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Georges Bataille, Pierre de Massot et le surréalisme
Mis à jour le 13 avril 2021
Georges Bataille, Pierre de Massot et le surréalisme
Dans le caveau de la bibliothèque de l’INHA, parmi les innombrables catalogues de vente, il s’en trouve un qui nous transporte au 17 mars 1961 à l’Hôtel Drouot dans le 9ème arrondissement de Paris. Ce soir-là, dans la salle n° 1, a lieu une vente de solidarité de tableaux et de sculptures mis aux enchères au bénéfice de deux écrivains malades : Georges Bataille et Pierre de Massot. Ce catalogue est une trace qui réveille un passé révolu. Un passé qui n’est pas simplement celui de Bataille ou de Massot mais bien plutôt celui de leur étonnant rapport au mouvement surréaliste.
En effet, ce sont essentiellement des œuvres de surréalistes que présente le catalogue. Giacometti, Arp, Magritte, Masson, Miro, Picasso, Ernst, Man Ray, Duchamp mais aussi Leonor Fini, Yves Tanguy, Oskar Dominguez, Roberto Matta, Stanislas Lepri entre autres : chaque artiste a offert à la vente une de ses œuvres. Or il s’avère que les deux écrivains maintenaient des relations mouvementées et parfois hostiles au surréalisme.
Vente de solidarité au bénéfice de Georges Bataille, Pierre de Massot… Paris, Hôtel Drouot, 17 mars 1961, catalogue de vente, bibliothèque de l’INHA, VP 1961/95, 65 p. Cliché INHA
En ce qui concerne Pierre de Massot — poète et écrivain, proche de Francis Picabia et d’Éric Satie — c’est un chahut en 1923 et son bras cassé par Breton, le pape du surréalisme, qui devait marquer symboliquement la rupture avec le dadaïsme et donner naissance au mouvement surréaliste. Même si Massot renoua peu après avec Breton, il n’intégra pour autant jamais son groupe et garda toujours ses distances avec celui-ci.
De même, Georges Bataille, bien que n’ayant probablement jamais rencontré Massot avant cette vente, entretenait comme ce dernier une relation instable avec les surréalistes. Deux exemples de divergences peuvent être évoqués : le premier revêtant un caractère personnel, l’autre une dimension intellectuelle.
Pour Bataille, le rapport personnel à Breton était sans doute décisif dans son positionnement à l’égard du surréalisme. En 1925, époque de leur rencontre, Breton exerçait sur Bataille une influence envoûtante et non moins inhibitrice. Plus de vingt ans après, en 1947, Breton écrira pourtant à Bataille qu’il fut « un des seuls hommes que la vie ait valu pour moi la peine de connaître ». Rien d’étonnant donc à ce que les écrits de Bataille restent ambigus au sujet du surréalisme, à l’instar de leurs relations personnelles : tantôt Bataille s’opposait vivement, tantôt il faisait l’éloge de Breton.
La deuxième divergence entre Bataille et le groupe surréaliste est liée à la Déclaration du 27 janvier 1925 rédigée par Antonin Artaud. Le paragraphe 9 de cette déclaration affirme que le surréalisme « est un cri de l’esprit qui retourne vers lui-même et est bien décidé à broyer désespérément ses entraves ». De son côté, Bataille lisait cette même phrase autrement : « …de l’esprit qui se retourne contre lui-même… ». Dans ce changement de « vers » en « contre », au premier coup d’œil insignifiant, se situe la plus profonde différence qui éloignera Bataille de ces collègues surréalistes. Tout lecteur des travaux de Bataille reconnaîtrait sans peine combien lui importait cet adverbe, propre à la contestation, à la révolte.
Malgré ces relations tumultueuses, ce sont ces mêmes surréalistes qui, en 1961, mettent donc en vente aux enchères leurs œuvres au bénéfice de Bataille et de Massot, confrontés toute leur vie à des difficultés financières et des problèmes de santé. Massot n’avait jamais joui d’une situation stable et son penchant pour l’alcool et les drogues exerçait sur lui une forte emprise. Bataille, de son côté, était de santé fragile.
Cette vente de solidarité peut être regardée soit comme un symbole de réconciliation entre ces écrivains et les surréalistes, soit au contraire comme une surenchère dans leur antagonisme. Quelle que soit la vérité des relations des deux auteurs avec les surréalistes, la vente a rapporté 274 109 nouveaux francs (équivalents à 419 737 € selon le convertisseur de l’Insee). Cela permit à Bataille de s’acheter un appartement rue Saint-Sulpice dans le 6ème arrondissement de Paris. Il put y travailler « en paix » jusqu’à son décès, qui survint quelques mois plus tard en juillet 1962. Pour ce qui est de Massot, les gains de la vente ne l’empêchèrent pas de mourir dans le plus grand dénuement huit ans plus tard, en 1969.
En savoir plus
- Ce catalogue de vente coté VP 1961/95 est consultable à la bibliothèque ;
- Sur la collection de catalogues de vente en général, vous pouvez vous reporter au guide de recherche spécialisé, en ligne sur le portail de la bibliothèque
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