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Du nouveau sur le duc de Luynes
Mis à jour le 13 juillet 2021
Les trésors de l'INHA
Auteur : Isabelle Périchaud
Célèbre pour avoir fait don de sa fabuleuse collection d’antiques au Cabinet des médailles en 1862, le duc de Luynes fut également un immense savant qui s’intéressa autant au passé qu’aux réalisations et recherches de son temps. Excepté quelques ensembles de correspondance, conservés notamment à l’Institut et à la BnF, relativement peu d’archives documentent ses multiples travaux. Aussi la vente chez Delon-Hoebanx, le 16 septembre 2020, de nombre de ses papiers d’érudition a-t-elle attiré l’attention de plusieurs institutions françaises dont la bibliothèque de l’INHA, acquéreur d’une série de lettres datées des années 1850, de dessins et d’un lot de notes scientifiques relatives à la Sicile. Cette acquisition, qui forme désormais le fonds coté Archives 176, est l’occasion d’évoquer ici la figure du duc de Luynes et certaines de ses activités.
Un esprit encyclopédique et un « homme de bien »
Né au tout début du XIXe siècle au sein d’une famille aristocratique épargnée par la Révolution, Honoré d’Albert, duc de Luynes, reçoit une solide éducation et développe très tôt un goût prononcé pour l’histoire et les arts. Grâce à sa fortune personnelle il peut voyager et s’adonner à ses études tout en constituant une collection de vases et de monnaies. Esprit curieux, il s’intéresse également aux sciences et aux nouvelles inventions, comme la photographie, en juste appréciateur des services qu’elles peuvent rendre à la recherche. Il installe ainsi dans son château de Dampierre, en Yvelines, un laboratoire de chimie qui lui permet d’entreprendre lui-même des expériences sur les objets qu’il collectionne.
Qualifié de « grand homme de bien » par Longpérier, le duc de Luynes se veut également au service de ses contemporains par le biais du mécénat et de l’action publique. Sa situation financière lui permet de soutenir de nombreuses publications et recherches, et de passer commande aux artistes de son temps, notamment dans le cadre de travaux qu’il entreprend dans son château de Dampierre dans les années 1840. Côté vie politique, il est élu député en 1848 et le restera jusqu’en 1851. Mais c’est en tant que membre du conseil général de Seine-et-Oise, à partir de 1836, qu’il se distingue et exerce sa bienfaisance.
L’ensemble de correspondance acquis par l’INHA reflète tout particulièrement cet aspect philanthropique de sa personnalité. En effet, parmi les près de 300 lettres qui lui sont adressées, plusieurs concernent des demandes d’audience et d’aide financière, ou font état de propositions d’acquisition d’œuvres et d’objets d’art qui n’entrent pas toujours dans les projets du grand mécène. Malgré un caractère parfois inapproprié, chaque demande était pourtant étudiée et faisait l’objet d’une réponse écrite par son secrétaire ou par le duc lui-même, avant d’être soigneusement numérotée et archivée. Huillard-Bréholles, biographe de Luynes, note d’ailleurs non sans humour à ce sujet que le duc « écrivait avec une politesse exquise, et ne se permettait sur ce point aucun écart, même quand il était mécontent. Aussi était-il assiégé de solliciteurs qui ne savaient ou ne voulaient pas lire entre les lignes le vrai sens de ses réponses » (1868, p. 6-7).
Correspondance adressée au duc de Luynes, mai 1851. Paris, bibliothèque de l’INHA, Archives 176/2/1/3. Cliché INHA
L’intérêt majeur du duc reste néanmoins tourné vers l’étude et tout particulièrement vers l’archéologie, discipline à laquelle il s’intéressa dès sa jeunesse.
Une passion : l’archéologie
Après un bref passage au musée Charles X alors qu’il n’a pas 25 ans, le duc de Luynes part dès 1828 en Italie en compagnie de l’architecte Joseph-Frédéric Debacq. Les deux amis parcourent le pays jusqu’en Sicile, crayon à la main, comme en témoignent quelques-uns des dessins achetés par la bibliothèque – ainsi que les nombreux dessins de Luynes et Debacq vendus lors de la vente Aguttes « Le rêve de l’Antique » du 13 juin 2019 – et, ensemble, fouillent le site de Métaponte sur la côte ionienne. Luynes se lie très rapidement à certains grands noms de l’archéologie européenne avec lesquels il cofonde à Rome en 1829 l’Institut de correspondance archéologique (ancêtre de l’École française de Rome) dont il financera quelques années plus tard la section française. Il rédige dès cette période de nombreux articles qui lui valent la reconnaissance du monde savant. Son attention se porte essentiellement sur la Grande-Grèce, avec une nette préférence pour l’étude des monnaies et de la céramique.
Joseph-Frédéric Debacq, « Vue d’une des grottes de Pausilippe », dessin à la mine de plomb. Paris, bibliothèque de l’INHA, Archives 176/3/2 GF. Cliché INHA
Honoré d’Albert, duc de Luynes, « Port de Gênes », mine de plomb et lavis. Paris, bibliothèque de l’INHA, Archives 176/3/1/1 GF. Cliché INHA
À partir des années 1840, le duc élargit son horizon pour se tourner vers l’Orient. Il apprend l’hébreu et l’arabe, étudie l’épigraphie chypriote et phénicienne, et effectue plusieurs voyages au Levant. Durant l’un d’eux, en 1855, il achète le sarcophage du roi de Sidon Eshmunazar qu’il rapatrie à Paris pour le donner au musée du Louvre. À la fin de sa vie, il organise encore deux missions d’exploration dans la région de la mer Morte.
Plusieurs des lettres acquises par la bibliothèque témoignent de cet engouement pour l’archéologie orientale et permettent au passage de mesurer la qualité des contacts établis par le duc avec les savants et spécialistes de l’époque. En 1851 Louis de Mas Latrie lui expose à deux reprises ses découvertes à Chypre, tandis qu’en 1853 le duc assure Auguste Mariette de son soutien financier pour ses fouilles du Grand Sphinx à Gizeh. Et c’est avec Ernest Renan lui-même qu’il discute, en 1855, épigraphie et archéologie phéniciennes.
Cependant, si l’on en croit la série de notes scientifiques sur la Sicile antique obtenue à la vente, Luynes n’oublie pas l’Italie, bien au contraire.
Un ensemble inédit sur la Sicile antique ?
Ces notes se présentent sous la forme de cinq dossiers titrés chacun du nom d’un site antique sicilien : Motya, Ségeste, Lilybée, Drepanum et Tsits. Davantage que de simples notes ou documents de travail, ce sont en réalité des études abouties et structurées avec titres et notes de bas de page. De la main du duc de Luynes, ou corrigées par lui, elles sont manifestement prêtes à la publication. Les manuscrits traitent de l’histoire des sites et proposent un catalogue des monnaies locales, grecques et puniques. Comme à son habitude, en parfait connaisseur des textes anciens, le duc remonte aux origines mythologiques des cités avant de développer leur histoire proprement dite, ici tout particulièrement l’établissement des Carthaginois en Sicile et les guerres qui en découlèrent. Ensuite, en numismaste consommé, il propose des descriptions détaillées des monnaies et avance ses interprétations.
Honoré d’Albert, duc de Luynes, « Fragments de vases antiques trouvés à Motya », mine de plomb et aquarelle. Paris, bibliothèque de l’INHA, Archives 176/1/1/1. Cliché INHA
Nous savons que le duc consacra plusieurs articles à la numismatique de Grande-Grèce avant 1840, mais l’ensemble acheté par l’INHA est nettement plus tardif, comme le montrent la correspondance datée de 1853 contenue dans les dossiers ainsi qu’une planche de dessins aquarellés mentionnant cette même année. Le biographe du duc de Luynes évoque un projet d’envergure de celui-ci sur la numismatique punique en Sicile dans les années 1850 (Huillard-Bréholles, 1868, p. 58-59), projet qui n’aurait finalement pas abouti malgré un texte pourtant achevé. Il cite le nom de Michele Amari, qui apparaît dans la correspondance du dossier consacré à Tsits, et parle de récits historiques sur les Carthaginois en Sicile. Si une partie du texte sur Motyé traitant de l’histoire de la cité a bien été publiée par le duc en 1855 sous le titre « Recherches sur l’emplacement de l’ancienne ville de Motya » (dans Monumenti, Annali et Bullettini pubblicati dall’Instituto di correspondenza, 1855, fasc. 1, p. 92-98), les autres manuscrits semblent inédits. Les papiers achetés par la bibliothèque seraient-il la trace de ce travail qui devait sans doute couronner plusieurs années de recherches ?
Honoré d’Albert, duc de Luynes, dossier Tsits. Paris, bibliothèque de l’INHA, Archives 176/1/1/5. Cliché INHA
Quoi qu’il en soit, le duc de Luynes nous réserve encore sans doute bien des surprises. Espérons que d’autres archives émergeront, afin de mieux cerner les activités de cet homme complexe et attachant qui ne cessa d’œuvrer jusqu’à sa mort, survenue en 1867, en Italie justement, alors qu’il s’était rendu à Rome pour soutenir l’armée du pape contre les hommes de Garibaldi.
Isabelle Périchaud, service du Patrimoine
En savoir plus
Irène Aghion, Mathilde Avisseau-Broustet, « Le duc de Luynes : un esprit encyclopédique », dans le catalogue de l’exposition Tous les savoirs du monde, BnF, 20 décembre 1996 – 6 avril 1997, p. 327-337.
Felicity Bodenstein, « Luynes, Honoré d’Albert (duc de) », dans Dictionnaire critique des historiens de l’art, INHA, 2016, en ligne.
Jean-Louis Alphonse Huillard-Bréholles, Notice sur M. le duc de Luynes, Paris, Plon, 1868.
Francesca Silvestrelli, Le duc de Luynes et la découverte de la Grande Grèce, Centre Jean Bérard / INHA, Naples-Paris, 2017, disponible en ligne.