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Collectionner à la fin du XIXe siècle, entre secret et publication
Mis à jour le 3 mai 2021
Collectionner à la fin du XIXe siècle, entre secret et publication
Parmi les dernières mises en ligne sur notre bibliothèque numérique figurent les Collections du Château de Goluchow et La Collection Tyszkiewicz, deux ouvrages de Wilhelm Froehner portant sur des collections d’antiques.
Archéologue et numismate, Wilhelm Froehner ou Fröhner (1834-1925) rédigea de nombreux catalogues d’antiquités pour des collectionneurs ou pour des ventes mais également pour le musée du Louvre dont il fut nommé conservateur adjoint en 1867. Salomon Reinach (1858-1932) qui loue « sa science presque universelle de l’Antiquité » et « sa connaissance peu ordinaire de l’archéologie du Haut Moyen Âge » le désigna comme « le meilleur rédacteur de catalogues qui ait existé au XIXe siècle » (Revue archéologique, T. 22, juillet 1925).
C’est sans doute cela qui poussa le Comte Michel Tyszkiewicz (1828-1897), à confier à Froehner la publication du catalogue de sa collection.
La collection Tyszkiewicz
Tyszkiewicz compte parmi les collectionneurs les plus importants de la seconde moitié du XIXe siècle ; de 1895 à 1897, il publia dans la Revue archéologique ses passionnants « Notes et souvenirs d’un vieux collectionneur ». Caractérisée par une grande variété, sa collection se composait de pièces diverses issues de fouilles réalisées en Italie, en Grèce et en Orient : céramiques, bronzes, objets en argent, bijoux en or, pierres gravées, camées, vases… autant de « merveilles » qui auraient trouvé place dans les galeries des prélats romains du XVIe siècle, selon Froehner.
Dans son catalogue, l’auteur ne se limite pas à un inventaire savant. Il ajoute au commentaire scientifique des œuvres des mentions qui traduisent son éblouissement et soulignent la rareté des pièces : « Je n’ai jamais vu de bijou aussi beau ni aussi délicatement travaillé… », « On ne verra pas souvent une chytra de bronze étrusque de cette dimension et de cette beauté… Toute la surface est couverte d’ornements en relief d’un goût exquis et d’une finesse de travail digne d’un orfèvre… ».
Preuve, s’il en est, de l’importance des objets rassemblés par Tyszkiewicz, nombre d’entre eux figurent aujourd’hui dans des collections de musées, près d’une trentaine de par le monde, comme ce grand cratère athénien qui a rejoint le Museum of Fine Arts de Boston, cette paire de boucles d’oreilles réunies par une chaînette visible au British Museum ou encore cette anse d’amphore en forme de bouquetin ailé au Musée du Louvre .
Wilhelm Froehner, La Collection Tyszkiewicz, Munich : Friedrich Bruckmann, [1892?], Bibliothèque de l’INHA, collections Jacques-Doucet, 4 F 788. Cliché INHA
Entre secret et publicité de la collection
La collaboration entre Froehner et Tyszkiewicz ne s’est pas limitée à la rédaction de ce catalogue en 1892. Depuis déjà plusieurs années, les deux érudits passionnés échangeaient régulièrement, comme le démontre l’abondante correspondance, conservée aux Archives Goethe et Schiller à Weimar, de plus de 452 lettres (soit 705 feuillets) datées de 1872 à 1898 (Signatur GSA 107/692). Dans leurs lettres, les deux hommes se tenaient informés de leurs acquisitions respectives, car Froehner était lui même collectionneur. Ils partageaient également leurs connaissances sur le marché des antiquités et sur les civilisations anciennes. En sa qualité de philologue, il n’était pas rare que Froehner aide Tyszkiewicz à déchiffrer les inscriptions figurant sur les objets.
Si Tyszkiewicz et Froehner étaient animés par une même passion, ils entretenaient un rapport bien différent avec leurs collections respectives. Ainsi Tyszkiewicz fonda un musée privé à Rome, où il résidait, pour y exposer ses trésors, alors que Froehner tenait secrète son activité de collectionneur, pourtant commencée précocement à l’âge de 9 ans. Une partie de cette collection passa en vente en avril 1909 à Gênes, en toute discrétion, comme en témoigne l’intitulé du catalogue « Catalogo di monete greche, collezione di un dotto Numismatico Straniero ». Une volonté de secret clairement affichée, puisqu’il déclarait lui-même, en 1920 dans les pages du Bulletin de la vie artistique : « ma collection est vierge, je ne la montre pas ».
En 1925, il légua par testament plus de 3 400 objets inscrits, grecs et romains, au Cabinet des Monnaies, médailles et antiques de la Bibliothèque nationale de France, laissant aux conservateurs le soin de la publication progressive de cette collection. Froehner n’avait que partiellement inventorié sa propre collection, chose surprenante pour celui qui passa sa vie à rédiger des catalogues, mais qui prouve une dernière fois son goût du mystère.
Références bibliographiques
- Michel Tyszkiewicz, Notes et souvenirs d’un vieux collectionneur, Revue archéologique, 1895-1897. Disponible en ligne : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k203639h/f276.item (consulté le 02/05/2017)
- Hellmann Marie-Christine et Masson Olivier, Wilhelm Froehner numismate, Revue numismatique, 6e série – Tome 36, année 1994. Disponible en ligne : http://www.persee.fr/doc/numi_0484-8942_1994_num_6_36_2010 (consulté le 02/05/2017)
- Les grands collectionneurs : Guillaume Froehner, Bulletin de la vie artistique, 1er juin 1920. Disponible en ligne : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6111077k/f6.item (consulté le 02/05/2017)
- Louis Robert, Collection Froehner : Inscriptions grecques, Paris, Éditions des Bibliothèques nationales, 1936
- Mariola Kazimierczak, La correspondance de Michel Tyszkiewicz, grand collectionneur d’antiquités, adressée à Wilhelm Froehner entre 1872 et 1897, Thèse de doctorat en Études slaves soutenue le 10-01-2015 à Paris 4
Élodie Desserle
Service de l’informatique documentaire
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