Entre caprices et fantaisie, les recueils d’ornements

Les nouveautés mises en ligne sur la bibliothèque numérique en ce mois de février 2018 ont permis d’enrichir la rubrique des recueils d’ornements. Il ne s’agit que d’un maigre échantillon, puisque l’intégralité du fonds des ornements contient plus de 25 000 estampes regroupées en quelque 700 volumes, mais ces numérisations offrent la possibilité de présenter cet ensemble remarquable et de revenir sur son origine.

Les gravures contenues dans ces recueils illustrent tous les domaines de l’ornement, de l’architecture à la décoration intérieure en passant par les arts appliqués sans oublier l’ornementation à proprement parler. La liste des sujets représentés pourrait faire figure d’un inventaire à la Prévert : alphabets, arabesques, cartouches, chapiteaux, cheminées, chinoiseries, colonnes, fontaines, fleurons, fleurs, frises, grotesques, mauresques, meubles, pièces d’orfèvrerie, serrures, textiles, trophées, vases,… mais toutes ces planches ont été réalisées avec une intention commune : celle de servir de modèles aux artistes et artisans, modèles destinés à être reproduits de manière fidèle, comme ceux liés à la bonne ordonnance des traités d’architecture, ou répertoires d’idées dans lesquels puiser pour trouver l’inspiration. Didactiques et pratiques, ce genre de recueils figuraient dans la documentation des écoles de dessins, des ateliers et des manufactures. Ils pouvaient également servir de catalogues commerciaux comme le prouve ce Descriptive catalogue of Coade’s Artificial Stone Manufactory qui présente aux constructeurs et architectes les produits proposés par la manufacture d’Eleanor Coade (1733-1821), une femme d’affaires britannique qui mit au point et développa la pierre de Coade, pierre artificielle employée massivement de 1769 à 1833 en sculpture et pour l’ornementation des façades londoniennes notamment.

Dans la collection que conserve l’Institut national d’histoire de l’art, les estampes françaises sont majoritaires, pour une bonne moitié, mais celles publiées à l’étranger sont également représentées : Allemagne, Angleterre, Italie, Pays-Bas et Suisse. Productions locales, rééditions, copies ou contrefaçons, elles témoignent de la diffusion et de la circulation des formes, des modèles artistiques voire des artistes eux-mêmes. Les copies d’estampes françaises sont fréquentes. A titre d’exemple, la suite Différentes pensées d’ornements arabesques à divers usages… gravée par Gabriel Huquier (1695-1772) d’après Bellay a fait l’objet d’une copie allemande publiée par l’éditeur Johann Georg Merz, le trait y est plus épais et le titre en a été modifié pour faire apparaitre le terme de chinoiseries, style en vogue à l’époque.
Variété des sujets et des zones géographiques de publication, variétés des époques également, puisque ces estampes couvrent une période allant du XVe au XIXe siècle. Les plus anciennes sont 2 gravures de Martin Schongauer (1450?-1491), artiste central de la fin du Moyen Âge dans le Haut-Rhin. Datées de 1480 environ, elles représentent un encensoir et des rinceaux avec perroquet et autres oiseaux.

 

Jacques de Lajoue, Livre Nouveau de Douze Morceaux de Fantaisie..., eau-forte, [Entre 1729 et 1755], Bibliothèque de l'INHA, 4 EST 329 - Gilles Demarteau, Vases, gravure à la manière de crayon, [Entre 1770 et 1776], bibliothèque de l'INHA, 4 EST 313. Clichés INHA
Jacques de Lajoue, Livre Nouveau de Douze Morceaux de Fantaisie…, eau-forte, [Entre 1729 et 1755], Bibliothèque de l’INHA, 4 EST 329 – Gilles Demarteau, Vases, gravure à la manière de crayon, [Entre 1770 et 1776], bibliothèque de l’INHA, 4 EST 313. Clichés INHA

 

Cette collection exceptionnelle a été constituée essentiellement entre 1910 et 1923 par Jacques Doucet (1853-1929), elle provient de sa Bibliothèque d’art et d’archéologie qui fait désormais partie des fonds patrimoniaux de la bibliothèque de l’INHA. Doucet réalisa ses achats auprès de libraires spécialisés tels que Besombes ou Gastinger mais également en ventes publiques. Du 3 au 6 juin 1914 à l’hôtel Drouot se déroula la principale vente dans laquelle Doucet acquit près du tiers de sa collection de recueils d’ornements. Le catalogue, consultable sur la bibliothèque numérique, porte le titre de Catalogue d’une très importante collection de livres d’architecture, recueils d’ornements propres à la décoration des édifices et aux arts industriels par les maîtres ornemanistes français et étrangers des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles… La préface indique « la Collection décrite au présent catalogue est une des plus importantes de ce genre tant parmi les collections publiques que parmi les collections particulières. Formée par un amateur éclairé qui s’y est consacré pendant un demi-siècle, elle comprend les œuvres de tous les principaux architectes et maîtres ornemanistes français et étrangers depuis le XVIe jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. Certains de ces recueils sont devenus fort rares, quelques-uns sont uniques et il serait très difficile sinon impossible de réunir aujourd’hui un tel ensemble… ». Cet « amateur éclairé » n’est autre qu’Edmond Foulc (1826-1916), un négociant nîmois établi à Paris qui forma une importante collection de meubles, d’objets d’art et de recueils d’estampes d’architecture et d’ornements. Conscient de la qualité et de la rareté des épreuves qu’il avait rassemblées, le collectionneur prit soin de les faire relier et d’apposer sur chaque volume son ex-libris, une marque discrète composée de ses initiales entrelacées dans un cartouche. La bibliothèque d’Edmond Foulc recèle de nombreux trésors et Désiré Guilmard (1810-1885?)s’y référa à maintes reprises pour la publication de son ouvrage sur les maîtres ornemanistes en 1880, l’une des premières études de l’ornement gravé devenue une référence incontournable. Est-ce Guilmard qui contribua à la notoriété de la collection Foulc ? Sans doute en partie… Le fait est que la vente, annoncée jusque dans les colonnes du New York Times (Friday, May 15, 1914, p. 7), connut un véritable succès. Collectionneurs et institutions s’y pressèrent, et son montant atteindra 682 000 francs. Doucet y remporta quelques 7 000 estampes pour un montant de 300 000 francs face à d’autres enchérisseurs prestigieux comme Edmond de Rothschild (1845-1934), la Bibliothèque des arts décoratifs de Paris ou encore le Victoria and Albert Museum de Londres.

 

Ex-libris d'Edmond Foulc - Agostino Aglio, Architectural Ornaments..., [1820-1821], bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet, 4 EST 294. Clichés INHA
Ex-libris d’Edmond Foulc – Agostino Aglio, Architectural Ornaments…, [1820-1821], bibliothèque de l’INHA, collections Jacques Doucet, 4 EST 294. Clichés INHA

De simples modèles pour artistes et artisans, les estampes d’ornements sont devenues des objets d’études et de collections à part entière, dès le milieu du XIXe siècle, dans un contexte de réflexion sur les arts décoratifs et la production industrielle remettant en cause les théories classiques de distinction entre arts majeurs et mineurs. Aujourd’hui elles ont encore beaucoup à nous enseigner sur l’histoire de la création des objets d’art, des styles et des modes. Objets pratiques devenus objets d’étude, ces gravures n’en restent pas moins des objets de contemplation, à consulter pour satisfaire son plaisir visuel, apprécier la délicatesse des traits, la finesse des détails, l’élégance des contours, la fluidité des lignes… comme le souligne si justement le Baron Davillier (1823-1883) en introduction des Maîtres ornemanistes « le goût de l’ornement est dans la nature humaine; c’est un instinct, on pourrait presque dire un besoin ».

Références bibliographiques

 

Élodie Desserle
Service de l’informatique documentaire

Publié par Elodie DESSERLE le 15 février 2018 à 10:00