Quand Jacques Doucet créa sa Bibliothèque d’art et d’archéologie, qui ouvrit au public en 1909, il décida de l’orner d’une série de bustes d’artistes. Cette série compte aujourd’hui huit portraits qu’on peut répartir en quatre sculpteurs et quatre peintres, tous artistes du XIXe siècle, à l’exception de Michel-Ange. Sept bustes sont en bronze, un seul en granit (Carpeaux). La plupart des bronzes ont été fondus à la cire perdue entre 1906 et 1908, sur commande de Doucet ; cinq fontes sont attribuables à Adrien-Aurélien Hébrard (1865-1937), une à Eugène Rudier (1875-1952).

Trois de ces bustes ont été créés spécialement pour la bibliothèque : le Daumier d’Albert Marque, et surtout le Ingres et le Carpeaux de Bourdelle. Outre l’intérêt particulier de Doucet pour la sculpture contemporaine (il posséda des œuvres de Laurens, Zadkine, Brancusi, Csaky, Modigliani), ils témoignent du mécénat que le couturier exerça en faveur des artistes de son temps.

Dans ce premier épisode, nous vous proposons de découvrir les bustes des deux plus grands rivaux de la peinture française du XIXe siècle, Jean-Auguste-Dominique Ingres (1780-1867) et Eugène Delacroix (1798-1863), désormais installés côte à côte en salle Labrouste.

Ingres, par Émile-Antoine Bourdelle (1908)

Ce buste, ainsi que celui de Carpeaux, sont documentés par la correspondance échangée entre Bourdelle et Doucet conservée au musée Bourdelle et à la bibliothèque de l’INHA, comme cette lettre de Bourdelle à Doucet, envoyée le 17 mai 1908 : « je regrette de n’avoir pas été chez moi pour vous recevoir. Je tiens à vous dire combien de suis touché de votre appréciation du Ingres et de votre si aimable démarche à mon atelier… J’ai le pied en bronze doré [pour le Carpeaux]. Je cherche la matière pour le Ingres, je trouverai ».

Bourdelle avait six ans quand Ingres mourut ; tous deux étaient natifs de Montauban. Ceci explique sans doute, outre l’admiration de Bourdelle pour son compatriote, le choix d’Ingres pour honorer la commande que Doucet lui avait adressée. Cette fonte fut exposée au Salon de 1908, où elle rencontra un grand succès. Un autre exemplaire de ce buste est conservé au musée Bourdelle.


Émile-Antoine Bourdelle, Ingres, 1908, Fonte en bronze à la cire perdue d’Hébrard (cachet du fondeur), 1908. Signé « EMILE ANTOINE BOURDELLE » sur l’épaule gauche, bibliothèque de l’INHA. Cliché Alice Sidoli – INHA

Delacroix, par Jules Dalou (1885-90)

Ce buste fait partie du Monument à Delacroix commandé à Jules Dalou par un comité d’artistes en 1885. Ce monument fut installé et inauguré au jardin du Luxembourg en octobre 1890. Le sculpteur aurait réalisé le portrait de Delacroix d’après une photographie de Nadar. Une maquette en plâtre du monument est aussi conservée au Petit-Palais.

La bibliothèque conserve de nombreux documents relatifs à Delacroix, en particulier ses cahiers d’écolier, son journal et sa correspondance. La présence du peintre parmi les bustes de la bibliothèque s’en trouve particulièrement justifiée. Cette fonte fut commandée par Doucet par contrat du 10 mai 1906 ; ce pourrait donc être le premier buste commandé pour la bibliothèque.


Jules Dalou, Delacroix, vers 1885-1890, Fonte en bronze à la cire perdue d’Hébrard (cachet du fondeur), 1906. Signé sur l’épaule droite : « DALOU ». Bibliothèque de l’INHA. Cliché Alice Sidoli – INHA

Jérôme Delatour, service du patrimoine

Bibliographie