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Un monde de couleurs : l'émail dans les collections
Mis à jour le 21 mars 2025
Autour des collections
Auteur : Anthony Quarrens
À l’occasion du deuxième billet de notre série dédiée à l’art des émaux dans les collections de la bibliothèque de l’INHA, notre regard se porte aujourd’hui sur le travail de l’artiste Claudius Popelin (1825-1892), auquel le sort historiographique ne rend pas honneur malgré l’importance qu’il eut de son vivant. Une riche correspondance et un album inédit nous ouvre la porte vers le travail de cet humaniste du XIXe siècle.
Embrassant un premier temps une carrière de peintre d’histoire, Popelin se tourne vers les arts du feu par l’intermède de son mentor Ary Scheffer. En 1860, il commence par imiter des majoliques avec l’aide de Joseph Devers, un autre élève de Scheffer. Par la suite, ce groupe d’artistes organise des visites à la Manufacture nationale de Sèvres et Popelin exprime son souhait à la direction de la Manufacture d’apprendre à cuire les émaux à la manière des maîtres limousins.
Son italophilie couplée à un apprentissage des lettres classiques lui permet de traduire plusieurs ouvrages du Cinquecento. Le premier d’entre eux est publié en 1860, un traité du peintre en majolique Cipriano Piccolpasso (1524-1579) intitulé Les trois livres de l’art du potier. Parue à un moment où la faïence connaissait un regain d’intérêt, autant auprès des amateurs que chez les créateurs, cette traduction s’était imposée comme un ouvrage incontournable pour celui qui voulait s’informer sur le sujet.
Ainsi, si Popelin n’était pas le grand redécouvreur de ces techniques anciennes, il en est devenu le grand vulgarisateur et à ce titre, il est parvenu à se faire une place de choix dans le milieu des arts décoratifs. Il figure parmi les membres fondateurs de l’Union centrale des arts décoratifs pour laquelle il dirigeait l’atelier de décoration des faïences, porcelaines et émaux et y dispensait des cours aux élèves de l’école.
Popelin avait pour volonté de démocratiser ce qu’il appelait « l’émail des peintres » dont il se faisait une haute idée et diffusait sa pensée au travers des avant-propos de ses traductions. Il considérait qu’à l’instar de la majolique qui était l’apanage de l’Italie, l’émail était l’art français par excellence en raison de l’épanouissement qu’il connut à l’époque des émaux de Limoges. Soucieux de la pérennité de son œuvre, Claudius Popelin voyait dans les qualités de pigmentation inaltérable de l’émail un moyen de conserver l’éclat des couleurs de ses créations.
Il contribue ainsi à un mouvement de renouveau de l’émail en France aux côtés d’autres émailleurs tels que Charles Lepec, Alfred Meyer et Suzanne Estelle Apoil. Membre actif de l’Union centrale des arts décoratifs, il participe aux expositions autant comme exposant que comme membre de la commission selon les années. Ses productions personnelles sont remarquées et il collabore aussi avec des fabricants comme Mazaroz-Ribailler, Barbedienne ou Sauvrezy, pour qui il réalise des émaux peints qui sont ensuite incrustés dans leurs meubles. Beaucoup des sujets qu’il représente sont des figures allégoriques ou bien des représentations de grands hommes, comme le portrait de Napoléon III qui lui vaut d’être récompensé par une médaille d’or au Salon de 1865.
Malgré cette fortune critique, il se retire de la scène artistique pour ne plus produire que pour lui-même et pour ses proches après la mort prématurée de sa femme en 1869 et le saccage de sa maison par les fédérés de la Commune de Paris. Il consacre le reste sa vie à une carrière de poète, proche du Parnasse, ainsi qu’à l’éducation de son fils unique Gustave, qu’il destine à devenir peintre et qui remporte le prix de Rome en 1882. Un an après son décès, une exposition rétrospective de son œuvre est organisée par l’union centrale des arts décoratifs à l’initiative de ses proches en 1893 au Palais de l’industrie.
Ce contexte fait prendre la mesure de l’intérêt patrimonial de l’album de dessins conservé par la bibliothèque de l’INHA. En effet, un grand nombre des dessins de l’artiste ont disparu au cours du pillage de son logement, rendant rares et précieux les quelques-uns qui nous sont parvenus – un ensemble de dessins de plantes est également conservé au musée d’Orsay. Avec cet album, l’un des derniers témoignages matériels d’une collection évanouie, l’INHA possède l’un des ensembles les plus conséquent de dessins de Popelin, qui nous renseigne sur ses méthodes de travail et fait deviner un pan de la documentation d’un artiste imprégné de références issues de la Renaissance.
L’album en question se compose de quarante-quatre feuillets sur lesquels ont été collés trois photographies représentant des tapisseries second Empire, quatre dessins d’objets d’art décoratif (intérieurs, cheminées, argenterie, flambeaux) et surtout cent cinquante-neuf calques, principalement de manuscrits enluminés.
L’artiste a rigoureusement référencé ces calques en mentionnant la nomenclature, le lieu de conservation et la date de consultation des manuscrits décalqués. Ainsi, on peut voir qu’une grande partie de ceux-ci était conservée au musée des Souverains, une institution inaugurée par Napoléon III le 15 février 1852, disparue depuis. La datation des calques par Popelin indique qu’il s’y est rendu seulement quelques mois après son ouverture, ce qui montre l’attention de l’artiste à l’actualité muséale de son temps. Plus largement, cet album nous donne à voir les pratiques documentaires des artistes de cette période, où des normes de conservation plus permissives permettaient de venir décalquer sur des manuscrits ou de frotter sur une reliure pour en récupérer le relief.
Plus que l’intérêt de Popelin pour les arts décoratifs, c’est surtout sa passion pour le livre en tant qu’objet d’art qui transparaît dans cette documentation. Grand bibliophile, Popelin s’attachait à réaliser des plats de reliures en émail pour décorer les livres qu’il offrait à ses proches. Il a également été amené à en réaliser avec son collaborateur et ami orfèvre Lucien Falize, comme cet exemplaire conservé au Walters Art Museum, dont on remarque sans peine la filiation avec certains calques issus de l’album. Pratiquant lui-même l’enluminure, la dédicace qu’il réalisa pour sa traduction de Picolpasso à la princesse Mathilde est richement décorée et rappelle elle aussi les enluminures présentes dans cet album.
La bibliothèque de l’INHA possède également dans ses fonds un grand nombre de lettres concernant Claudius Popelin, aussi bien en tant qu’expéditeur ou destinataire. Intégré dans les hautes instances de la société du XIXe siècle, il entretient notamment une relation privilégiée avec la princesse Mathilde, et les Goncourt ne se dispensaient pas d’insinuer leur concubinage, bien qu’aucune officialisation n’ait été faite. Dans cette correspondance, on en apprend davantage sur les relations professionnelles de Popelin avec Lucien Falize et sur ses rapports amicaux avec les peintres du cénacle de la princesse Mathilde comme Ernest Hébert, Eugène Giraud ou encore Jean-Léon Gérôme. Parmi les correspondants fameux se trouvent aussi Philippe Burty, critique d’art et grand défenseur de l’émailleur, qui s’avère être un ami de longue date. Cela nous rappelle la ténuité de ce milieu, dans lequel critique d’art et artiste fonctionnaient parfois en tandem, que ces hommes se connaissaient, se côtoyaient, entretenant des liens parfois sur plusieurs générations (Gustave Popelin, fils de Claudius, est également très présent dans cette correspondance).
L’exemple de Claudius Popelin permet ainsi de constater la cohérence de la collection issue de la réunion des collections de la BCMN et de la Bibliothèque d’Art et d’Archéologie à l’INHA, qui documente aujourd’hui une figure majeure et pourtant oubliée.
Anthony Quaren
Anthony Quaren rédige actuellement un mémoire de master 2 sous la direction de Barthélémy Jobert, à Sorbonne université, sous le titre Claudius Popelin, « immarcessible émil » (1825-1892).
Yves Badetz, « Le poète et la princesse », dans Un soir chez la princesse Mathilde. Une Bonaparte et les arts [exposition, Ajaccio, Palais Fesch-musée des beaux-arts, 26 juin 2019 – 30 septembre 2019], Milan : Silvana Editoriale, Ajaccio : Palais Fesch-musée des beaux-arts, 2019, p. 163-166.
Catherine Cardinal, « Claudius Popelin (1825-1892), peintre d’histoire, écrivain », dans L’Estampille/L’Objet d’art, 2019, no 562, p. 56-65.
Lucien Falize, Claudius Popelin et la renaissance des émaux peints, Paris, Gazette des beaux-arts, 1893.