 1960.
Titien, Roger délivrant Angélique, vers 1560, plume et encre brune, traces de gouache blanche oxydée, sur papier crème, 26 x 40,6 cm, Inv. 652, Bayonne, musée Bonnat-Helleu. Cliché A. Vaquero
Nous avons déjà réalisé un certain nombre de projets à Bayonne pour mettre en valeur ce fonds italien. Ainsi l’exposition Autour de Léonard de Vinci, à l’occasion du cinquième centenaire de la mort de l’artiste. À la même période, nous avons prêté six des dix dessins que nous possédons, à titre tout à fait exceptionnel sachant que nous avons des conditions extrêmement restreintes, pour la grande rétrospective Léonard de Vinci qui s’est tenue au musée du Louvre en 2019-2020. Puis, à l’automne 2020, la célébration du cinquième centenaire de la mort de Raphaël nous a donné l’occasion de présenter un certain nombre de dessins de cet artiste et de son entourage avec l’exposition Raphaël à Bayonne, assortie de la publication d’un catalogue que j’ai rédigé.
Benjamin Couilleaux, Raphaël à Bayonne : le maître, ses élèves, ses copistes dans les collections du musée Bonnat-Helleu [exposition, Bayonne, Musée Bonnat-Helleu, 19 septembre-4 octobre 2020], Gand, Snoeck, 2020. Cliché INHA
Un détail architectural ?
J’aime le côté un peu « industriel » du magasin central, qui contraste avec l’architecture beaucoup plus solennelle de la salle Labrouste. Il y a là une conception originale de l’aménagement que l’on trouve rarement dans d’autres bibliothèques. Et bien évidemment pour les chercheurs qui comme moi ne peuvent malheureusement venir que de façon occasionnelle, autant de livres et de périodiques spécialisés en libre accès représentent un vrai plus.
Une parution à mettre en avant ?
Je suis tombé récemment sur la dernière monographie consacrée à Bernardino Luini, un artiste de la Renaissance italienne proche de Léonard de Vinci à Milan : Bernardino Luini : Catalogo generale delle opere, dont l’auteur est l’historienne de l’art Cristina Quattrini. J’y ai découvert qu’un dessin conservé au musée Bonnat-Helleu a été réattribué à cet artiste, alors que jusqu’ici il était considéré comme une œuvre anonyme de l’école de Léonard. Je n’étais pas au courant de cette réattribution, à mon sens fort convaincante, par la spécialiste.
À gauche : Cristina Quattrini, Bernardino Luini : Catalogo generale delle opere, [Torino], Allemandi, 2019, cliché INHA. À droite : Bernardino Luini, Tête de jeune homme, vers 1520-1525, sanguine sur papier, 10,9 x 9,3 cm, Inv. 1328, Bayonne, musée Bonnat-Helleu, cliché A. Vaquero.
Votre sujet du moment ?
Parallèlement aux tâches inhérentes à la restructuration du musée, nous préparons activement pour cet été, en collaboration avec le musée basque et de l’histoire de Bayonne, une grande exposition dédiée à Léon Bonnat (1833-1922). Il s’agira d’une première pour cet artiste qui a quelque peu été laissé dans l’oubli, voire méprisé, depuis plusieurs décennies : la précédente rétrospective remonte à 1924 au Salon d’automne ! À l’occasion du centenaire de la mort de Bonnat, la ville de Bayonne a tenu à rendre un hommage tout particulier à cet artiste et collectionneur qui fut une personnalité de renom au plan national et ayant donné une certaine image de la culture française.
Le chantier du musée Bonnat-Helleu et les enjeux de cette restructuration ?
Le musée a fermé ses portes en 2011. L’historique est un peu complexe. Les travaux ont véritablement démarré depuis environ un an avec une extension qui est en cours de construction, suivie d’une rénovation du bâtiment d’origine qui date, lui, du début du XXe siècle et dont la dernière restauration remonte à 1979. Cela permettra de doubler les espaces et d’obtenir une surface d’exposition à la fois permanente et temporaire beaucoup plus vaste, de manière à pouvoir présenter au total plus de 1 300 œuvres,et des dessins par rotation dans des espaces consacrés aux arts graphiques. C’est un point très fort du projet que de pouvoir concilier la fragilité du dessin qui impose des normes de conservation assez compliquées et la mission fondamentale d’un musée : exposer des œuvres.
Le parcours muséographique, intégralement repensé, permettra de (re)découvrir l’une des plus riches collections artistiques en France.
N’est-il pas trop difficile de travailler dans un musée fermé ?
Il est certain que la coupure avec le public est quand même terrible, et va à l’encontre de la raison d’être d’un musée !
Nous nous efforçons de maintenir le lien avec le public en particulier via le portail du musée Bonnat-Helleu. Ainsi la rubrique Actualitésdonne des informations notamment sur l’avancée du chantier ou aborde certains aspects de notre activité muséale comme les prêts d’œuvres à d’autres institutions ou encore les campagnes de restauration, primordiales. Le musée communique également sur ses comptes Twitter et Facebook. Pendant la crise sanitaire, le musée Bonnat-Helleu a participé au défi « Tussen Kunst en quarantaine » initié par d’autres musées, qui consistait à reproduire à la maison une des œuvres du musée ; je me suis moi-même prêté au jeu. Cette opération a connu un franc succès. Dans une période difficile pour tout un chacun, il était important que le public puisse se réapproprier nos collections par un biais un peu détourné et pleinement assumé. Cela permet de se familiariser avec les notions de composition, de linéaire, de cadrage.
Réinterprétation de l’autoportrait de Francisco de Goya y Lucientes, peint vers 1800 (Inv. 9, Bayonne, Musée Bonnat-Helleu), par Benjamin Couilleaux, à l’occasion de « Tussen Kunst en quarantaine », 26 avril 2020. Crédit photo : sudouest.fr, Nelly Bastien.
Pour notre exposition à venir sur Léon Bonnat, où seront présentés beaucoup de portraits, nous réfléchissons à cet aspect pédagogique et préparons tout un relais éducatif. Prévoir des ateliers, travailler avec le public scolaire et aussi le public en situation de handicap constitue pour moi la priorité absolue de nos actions culturelles, l’inclusivité sociale demeure au cœur de nos préoccupations.
Réaliser des activités hors les murs autant que possible pendant cette période de fermeture reste également un moyen de maintenir l’activité du musée, de garder et de créer du lien avec le public.
Une particularité due à la situation géographique ?
Il y a incontestablement une richesse patrimoniale entre le Pays basque et les Landes, mais cette contrée est avant tout une porte vers l’Espagne où il reste beaucoup de trésors à découvrir. Je m’intéresse notamment au patrimoine religieux, à ces grands retables que l’on trouve dans certaines églises au Pays basque espagnol et dans les régions avoisinantes. Je partage ces découvertes sur mon compte Instagram. Côté musée, cette proximité avec l’Espagne (une demi-heure suffit pour s’y rendre en voiture ou en train) est un atout : nous sommes en train de développer une politique transfrontalière. Ainsi, prochainement, une collaboration est prévue avec le Museo de Bellas Artes de Bilbao.
Entretien par Christine Camara
service des Services aux publics
En savoir plus
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Revivre l’exposition Sérénissime : Venise en fête de Tiepolo à Guardi, 25 février-25 juin 2017 avec cette vidéo de Paris-Musées.
- Suivre la conférence Raphaël (1483-1520), un artiste de génie dans l’Italie de la Renaissance présentée par Benjamin Couilleaux à l’occasion de l’exposition Raphaël à Bayonne (19 septembre- 4 octobre 2020), dont il était le commissaire.