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La Galerie Cailleux
Source de savoir sur plusieurs générations d’historiens de l’art
La Galerie CailleuxSource de savoir sur plusieurs générations d’historiens de l’art
Donnés en 2003 par Marianne Roland Michel, vingt cartons composent le fonds de la Galerie Cailleux (Archives 93). Récemment inventoriés, ils nous invitent à découvrir ou redécouvrir l’histoire de cette galerie prestigieuse et la documentation qu’elle a produite, autant pour les érudits que pour les amateurs d’art. De 1912 à 1996, cette galerie n’a cessé d’évoluer, voyant se succéder plusieurs générations d’historiens de l’art dans ses couloirs, tout en gardant son affection particulière pour le XVIIIe siècle jusqu’à sa disparition.
La naissance de la Galerie Cailleux
Né en 1884, Paul Cailleux (de son vrai nom Paul de Cayeux de Sénarpont) débute sa carrière professionnelle au sein d’un secrétariat et contribue à peindre les décors des ballets russes. Cet habitué du Louvre se consacre par la suite à sa passion pour l’art du XVIIIe siècle, devenant marchand d’art, et ouvre dès 1912 la Galerie Cailleux, située dans de petits locaux au 39 rue Laffitte. À cette époque, sa collection personnelle et celle de la galerie sont étroitement liées, et son appartement, situé au premier étage, se confond avec la galerie. Celle-ci présente certains objets de sa collection personnelle et donne l’occasion d’enrichir ou vendre des pièces de sa collection plus aisément.
C’est par cette double facette de collectionneur et de marchand d’art que Paul Cailleux est représenté dans divers musées aujourd’hui. Par exemple, le musée Bonnat-Helleu de Bayonne conserve une importante collection de terres cuites de la seconde moitié du XVIIIe siècle provenant de sa collection, acquise en 1983.
Le développement d’un savoir scientifique
En 1923, la galerie déménage au 136 rue du Faubourg Saint-Honoré et occupe cet espace devenu si célèbre jusqu’à la fin du XXe siècle. Sa renommée est construite par le goût pour les œuvres d’art du XVIIIe siècle à l’époque, dans un contexte où le marché de l’art est prospère et où les prix accessibles suscitent aussi bien ventes qu’achats.
Le succès de la galerie d’art a donné naissance à de nouvelles activités pour Paul Cailleux. Ainsi, de grandes expositions, accroissant encore davantage la renommée de la galerie, se sont succédées au fil des ans, avec la contribution de collectionneurs et des musées, par des prêts. La galerie jouit d’un rayonnement scientifique important en réunissant un public d’historiens de l’art et d’érudits lors des vernissages, mais également par la rédaction de catalogues d’exposition. Plus d’une vingtaine d’expositions sont nées au 136 rue du Faubourg Saint-Honoré dont celles sur J. Pillement (1928), Esquisses, maquettes : projets et ébauches de l’École française du XVIIIe siècle ; peintures et sculptures (1934), Peintures de la Réalité au XVIIIe siècle (1945), Le dessin français de Watteau à Prud’hon (1951), François Boucher : premier peintre du Roi, 1703-1770 (1964) ou encore Rome 1760-1770. Fragonard, Hubert Robert et leurs amis (1983).
Galerie Cailleux, Exposition Jean Pillement, [1928]. Paris, bibliothèque de l’INHA, CVA1/7357. Cliché INHA.
La succession de trois générations de galeristes dévoués à l’histoire de l’art
À la mort de Paul Cailleux, son fils Jean de Cayeux, qui signe pour cette activité sous le nom de Jean Cailleux (1913-2009), prend la direction de la galerie, avec le soutien de sa sœur Denise. Contrairement à son père autodidacte, Jean Cailleux est diplômé de l’Institut d’art et d’archéologie et ancien élève de l’École du Louvre. Expert des tableaux et dessins du XVIIIe siècle, il contribue à près de trois-cents expositions, tout en s’engageant à la suite de son père dans des domaines plus politiques en étant, par exemple, conseiller pour le commerce extérieur de la France (1956), ou encore vice-président du Syndicat national des antiquaires (son père en ayant été président). Par ailleurs, la galerie reste sa principale activité, il fonde une succursale à Genève en 1979 et publie en 1963 un album en hommage à son père et à la galerie, intitulé Cailleux 1912-1962, illustrant les ventes d’œuvres les plus importantes de la galerie. Il se consacre également davantage à l’art antique, réunissant notamment une grande documentation sur l’artiste Hubert Robert. Son intérêt se concrétise à travers diverses expositions telles que Hubert Robert et Louis Moreau, exposition du cent-cinquantenaire de leur mort (1957) et Autour du néoclassicisme : peintures, dessins, sculptures (1973).
Galerie Cailleux, fiches « H[ubert] Ribert » (à gauche) et Lajoue » (à droite). Paris, bibliothèque de l’INHA, Archives 93/14/1 et Archives 93/9/1.
De 1982 à 1996, Marianne Roland Michel (1936-2004), fille de Jean Cailleux et historienne de l’art respectée, reprend la direction de la galerie, tout en travaillant sur sa thèse sur le peintre Jacques de Lajoüe, Lajoüe et l’art rocaille. Ainsi,elle organise treize expositions au sein de la galerie et donne une nouvelle direction au lieu, tendant vers un lieu de rencontre au public varié, de l’historien de l’art renommé à l’étudiant d’histoire de l’art de première année. Elle réunit une riche documentation, conservée au musée du Petit Palais sous le nom « Documentation Marianne Roland Michel » et constituée de sept-cents boîtes d’archives.
Sa cousine, Emmanuelle de Koenigswarter, est la dernière directrice de 1996 à 2000. La galerie est contrainte de fermer face à l’évolution du goût et à la raréfaction des ventes. La galerie Éric Coatelem occupe aujourd’hui l’espace et cherche à maintenir le souvenir de la galerie,en publiant notamment un catalogue en 2015 à la mémoire de la Galerie Cailleux.
L’index documentaire des ventes de 1900-1929, héritage d’un savoir
Durant toute son existence, la Galerie Cailleux a été gage de qualité pour les collectionneurs, a permis d’identifier et d’attribuer des œuvres grâce à l’expertise de ces dirigeants et a produit une riche documentation. Sous sa direction, Marianne Roland Michel a souhaité rendre accessible librement la documentation de la galerie. Ces objectifs perdurent aujourd’hui grâce à un don d’archives à l’INHA en 2003 (Archives 93). Réparti en vingt cartons, il s’agit d’un index documentaire des ventes de 1900 à 1929, couvrant par conséquent une période antérieure à la galerie et les premières années de vie de cette dernière.
Cet index documentaire se présente par ordre alphabétique d’artistes et renseigne sous forme de tableaux de comptes, listant les œuvres vendues : l’année de la vente, le nom de la vente, le sujet de l’œuvre, ses dimensions, son prix, l’acheteur parfois et quelques observations. Chaque feuillet se limite le plus souvent à un seul artiste ou à une école, mais peut parfois mentionner jusqu’à quatre artistes.
Galerie Cailleux, fiches « Greuze » (à gauche) et « Herebach, Herlen, Hernandez ». Paris, bibliothèque de l’INHA, Archives 93/7bis/1 et Archives 93/7bis/2.
Le nombre de ventes par artiste est inégal, d’une seule vente à quinze feuillets dédiés à un seul artiste, par exemple Greuze ; la quantité de feuillets peut être mise en parallèle avec la quantité d’œuvres produites par l’artiste. Par ailleurs, cet index donne ainsi de précieuses informations sur la notoriété d’un artiste et sur le goût d’une époque mis en lumière à travers le prix des œuvres. De plus, les artistes inscrits donnent des précisions sur les champs d’intérêt de la galerie, allant des peintres et dessinateurs européens du début du XVIe siècle jusqu’à ceux des premières décennies du XIXe siècle.
Le nom de l’artiste constitue à lui seul une source d’informations à questionner pour les historiens de l’art. En effet, il est important de prendre en compte les différentes orthographes du nom d’un même artiste. L’attribution d’une œuvre peut aussi avoir changée depuis cent ans, mettant en évidence l’interprétation et l’expertise des historiens de l’art de cette époque.
L’histoire d’une œuvre et son chemin parcouru peuvent être retracés grâce à ces feuillets. Ainsi, la colonne « acheteurs » constitue une source inestimable pour les historiens de l’art afin de remonter le fil des possesseurs successifs d’une œuvre. Les colonnes « dimension » et « observations » peuvent également permettre d’identifier une œuvre. Ces ventes datent au plus tard de l’entre-deux-guerres, il peut donc y figurer des œuvres spoliées durant la seconde guerre mondiale.
Ainsi les informations recueillies aujourd’hui et hier peuvent se croiser et prendre sens afin d’enrichir encore davantage le savoir autour des œuvres d’art, grâce à cet index documentaire et au travail de la famille Cailleux. Il ne fait aucun doute que l’inventaire de ce fonds facilite les recherches des historiens d’art, que ce soit pour questionner les connaissances sur des œuvres célèbres ou mettre en lumière des artistes et des œuvres jusqu’ici peu connus.
Iona Greil
service du Patrimoine
Références bibliographiques
Jean Cailleux, Gérard Bauer, François Boucher : premier peintre du roi, 1703-1770, Paris, Galerie Cailleux, mai-juin 1964, 51 p.
Jean Cailleux, Gérard Bauer, Le dessin français de Watteau à Prud’hon, Paris, Galerie Cailleux, avril 1951, 60 p.
Jean Cailleux, Marianne Roland Michel, Autour du néoclassicisme : peintures, dessins, sculptures, Paris, Galerie Cailleux, Presses artistiques, mars 1973, 67 p.
Jean Cailleux, Marianne Roland Michel, Rome, 1760-1770 : Fragonard, Hubert Robert et leurs amis, Paris, Galerie Cailleux, [15 février-26 mars] 1983, 69 p.
Paul Cailleux, Cailleux, 1912-1962, Paris, Imprimerie du Compagnonnage, 1963, 130 p.
Jacques Combes, Jean Cailleux, Esquisses, maquettes, projets et ébauches de l’école française du XVIIIe siècle : peintures et sculptures au profit de la Société des amis de l’enfance, Paris, Galerie Cailleux, 12-24 mars 1934, 86 p.
Galerie Cailleux, Hubert Robert, Louis Moreau : exposition du cent-cinquantenaire de leur mort, Paris, Galerie Cailleux, 26 novembre-20 décembre 1957, 55 p.
Marianne Roland Michel, Jacques Thuillier, Lajoüe et l’art rocaille, Neuilly-sur-Seine, Arthena, 1984, 445 p.