Que cache ce regard vide ? Est-ce l’écroulement de son monde ? Qu’est-ce qui se cache derrière cette femme ? Derrière cette œuvre d’art ?

Des yeux sans vie qui se détournent de notre regard. Cette œuvre de Käthe Kollwitz, réalisée en 1903, interpelle l’imagination de celui qui la rencontre.

Notre attention est captée, tout d’abord, par ce visage si triste, si épuisé, dessiné au crayon gras sur une pierre (on parle de « lithographie »). Cette femme ouvrière semble dessinée dans une situation de la vie réelle.

Sa veste bleue nous renseigne sur sa profession, qui est celle d’ouvrière.

Le visage livide se détache sur le fond sombre, sur le fond noir. On est alors immédiatement interpelé, comme happé par ce visage quand on la regarde pour la première fois.

L’œuvre est seulement centrée sur lui. Il n’y a rien autour qu’elle. Uniquement sa tête et son buste.

L’artiste fait donc en sorte que l’on soit directement captivé par le visage. Celui-ci est comme griffé de traits noirs, rapides et énergiques. Des rides ? Les cheveux et son visage ont beaucoup de caractère grâce aux traits de crayon.

Un visage si pâle, si creux, des yeux si figés sur quelque chose qu’on ne voit pas. Peut-être un outil de travail ? Est-elle fatigué par son travail ? Vit-elle un supplice ? une souffrance ?

Quoi qu’il arrive, elle ne quitte pas cette chose des yeux. Ce qui l’entoure n’a pas d’importance. Le monde qu’il l’entoure ne semble pas exister au travers de ces yeux. Ce qui nous fait nous questionner indéfiniment sur les sentiments qu’éprouve cette femme.

On ne connaît ni son nom, ni son histoire mais elle nous procure tant d’émotions. Elle a l’air vivante mais morte de l’intérieur, abattue par la vie sans doute.

Elle est plongée dans une atmosphère tragique et une fatigue intense.

Cette image nous donne l’impression que cette femme est devant nous. Cela s’explique par le fait que c’est presque une grandeur nature. J’ai l’impression que le dessin est une photo prise à l’instant présent, comme si la femme se penchait vers nous.

On dirait qu’on a pris une photographie d’elle mais que cela l’indiffère. Elle est tellement occupée par ce qu’elle est en train de faire qu’elle en oublie ce qu’il y a autour d’elle. Sommes-nous l’objectif ou la caméra ?

Parmi les lithographies polychromes créées entre 1898 et 1904 par Käthe Kollwitz, aucune n’a été éditée à l’exception de celle-ci, parue en 1906 dans un portefolio annuel. Cette suite d’estampes datant de 1903 met la lumière sur les personnes qu’on ne regarde pas d’habitude, auxquelles on ne prête ordinairement pas attention. C’est un sujet cher à Käthe Kollwitz, graveuse et sculptrice allemande, qui représente dans ces œuvres les inégalités et les souffrances des classes populaires de l’Allemagne de son temps : la misère des ouvriers, les tragédies de la guerre et la condition des femmes.

Les portraits de cette époque illustrent normalement des gens ou des femmes aisées qui ont la possibilité de payer pour leur portrait. Mais là, Käthe Kollwitz illustre une femme ouvrière. Et elle lui confère une image à la fois puissante et tragique.

L’artiste cherche à témoigner de la douleur de cette femme en particulier. Elle lui donne de la visibilité, à défaut de lui donner la parole.

En bref, elle nous fait nous questionner, elle suscite l’imagination, elle nous interpelle, en entourant cette ouvrière d’un certain mystère.

Marie Ève Fwakasumbu