Il est né à Paris, le 19 février 1853. Son père, Édouard Doucet, possédait une entreprise de chemises pour hommes, et sa mère, Mathilde Doucet, née Gonnard, tenait une boutique de dentelles et de lingeries pour dames. Les deux entreprises étaient situées de part et d’autre du 21, rue de la Paix.

Le couturier collectionneur

À partir de 1875, Jacques Doucet étend les activités de l’entreprise familiale, y ajoutant la réalisation de robes et de manteaux. Sous la direction de ce « prince de la couture », la maison Doucet devient rapidement un lieu incontournable de la mode parisienne à la fin du XIXe siècle. Tailleurs, jaquettes de loutre, jupons vaporeux et richement ornés font sa renommée. Puis son activité se poursuit après la Première Guerre mondiale, s’adaptant aux évolutions du goût. Parmi les assistants de Doucet, plusieurs grands noms de la couture émergent, tels Madeleine Vionnet (1876-1975) ou Paul Poiret (1879-1944).

« La robe à succès chez Doucet », Vogue, mai 1924, p. 14. Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

 

En parallèle à ses activités professionnelles, le couturier constitue une collection d’œuvres d’art, mobilier, objets décoratifs, principalement du XVIIIe siècle. Parmi les chefs-d’œuvre qu’il rassemble alors, citons les Bulles de savon de Chardin, ou encore un Portrait de jeune femme par Sir Thomas Lawrence.

La Bibliothèque d’art et d’archéologie

La Bibliothèque d'art et d'archéologie rue Michelet, [vers 1936 ?], photographie. Bibliothèque de l'INHA, Archives 97/3/31. Cliché INHA

Constatant alors l’absence en France d’une grande bibliothèque spécialisée pour les chercheurs en histoire de l’art et archéologie, ceux qu’il nomme les « travailleurs », il rassemble dès la fin du XIXe siècle une documentation d’une ampleur extraordinaire.

Ce qui deviendra la Bibliothèque d’art et d’archéologie naît dans 6 appartements mitoyens de la rue Spontini : entre 1908 et 1914 y sont réunies les publications internationales contemporaines de référence, ainsi que de nombreuses sources (archives, manuscrits, lettres autographes, livres anciens, catalogues de vente…)  et une abondante documentation photographique. Enfin, les remarquables cabinets d’estampes et dessins d’artistes français et étrangers achèvent de constituer le fonds de la bibliothèque.

En parallèle, la création en 1910 du Répertoire d’art et d’archéologie, bibliographie de référence, vise également à fournir aux chercheurs des outils de travail pertinents.

Dans son entreprise, Doucet s’entoure d’excellents collaborateurs : le critique d’art René-Jean (1879-1951) est son premier bibliothécaire, Noël Clément-Janin (1862-1947) constitue le cabinet d’estampes modernes. Des spécialistes, comme l’orientaliste Édouard Chavannes (1865-1918), sont aussi sollicités.

Comme l’avait souhaité son créateur, la bibliothèque est donnée à l’université de Paris en 1917, qui l’installe en 1936 rue Michelet, dans les locaux de l’Institut d’art et d’archéologie. Elle est rattachée en 2003 à l’Institut national d’histoire de l’art.

Mécénat et création littéraire contemporaine

Jacques Doucet se consacre désormais à la création contemporaine. En effet, en 1912, il se sépare de ses collections du XVIIIe siècle pour s’intéresser à l’art de son temps. Il fait décorer et meubler ses appartements, situés au 46, avenue du Bois de Boulogne, par les initiateurs du futur style Art Déco, par exemple Eileen Gray, à qui il commande en 1913 ses premières créations en laque.

Il acquiert, sur les conseils d’André Breton, des œuvres d’artistes surréalistes et cubistes, en même temps que des tableaux essentiels de la période précédente, comme la Charmeuse de Serpents du Douanier Rousseau, qu’il lègue au Louvre après sa mort, ainsi que des objets d’Afrique et d’Extrême-Orient. Mais son acquisition la plus connue est certainement les Demoiselles d’Avignon, achetées à Picasso en 1924.

À partir de 1916, Doucet se lance dans une nouvelle bibliothèque, exclusivement dédiée à la création littéraire. Pendant treize années, jusqu’en 1929, il fait rassembler non seulement des éditions rares et reliures précieuses, mais également tout ce qui concourt à documenter la création contemporaine : épreuves, manuscrits, correspondances. Pour cela, il s’adjoint les services d’écrivains, tels qu’André Suarès, Pierre Reverdy, Max Jacob, Guillaume Apollinaire, Blaise Cendrars, Raymond Radiguet, André Breton, Louis Aragon, Robert Desnos et bien d’autres encore.

Cette Bibliothèque littéraire, léguée par Jacques Doucet à l’Université, est installée place du Panthéon. Elle forme l’actuelle Bibliothèque littéraire Jacques Doucet.

En savoir plus

Aujourd’hui, peu de documents subsistent qui permettraient de mieux connaître la personnalité de Jacques Doucet et l’histoire des débuts de la Bibliothèque d’art et d’archéologie. La bibliothèque de l’INHA a rassemblé dans un fonds d’archives la documentation en sa possession à ce sujet (Archives 97). On y trouve notamment des vues des appartements de Jacques Doucet, des aquarelles, quelques photographies anciennes de Doucet et de la bibliothèque et diverses pièces de correspondance ou dossiers documentaires, en particulier sur la vente de 1912.

D’autres éléments complètent cet ensemble. On trouvera par exemple, parmi les acquisitions récentes de la bibliothèque de l’INHA :

  • deux lettres autographes écrites par Jacques Doucet en 1908, acquises en 2013 (Autographes 203, en cours de traitement) ; dans l’une d’entre elles, le couturier évoque son projet de « bibliothèque toute personnelle de renseignements sur les Beaux-Arts, mais qui sera mise à la disposition des travailleurs et qui j’espère après moi, sera versée à un dépôt public » ;
  • les papiers de René-Jean (1879-1951), critique d’art et premier bibliothécaire de Doucet, donnés à la bibliothèque de l’INHA par Madame Sylvie Maignan en 2006 (Autographes 143-145) ;
  • un étui à cigarettes, donné en 2014 à la bibliothèque de l’INHA, décoré des initiales du couturier ainsi que d’une tête de chat, car, comme l’écrivait La Fontaine, « ce doucet est un chat »…

Lucie Fléjou, service du Patrimoine

Références bibliographiques