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Käthe Kollwitz (1867-1945) – 2/2
Mis à jour le 28 juillet 2022
Les trésors de l'INHA
« … parce que, pour moi, c’était beau »
Après une première partie exposant les principaux jalons de la carrière de Käthe Kollwitz, ses influences artistiques et l’importance de son journal, intéressons nous plus avant à ses œuvres elle-mêmes : lieux de conservation et catalogues raisonnés, œuvres (thématiques, style et technique) et enfin réception critique.
Lieux de conservation et catalogues raisonnés
La plupart des œuvres de K.K. sont conservées en Allemagne dans trois musées qui portent son nom, , à Cologne, à Berlin et à Moritzburg près de Dresde, où l’artiste a passé la fin de sa vie d’août 1944 jusqu’à sa mort le 22 avril 1945.
Hors d’Allemagne, il est également possible de voir certaines de ses œuvres : au Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg qui conserve un ensemble de 33 gravures, au Cabinet d’Art graphique de l’Albertina à Vienne avec 54 feuilles, et au Getty Research Institut à Los Angeles qui a bénéficié en 2016 d’une généreuse donation du Dr Richard A. Simms comprenant 654 estampes et dessins dont la moitié environ de K.K. et le reste de ses contemporains (Barlach, Corinth, Greiner, Grosz, Klinger, Meidner, Nolde et Stauffer-Bern). La BnF conserve une dizaine de planches dont Arbeitfrau, Die Carmagnole ou encore Zertretener.
De nombreuses feuilles d’études (épreuves de travail rehaussées de crayon ou de pastel, expérimentations techniques, variétés d’encres et de papiers, nombre important de versions rejetées, changements de formats, changements de technique pour un même sujet) révèlent chez Käthe Kollwitz une grande propension à l’essai, au questionnement, au re-travail… Le soin apporté aux choix des papiers témoigne particulièrement de sa grande exigence au point de vue technique. Le très beau tirage de la planche «Arbeitfrau » sur un papier japon laissant entrevoir le sujet par transparence en est un exemple.
Arbeiterfrau (ouvrière) Bibliothèque de l’INHA, EM KOLLWITZ 17 (recto et verso)
La Bibliothèque de l’INHA conserve 22 estampes de l’artiste, dont 2 publiées dans des portfolios collectifs Graphischen Kunste et Jahresmappe . Ces œuvres font partie de ses premiers travaux puisqu’elles sont entrées à la Bibliothèque d’art et d’archéologie dès 1911-1912, comme en attestent les courriers et factures du fonds d’archives Clément-Janin, responsable du Cabinet d’estampes de Jacques Doucet entre 1911 et 1914. C’est par l’intermédiaire de Max Lehrs, directeur du Kupferstichkabinett de Dresde – que Jacques Doucet était allé voir en Allemagne – que la Bibliothèque d’art et d’archéologie fut mise en relation avec les galeries Ernst Arnold et Emil Richter de Dresde. Dans un premier temps Lehrs envoie à Doucet une liste des plus importants graveurs allemands des XIXe et XXe siècle et propose de faire une sélection d’épreuves pour sa Bibliothèque d’Art et d »Archéologie, sachant qu’il est très difficile d’en trouver à Paris.
Courriers de Max Lehrs à Jacques Doucet, 1911. Bibliothèque de l’INHA, Archives Clément -Janin
Facture Galerie. Arnold. Bibliothèque de l’INHA. Archives Clément-Janin
Documents d’archives de la Galerie Richter, 1912. Bibliothèque de l’INHA, Archives Clément -Janin
Les œuvres de Käthe Kollwitz ont fait l’objet de travaux d’inventaire permettant d’avoir une vue assez exhaustive de son œuvre.
Déjà en 1903, Max Lehrs avait publié le premier inventaire de ses estampes qui répertoriait cinquante œuvres. En 1913, le galeriste Emil Richter publia un deuxième catalogue, conçu par Johannes Sievers, rassemblant cent vingt deux œuvres. En 1939, August Klipstein entreprit la révision de ces deux premières publications : son catalogue raisonné ne sera achevé qu’après sa mort en 1951, par Eberhard W. Kornfeld et Hans Bollinger et finalement publié en 1955.
Environ 60 ans plus tard, alors que les deux premiers musées Kollwitz avaient été créés à Cologne et à Berlin, la révision de ce catalogue s’avéra nécessaire. Bénéficiant de la collaboration des grandes collections de Cologne, Dresde et Berlin, des collectionneurs privés, de marchands d’art et de spécialistes d’œuvres graphiques, une version (d’après Klipstein) entièrement retravaillée par Alexandra von dem Knesebeck, put voir le jour : un catalogue en deux volumes (regroupant les 275 estampes de l’artiste avec ses différentes épreuves d’état et tirages) qui fait référence.
C’est aussi à travers ses sculptures (peut être moins connues que son œuvre graphique) que l’artiste s’était confrontée aux grandes questions de la condition humaine. À l’occasion de son 30e anniversaire en 2016, le Käthe Kollwitz Museum Köln a publié, après des recherches exhaustives, le premier catalogue raisonné de son œuvre sculpté, qui a été mis à jour en 2019, avec une version en ligne.
Œuvres
Gravures et affiches
Ses principaux cycles de gravure sont : Ein Weberaufstand, 1893-1897 (la révolte des tisserands, 6 pl.) ; Bauernkrieg, 1902-1908 (la guerre des paysans, 7 pl.) ; Krieg, 1921-1922 (la guerre, 7 pl.) ; Proletariat, 1925 (le prolétarait, 3 pl.) et Tod, 1934-1937 (la mort, 8 pl.)
« Bauernkrieg » commandée par l’Association pour l’art historique, lui avait apporté la reconnaissance et le prix Romana de l’Union allemande des artistes, institué par Max Klinger (un séjour de plusieurs mois à Florence). Pour Max Lehrs, la 3eme planche de ce cycle , « Femme aiguisant sa faux » est un exemple de l’aboutissement de sa maîtrise technique de l’eau forte, mêlant le vernis mou et le vernis dur. Les jeux d’ombre et de lumières en résultant nourrissent une expression émotionnelle profonde. Pas moins de quatorze états de cette gravure sont référencés dans le catalogue de Kneesebeck (n° 88), ce qui témoigne d’un acharnement de la part de l’artiste pour arriver au résultat escompté.
Am Dengeln (Femme aiguisant sa faux). Planche 3 de la Guerre des paysans, eau-forte, 1905 . Bibliothèque de l’INHA, EM KOLLWITZ 9
À ces séries s’ajoutent des œuvres isolées, rares, comme les lithographies en couleurs réalisées au tournant du XXeme siècle, avec le bel exemple de Femme à l’orange ou bien encore sa dernière lithographie 1941-1942, « Saat früchte sollen nicht vermahlen werden » (Les graines de semence ne doivent pas être moulues), ultime témoignage de l’opposition de l’artiste à la mort des soldats et à la guerre.
Frau mit Orange (Femme à l’orange), combinaison d’eau-forte et de lithographie, 1901 (Klipstein 56)
Mais le media témoignant peut être le mieux du caractère militant et pacifiste de son art est l’affiche : « Helft Russland (aider la Russie), Die Uberlebenden (les survivants) et Brot (Pain) commandées par la IAH (Internationale Arbeitshilfe), l’organisation de gauche qu’elle rejoint aux côtés de Albert Einstein, Maxim Gorky, Georges Grosz et Upton Sinclair font partie des images les plus frappantes du XXe siècle.
Brot (pain), lithographie, 1924
Sculpture
Comme nous l’avons déjà vu, si K.K. a suivi durant deux mois les cours de sculpture à l’Académie Julian à Paris en 1904 et a visité l’atelier de Rodin, elle reste essentiellement autodidacte dans ce domaine. Sa sculpture la plus célèbre est celle faite à la mémoire de son fils Peter, dont la réalisation s’étend de 1914 à 1932, date à laquelle elle est placée au cimetière militaire allemand de Vladslo en Belgique.
Trauernden Eltern (parents en deuil), granit de Belgique, 1932. Cimetière militaire allemand de Vladslo.
Thématiques
Les sujets politiques liés aux conflits sociaux occupent, on l’a vu, une part importante de son œuvre (grèves, guerres, ouvriers, paysans…). Des gravures comme « la carmagnole », décrivant une foule dansant autour d’une guillotine, par exemple, constitue un témoignage on ne peut plus explicite des souffrances du prolétariat.
Die Carmagnole (la carmagnole), eau-forte, aquatinte et émeri, 1901. Bibliothèque de l’INHA, EM KOLLWITZ 1
Quant au cycle de la « révolte des tisserands », il est lié à une longue tradition de représentation politique et artistique de la rébellion de 1844 comme le montre le tableau de Karl Wilhelm Hubner (1814-1879) die schlesischen Weber. Cependant le style coloré Biedermeier de cette scène s’éloigne totalement de la proposition plus dramatique et noire de K.K. dans son cycle de gravures sur ce thème.
Mais plusieurs thématiques plus atemporelles et universelles, apparaissent aussi de façon récurrente dans son œuvre où l’homme, et ses questions fondamentales, tiennent une place prépondérante. Ainsi la mort – à laquelle elle a été directement confrontée dès l’enfance avec la perte de son frère Benjamin, puis la mort de son fils Peter pendant la première Guerre Mondiale et celle de son petit-fils durant la seconde – est très présente. Elle y consacre même un cycle complet Tod , ainsi que de nombreuses feuilles isolées dont les titres contiennent expressément le mot « mort » : Femme à l’enfant mort , La mort avec une femme sur les genoux, Femme tenant un enfant mort sur ses genoux, Femme enlevée par la mort, etc…. D’autres titres s’y réfèrent aussi mais de manière plus implicite : la veuve, les survivants, les enfants d’Allemagne meurent de faim .
Frau mit totem Kind (femme à l’enfant mort), eau-forte, 1903. Bibliothèque de l’INHA, EM KOLLWITZ 18
Féministe avant l’heure, Käthe Kollwitz a été cofondatrice de l’association « l’art au féminin » et fut – rappelons le – la première à être admise comme membre de l’Académie des Beaux-Arts de Prusse et à y enseigner en 1919. Il n’est donc pas surprenant que la place des femmes soit centrale dans son œuvre ; dans le cycle « la révolte des tisserands » (1893-1897), elles participent, avec les hommes aux émeutes ; dans le cycle « La Guerre des paysans » (1901-1908), c’est la « Métayère noire » qui fomente et mène la révolte. Dès le début de la guerre, Käthe Kollwitz s’engage dans des comités de soutien aux femmes. La 2eme planche du cycle de la guerre des paysans « Violée », montrant une paysanne violée, allongée dans son jardin dévasté, est un exemple criant du courage de K.K. à traiter ce thème, très peu représenté dans les années 1900 de l’Empire allemand conservateur.
Vergewaltigt (violée), Eau-forte, pointe sèche, émeri, réserve au sucre, et vernis mou avec impression de textile et de papier report de Ziegler , 1907. Bibliothèque de l’INHA, EM KOLLWITZ 16
Si le visage humain occupe une place essentielle, notamment celui du type ouvrier, il tend parfois, étrangement, vers une certaine forme d’animalité comme on peut le voir dans les 3eme planche Femme aiguisant sa faux et 5eme planche l’Assaut de la Guerre des paysans. Ici, les personnages sont au sens propre « dé-visagés » pour se voir affublés de ce que l’on qualifierait plutôt de « gueules ». Quel est le message de cette bestialité ? celle d’un avilissement subi ou celle d’une force animale indispensable à la survie ?
Losbruch (l’assaut), pl .5 de « La Guerre des paysans » (Bauernkrieg). Eau-forte, vernis mou et aquatinte, 1903.Bibliothèque de l’INHA, EM KOLLWITZ 19gdf (détails). Cliché Nathalie Muller
Käthe Kollwitz admet d’ailleurs sans conteste son attirance pour les visages torturés et épuisés du prolétariat plus que pour les beaux visages aux traits réguliers. De même elle avoue s’intéresser beaucoup moins aux gens heureux qui ont réussi qu’aux êtres compliqués, tourmentés et fragiles. « Si j’ai été amenée à représenter la vie des gens du peuple c’est, au début, très peu par pitié ou par empathie, mais tout simplement parce que, pour moi, c’était beau » affirme-t-elle. Un aveu qui montre bien que l’aspect esthétique de son œuvre n’a jamais été mis de côté au profit du message social. « Je n’ai jamais publié quelque chose dont la qualité ne me satisfait pas » affirme-t-elle. En 1917, elle a même une formule prégnante « le contenu est la forme ».
La centaine d’autoportraits qu’elle a réalisés, utilisant toutes les techniques explorées (fusain, crayon, pastel, eau-forte, lithographie, bois, sculpture etc…) l’ont poussé, tout au long de sa vie, à sonder sa propre personne.
Käthe Kollwitz devant son Autoportrait de profil de 1933 (photographe anonyme)
Mais c’est encore une autre partie du corps, très expressive – les mains – qui occupent une place privilégiée dans l’œuvre de K. K. : mains des travailleurs, osseuses, veinées, par l’effort ou la souffrance, mais aussi mains qui couvrent le visage de désespoir, à l’instar du tableau de Masaccio Expulsion du paradis.
Mutter an der Weige ihres sterbende Kinder, (mère au chevet de son enfant mourant) eau-forte et aquatinte, 1903. Bibliothèque de l’INHA, Graphischen Kunste 378
Helft Russland (Aider la Russie), lithographie au crayon, 1921
Style et technique
Déception amère ou constat lucide, K.K. affirme, dans son journal, que les cours de peinture, pris durant sa jeunesse à Munich, ne lui ont pas fourni les progrès escomptés. C’est pourquoi, l’ouvrage « Malereï und Zeichnungen » (peinture et dessin) de Max Klinger, est pour elle une révélation. Si elle est si peu peintre c’est qu’elle partage les idées de Klinger, pour qui les deux techniques correspondent à deux modes de représentation et sont employées pour des sujets différents : la peinture pour glorifier le monde et les arts graphiques pour attirer l’attention sur les problèmes sociaux et politiques.
Si dans les années 1890, elle fait sien le style réaliste dominant l’art contemporain allemand, elle s’en éloigne rapidement. Dans son journal du 30 novembre 1909, elle justifie sa démarche de simplification stylistique en indiquant que « tout ce qui est essentiel doit être fortement souligné alors que tout ce qui ne l’est pas doit être refoulé ». Elle prônera une simplification afin qu’artistes et gens du peuple se comprennent. « La forme ne peut être que la forme humaine que nous connaissons ».
En gravure, elle se considère aussi autodidacte et prend des libertés stylistiques en abandonnant notamment les principes standard de la perspective, élargissant ou comprimant l’espace pour amplifier l’effet dramatique de ses gravures (cf. scène de germinal, où la pièce est démesurément allongée ou au contraire la planche Misère de la Révolte des tisserands, proposant, en très peu d’espace, un ramassis de souffrance).
Après la Première Guerre mondiale elle délaisse la pratique virtuose de la gravure en taille douce qui l’avait faite connaitre au tournant du siècle, et s’essaie à la sculpture, reprend la lithographie, expérimente la gravure sur bois. (cf. sa xylographie en mémoire de Karl Liebknecht, 1920)
Dans la série Krieg (la guerre), le style et la composition s’adaptent clairement à la technique de la xylographie utilisée. Tirant bénéfice de la planéité du bois, elle matérialise le désespoir et l’oppression grâce à de grands aplats de noir qui dominent ces compositions du début des années 1920. « Ces estampes doivent voyager partout dans le monde et dire à tous: c’était ainsi, voilà ce que nous tous avons enduré pendant ces années incroyablement difficiles » dénonce K. K. dans une lettre à Romain Rolland en octobre 1922
Das Volk (le peuple), pl.7 du cycle « Krieg » (la guerre), gravure sur bois, 1922-23
De manière générale, Käthe Kollwitz refuse d’être rangée dans une catégorie et garde un haut degré d’indépendance artistique. Dans son journal du 6 novembre 1917, elle dit de pas être une «expressionniste» au sens où on l’entend.
Réception de son œuvre
La réputation artistique de Käthe Kollwitz s’inscrit pendant la renaissance de la gravure en Allemagne dans les années 1880 et a perduré jusqu’aux avant-gardes des années 1920. Pendant longtemps, l’accent était majoritairement mis sur le message véhiculé par ses gravures mais peu sur sa technique. La recherche actuelle tend donc à réhabiliter cet aspect en présentant K.K. davantage comme une humaniste universelle que comme une artiste politisée.
Les spécialistes de la gravure au tournant du XXeme siècle que sont Elfried Bock, Max Lehrs et Hans Wolfgang Singer admiraient tous le pouvoir de son travail. Mais, de tous ses premiers partisans, aucun n’a eu un rôle plus décisif pour sa carrière que Max Lehrs (1855-1938), le directeur du Kupferstich Kabinett à Dresde qui, en 1898, huit ans seulement après les débuts de Kollwitz en gravure, devint le premier musée à collecter ses estampes, (tirages et même épreuves rejetées) de manière systématique. Admirateur du travail de l’artiste, Lehrs a d’ailleurs rédigé un essai biographique, publié d’abord en 1901 « Käthe Kollwitz » / Max Lehrs in « Die Zukunft » 37 n°1 (1901), puis en 1903 dans « Die Graphishen Künste » (1903) : 55-67).
Certains critiques, dont H. W. Singer, protégé de Max Lehrs, choisirent de mettre de côté leur propre attitude politique et de porter attention surtout aux qualités techniques et formelles des gravures de K.K. Ainsi, en 1908, dans sa monographie sur Kollwitz. (vol.15 de Führer zur Kunst, P. Neff), Singer montre la façon dont elle se détachait d’un strict réalisme pour atteindre quelque chose de plus essentiel et éternel. Selon lui, la gravure « La mort et la femme », 1910 avec cette contorsion baroque des corps, est le meilleur exemple de l’aboutissement de son art.
Tod und Frau (la mort et la femme), eau-forte et papier émeri, 1910.(Klipstein 103) Bibliothèque de l’INHA, EM KOLLWITZ 20gdf
En France, K.K. aura quelques occasions de faire connaitre son travail. Dès 1901, dans la galerie Hessèle, rue Lafitte à Paris, elle expose aux côtés d’autres artistes allemands comme Stauffer-Bern, Vogeler ou Klinger et semble avoir été particulièrement appréciée. Noël Clément-Janin, ancien co-directeur de la revue l’Estampe et l’affiche, s’intéresse à elle dans la Gazette des Beaux-arts en écrivant à propos de ses planches la Carmagnole et les Tisserands, vues à l’exposition : « Mme Kollwitz a l’instinct de l’eau-forte et de telles scènes sont bien faites pour sa morsure profonde. Elle use aussi du grain et du vernis avec une supérieure entente de l’effet ». Elle expose ensuite à l’exposition permanente de la galerie « Tendances nouvelles », rue Le Peletier, qui éditait aussi une revue dont l’impact était important sur la vie artistique. Au Salon des Indépendants de 1905, elle expose huit œuvres, mais il faudra attendre 1910 ensuite pour admirer de nouveau ses œuvres au Salon de l’Union internationale des beaux-arts et des lettres, à l’Alcazar d’été des Champs Elysées. Le critique Arsène Alexandre y loue la participation de Kollwitz.
Plus tard, quelques mots dans son journal montrent la satisfaction de l’artiste devant le succès qu’elle remporte à La grande exposition organisée pour ses cinquante ans chez Paul Cassirer au printemps 1917. En 1929, ses eaux-fortes seront présentées dans l’exposition Peintres graveurs allemands contemporains à la Bibliothèque nationale à Paris.
Les lithographies et bois réalisés par Kollwitz dans l’entre deux guerres sont largement diffusés dans les journaux, notamment français d’extrême gauche (L’humanité, Clarté puis Monde à partir de 1928). Plus tard, dans les années 1930-40, une partie de ses œuvres sont utilisées à des fins de propagande par le parti communiste, comme le montrent des illustrations d’articles de journaux allemands tels le « Neues Deutschland » ou le « Neue Zeit ». Elles serviront particulièrement à illustrer des articles de presse aux dates clés des 1er mai et 8 mars (Frauen Tag, journée de la femme). Après sa mort, dans les années 50, le pessimisme qu’on lui a reproché limite nettement la présence de ses œuvres dans les journaux. Pourtant, en 1958 Gustav Seitz édifiera sur la place Käthe Kollwitz de Berlin (place qui porte son nom depuis 1949) une statue monumentale en bronze à son image. En 1954, une réplique du monument Les parents en deuil (dont l’original se trouve au cimetière militaire allemand de Vladslo en Belgique) avait été réalisée par Joseph Beuys et Erwin Heerich et constitue le premier monument fédéral en hommage aux morts des deux guerres mondiales, situé dans la cour de l’église en ruine de Saint Alban.
Trauernde Eltern (parents en deuil, 1932), réplique par Joseph Beuys et Erwin Heerich,1954, cour de l’Eglise Saint Alban en ruine.
Un prix Käthe Kollwitz est créé en 1960 par l’Académie des arts de la RDA. Au début des années 1970, un timbre poste est émis par la RDA avec une reproduction de sa gravure « Nie wieder Krieg ».
En 1993, à l’initiative du chancelier Helmut Kohl , sa sculpture en bronze Pietà (mère avec son fils mort), 1937-39, est reproduite au quadruple par Harald Haacke et installée dans la Neue Wache à Berlin, principal mémorial en RFA pour les victimes de la guerre et de la tyrannie.
A cette époque, les œuvres de K.K. sont vues par la RDA comme l’expression des valeurs socialistes et représentent le symbole d’une certaine solidarité avec l’URSS. Comme elle véhicule des concepts pacifismes et antifascistes, l’œuvre de K.K.continuera d’accompagner l’histoire de la RDA, dans l’édification du socialisme et de la politique sociale, lors de nombreuses manifestations, comme celles du théâtre populaire par exemple (Folksbühne).
Depuis le 100e anniversaire de la naissance de l’artiste en 1967, célébré à l’ouest comme à l’est par de grandes expositions, on note un intérêt grandissant pour K.K. La cote de ses œuvres sur le marché de l’art international évolue à la hausse. En 1992, une grande exposition a lieu à la National Gallery de Washington, avec des prêts européens et américains dont la collection du Dr Richard A.Simms, qui sera ensuite donné au Getty Research Institute. A. Simms pense de cette artiste qu’elle est autant engagée dans les causes sociales que dans la production d’œuvres d’art. Il réhabilite donc la maîtrise technique de son art et l’inscrit dans le mouvement de transformation révolutionnaire de la gravure durant la période fin XIXe- début XXe siècle.
Alors que Käthe Kollwitz est unanimement reconnue en Allemagne comme une des artistes les plus importantes de la première moitié du XXe siècle, elle reste assez méconnue en France. Nul doute que l’exposition à Strasbourg cette année, ainsi que la publication en français de son Journal, articles et souvenirs contribueront, avec légitimité, à la remettre à l’honneur.
Käthe Kollwitz dans son atelier avec une plaque de cuivre, 1906 (photographe anonyme)