Source indispensable à l’étude des arts éphémères, ce corpus a été constitué, pour l’essentiel, entre 1907 et 1917 par Jacques Doucet qui réalisa ses acquisitions dans des librairies spécialisées ou lors de ventes aux enchères. Toujours en quête d’exemplaires exceptionnels (reliures remarquables, planches de qualité éventuellement rehaussées de couleurs, volumes dont la provenance apporte une valeur ajoutée), il réalisa une véritable œuvre de bibliophile et trouva pour ce faire une aide précieuse auprès du libraire Édouard Hermal, également fournisseur d’Auguste Rondel, un autre collectionneur passionné de théâtre et de spectacles, qui légua sa vaste collection de documents à la Bibliothèque nationale de France, département des Arts du spectacle en 1920. Hermal rédigeait à l’attention des futurs acquéreurs des notes bibliographiques dans lesquelles il présentait l’ouvrage, son intérêt iconographique et indiquait sa rareté en se basant sur les citations des bibliographes de son temps ou les catalogues des collections privées et publiques françaises. Lorsque la bibliothèque disposait de ces notes manuscrites, elles ont été glissées entre les pages de garde et numérisées avec les recueils (exemple d’une note d’Hermal). Elles peuvent être facilement repérées par l’ajout d’une mention dans la notice descriptive (sous la forme : « Accompagné d’une note bibliographique manuscrite du libraire Édouard Hermal »). Pour preuve de leur étroite collaboration, la bibliothèque conserve également une lettre dans laquelle le libraire propose à Doucet d’acquérir le double d’une planche d’un volume qu’il lui a précédemment vendu dans un état différent (absence de lettre dans la marge inférieure). Le collectionneur donna à cette suggestion une issue favorable puisque cette épreuve a été ajoutée postérieurement sur onglet dans l’ouvrage en question.

Christophe Plantin, La magnifique et sumtueuse pompe funèbre faite en la ville de Bruxelles, le XXIX. jour du mois de décembre, MDLVIII. aux obsèques de l'empereur Charles V, eau-forte, 1559. Paris, bibliothèque de l'INHA, 4 EST 252. Cliché INHA
Christophe Plantin, La magnifique et sumtueuse pompe funèbre faite en la ville de Bruxelles, le XXIX. jour du mois de décembre, MDLVIII. aux obsèques de l’empereur Charles V, eau-forte, 1559. Paris, bibliothèque de l’INHA, 4 EST 252. Cliché INHA

Amateur passionné et acheteur avisé, Jacques Doucet forma un ensemble de livres de fêtes unique nous permettant de revivre les grands événements qui donnèrent lieu à des cérémonies, du XVe au XXe siècle, du Sacre du Roi très chrétien Louis douzième de ce nom fait à Reims l’an 1498, le 26e jour de mai à la Réception à l’Hôtel de Ville de Paris du Maréchal Pilsudski, chef de l’État polonais, le 5 février 1921. De l’incunable aux ouvrages parus sous la IIIe République, la collection couvre donc une large période chronologique. Quant à l’étendue géographique, il s’agit principalement de l’Europe de l’Ouest et de ses grandes monarchies chrétiennes : la France, où plus d’une trentaine de villes différentes organisèrent de telles festivités, mais aussi l’Italie avec notamment un recueil de grandes planches coloriées où figurent les barques de la régate courue à Venise en l’honneur d’Edward, duc d’York en 1764, la Belgique avec La magnifique et sumtueuse pompe funèbre faite en la ville de Bruxelles pour Charles Quint, l’Espagne et ses ouvrages relatant le mariage de Louis XIV et Marie-Thérèse d’Autriche, l’Allemagne et ses impressionnants cortèges faits à Francfort pour le couronnement de Léopold Ier, les Pays-Bas avec l’entrée triomphante de Guillaume III à La Haye en 1691, l’Autriche avec cette page de titre sur laquelle les sculptures elles-mêmes pleurent la mort de Ferdinand Ier en 1565, le Royaume-Uni et le tournoi donné à Londres en 1511 pour la naissance de Henri, duc de Cornwall, fils aîné de Henri VIII, etc. Les exemples pourraient encore être nombreux. Toutefois, les livres de fête ont connu un rayonnement particulier dans la France monarchique de l’Ancien régime, ce qui explique que les fêtes parisiennes et versaillaises des XVIIe et XVIIIe siècles occupent une place prépondérante dans les collections de l’INHA.

Destinés à diffuser l’image des fastes royaux, ils sont parfois richement illustrés pour faire ressortir le soin particulier apporté aux décors et aux costumes. Les organisateurs des manifestations faisaient appel aux meilleurs artistes de leur temps car, comme le souligne Jérôme de La Gorce, « les parures jouaient un rôle considérable, elles rehaussaient l’éclat du prince et de ceux qu’on voyait à ses côtés ». Nommé en 1674 dessinateur de la chambre et du cabinet du roi, Jean Berain devient le principal décorateur de fêtes et de cérémonies organisées à la cour de Louis XIV. Il réalise notamment les maquettes de costumes pour le « Carrousel des galants maures » : tenu les 4 et 5 juin 1685 à Versailles (au manège découvert derrière la Grande Écurie), ce prestigieux spectacle équestre met à l’honneur non pas le roi Louis XIV mais son fils, le Dauphin, alors âgé de vingt-quatre ans et réputé pour être un excellent cavalier : « très-bon homme de cheval & très-adroit dans tous les exercices du corps » sous la plume de Jean Donneau de Vizé, auteur de La Brillante journée ou le Carrousel des galans Maures. Publié chez la Veuve Blageart et destiné à la vente au public venu assister au divertissement, ce livret nous permet de connaître l’argument et le déroulement du carrousel. Le thème choisi est celui d’un combat opposant les Abencérages et les Zegris, un épisode tiré des Guerres civiles de Grenade, roman historique de Ginès Pérez de Hita. Commandé par le Dauphin, le quadrille des Abencérages (comprenant les Gazules, les Alabèses et les Almoradis) fait face au quadrille des Zégris (comprenant les Vanègues, les Gomèles et les Maces) commandé par le duc de Bourbon, petit-fils du grand Condé. Pour chaque groupe de participants et leurs montures, Berain imagine d’étonnantes parures mêlant emprunts à l’Orient, notamment pour les turbans, et à l’univers chevaleresque des anciens tournois du Moyen Âge et de la Renaissance. Pour conserver un souvenir précis du raffinement extrême des costumes et caparaçons élaborés, un recueil de gravures aquarellées a été exécuté d’après les dessins de costumes originaux de Berain (aujourd’hui en partie conservés au Musée du Louvre, département des Arts graphiques, collection Rothschild). Ces estampes gravées au trait coloriées par des miniaturistes étaient tirées en nombre restreint pour servir de cadeaux. Véritables pièces de collection, elles sont l’un des fleurons de la bibliothèque de l’INHA.

Giovanbattista Balbi, Balletti d'invenzione nella Finta pazza, [Ballet des Indiens et des perroquets] [1645]. Paris, bibliothèque de l'INHA, 12 RES 333. Cliché INHA
Giovanbattista Balbi, Balletti d’invenzione nella Finta pazza, [Ballet des Indiens et des perroquets] [1645]. Paris, bibliothèque de l’INHA, 12 RES 333. Cliché INHA

Outre leur caractère parfois spectaculaire, la provenance de certains de ces volumes leur confère une valeur supplémentaire. D’apparence plus modeste, un petit recueil rassemblant trois programmes pour les fêtes données à l’occasion du mariage de Madame Louise Élisabeth et de l’infant Dom Philippe en 1739 se révèle être d’un grand intérêt. Selon la note bibliographique d’Hermal, il comporte de « curieuses inscriptions manuscrites du temps » qui s’avèrent être des notes manuscrites de son possesseur. Pendant qu’il assistait aux festivités, il annota en marge le programme, détailla le déroulement des cérémonies, releva les inexactitudes par rapport au programme originel sans se priver d’émettre un jugement sur les représentations dont il fut spectateur. Ce document devient alors un témoignage précieux de l’usage fait des programmes et de la réception de ce genre d’événement par le public de l’époque.

Un autre exemple de provenance exceptionnelle nous est donné avec un volume intitulé Balletti d’invenzione nella Finta Pazza commémorant un ballet crée par le chorégraphe Giovan Battista Balbi pour le divertissement du jeune Louis XIV en 1645. Dédicacé de la main de l’auteur à Anne d’Autriche et relié dans un maroquin au monogramme de la reine, cet exemplaire a appartenu aux collections de la famille royale, la légende voudrait même qu’il ait été mis en couleurs par Louis XIV lui-même.
La collection de livres de fête de la bibliothèque de l’INHA regorge de trésors et aux côtés des ouvrages publiés à l’occasion des fêtes de cour se trouvent également des estampes et dessins de fête – dont une grande frise de près de quatre mètres de long où défile un cortège de personnages richement costumés et de chevaux à caparaçons ornés –, des traités et manuels particulièrement sur la pyrotechnie, ainsi que des documents relatifs aux fêtes populaires comme ceux liés à la fête des vignerons de Vevey, un spectacle organisé par la Confrérie des vignerons de Vevey depuis 1797 pour rendre hommage aux traditions et au monde viticoles et inscrit au patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO depuis le 1er décembre 2016.

La bibliothèque poursuit ses efforts pour enrichir par ses acquisitions le noyau historique de la collection qui reste un objet d’étude important notamment pour le programme de recherche Chorégraphies, dans le cadre duquel un corpus sur les ballets équestres a été identifié et sera prochainement numérisé.

Élodie Desserle, service de l’Informatique documentaire

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