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Bertha Züricher (1869-1949)
Une artiste suisse dans le cabinet des estampes
Les archives du cabinet d’estampes modernes de la Bibliothèque d’art et d’archéologie, conservées aujourd’hui à la bibliothèque de l’INHA, rassemblent des factures de marchands d’estampes auprès desquels Noël Clément-Janin (1862-1947), chargé par Jacques Doucet de développer la collection d’estampes modernes, effectuait ses achats, ainsi que des correspondances avec des artistes quand l’achat se faisait de gré à gré.
Clément-Janin et Bertha Züricher
Clément-Janin a probablement découvert Bertha Züricher au Salon des Indépendants de 1911, où il a acheté une estampe (ou 5), puis il l’a directement sollicitée par correspondance : vingt-sept lettres, cartes-lettres et cartes postales signées Bertha Züricher, deux copies de lettres envoyées par Clément-Janin et une lettre du frère de Bertha sont échangées entre le 10 octobre 1911 et le 9 juillet 1914. Au total, Clément-Janin acquiert sur trois ans une soixantaine de gravures sur bois, joliment colorées en aplat de couleurs franches, imprimées sur papier japon ; elles représentent des enfants, des animaux, des fleurs et des paysages de montagne. Il est probable que les estampes créées après le premier achat l’ont été grâce aux encouragements de Clément-Janin.
Bertha Züricher, [Paysage d’hiver], estampe, bois en couleurs, [1912 ?]. Paris, bibliothèque de l’Institut national d’histoire de l’art, EM ZURICHER 29. Cliché INHA
La correspondance entre Clément-Janin et Bertha Züricher conforte ce que l’on sait de l’expertise et des méthodes d’achat de celui qui écrivait : « je ne suis que le mandataire de M. Doucet ».
Clément-Janin applique la politique générale du cabinet d’estampes modernes qui est d’acquérir l’œuvre aussi complet que possible d’un artiste. Sa gestion est soigneuse : il réclame à Bertha Züricher son catalogue (il recevra des listes, dont une première de 26 estampes fin 1911) et des éléments biographiques pour une étude, se fait livrer les estampes pour examen, détecte un doublon sur les titres et applique une ristourne de 10 % sur les prix indiqués par l’artiste.
Il est généreux : il soutient Bertha Züricher en lui fournissant les adresses de marchands parisiens et la recommande sans doute pour le Salon d’Automne de 1913. Il lui donne son avis sur le sérieux de revues artistiques qui l’ont approchée et il lui force un peu la main en la faisant adhérer à la « société de gravures créée par Monsieur Doucet ». Vertueux, il refuse courtoisement le don d’une gravure : « et c’est à lui [Jacques Doucet] que reviendrait normalement et logiquement le don que vous voulez me faire. Or nous possédons tout ce que vous avez publié » (lettre du 2 janvier 1912).
La vie d’artiste de Bertha Züricher
Artiste suisse peu connue en dehors de son pays, Berha Züricher a sa notice dans le dictionnaire Bénézit et depuis peu sur Wikipédia.
Sa correspondance révèle une personnalité attachante, bien accordée au style de ses estampes, et laisse entrevoir les bonheurs et les difficultés d’une vie d’artiste. Dès 1904, le journal Gil Blas la considère comme une jeune artiste prometteuse.
Louis Vauxcelles, « Notes d’art », dans Gil Blas, 21 novembre 1911, p. 1. Origine : Gallica (BnF)
Entreprenante, Bertha Züricher se déplace beaucoup pour faire connaître son œuvre peint et gravé. Elle s’inscrit à des salons à Paris (Salons d’Automne de 1911 et de 1913 et Salon des Artistes indépendants de 1912), à Vienne, Berlin, Zurich ou Francfort. C’est parfois difficile comme à Berne où « malgré de méchants collègues », elle a pu placer quelques gravures et toiles pour l’exposition nationale (lettre du 29 juin 1914).
Soucieuse du meilleur conditionnement pour expédier les estampes – les encadrer ou les livrer sur support carton ? (lettre non datée) –, attentive à la réception des mandats – elle signale ses nombreux changements d’adresse –, Bertha Züricher s’attache à donner le meilleur d’elle-même et va à Munich faire imprimer à la main (ou imprimer elle-même) les estampes qu’elle destine à Clément-Janin (lettre du 10 octobre 1911). De Munich, elle écrit : « j’ai dû faire du passage de 3 couleurs qui paraît simple, cinq épreuves avant que j’ai[e] pu vous envoyer une » (carte-lettre du 11 décembre 1911). Elle demande ensuite des adresses de marchands d’estampes et l’en remercie (lettre du 10 janvier 1912). Sans doute échaudée, elle dit se méfier des marchands d’estampes : « je crois qu’il vaut mieux de ne pas être dans leurs mains » (carte-lettre du 13 janvier 1913). Peu de temps après avoir obtenu qu’Hessèle, de la rue Laffitte, prenne ses estampes en commission, elle les lui retire (carte-lettre du 13 janvier 1913) puis, courant 1913, se réjouit d’être recommandée à Mme Barthélémy, qui représente Forain et Steinlein (lettre non datée).
Directe, elle se plaint à Clément-Janin des ristournes sur les prix mais tempère en écrivant que c’est un « réel plaisir de vendre à une collection publique comme la vôtre, que je suis toute satisfaite » (lettre du 24 décembre 1911). Après avoir cotisé à la « Société de gravures » en novembre 1912, elle réclame l’annuaire des sociétaires (lettre du 8 janvier 1913).
Lettre de Bertha Züricher à Clément-Janin, 16 mars 1914. Paris, bibliothèque de l’Institut national d’histoire de l’art, archives de la BAA, fonds du cabinet des estampes modernes. Cliché INHA
Dans sa lettre du 16 mars 1914, Bertha Züricher exprime sa fierté de connaître un peu de succès en Allemagne (un célèbre peintre allemand l’a achetée), mais surtout sa reconnaissance à Clément-Janin : « je ne peux vous dire combien cela m’encourage que je peux toujours vous envoyer ce que je grave. Cela fait naître des idées et me pousse en avant ». Trois mois plus tard, elle se félicite que son métier de graveur marche beaucoup mieux (lettre du 29 juin 1914).
Attachée à sa famille d’artistes, une sœur professeur de dessin à Berne et un frère artiste peintre, elle tente en vain de vendre à Clément-Janin les gravures de son frère. Elles sont trop ressemblantes aux siennes, comme le note Clément-Janin (note du 17 avril 1914, en marge d’une lettre du frère). Déçue, Bertha Züricher répond un peu naïvement : « je trouvais que c’est un peu naturel que des frères et des sœurs se ressemblent aussi dans leurs œuvres » (lettre du 29 juin 1914).
Bertha Züricher, [Cerises], estampe, bois en couleur, [1938 ?]. Paris, bibliothèque de l’Institut national d’histoire de l’art, EM ZURICHER 63. Cliché INHA
Vingt ans plus tard, entre 1936 et 1938, Bertha Züricher envoie ses vœux à la bibliothèque Doucet et à Madame Brière, sur des petites estampes exécutées dans le même goût que les estampes réunies par Clément-Janin, attestant ainsi de sa fidélité relationnelle et artistique.
Edwige Archier
En savoir plus
Egli (Kurt Jacob), Bertha Züricher : Leben und Werk der Berner Malerin, Bern, Berna-Verlag, 2004, 175 p., ill. INHA : libre accès : NY ZURI3.A3 2004