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« La ville » dans tous ses états
Mis à jour le 7 février 2024
Les trésors de l'INHA
Auteur : Élodie Desserle
Chaque année qui débute est pour la bibliothèque numérique de l’INHA synonyme de nouvelles opportunités de mises en ligne grâce aux artistes et auteurs qui rejoignent le domaine public. En 2024, la bibliothèque va ainsi pouvoir diffuser les œuvres écrites et graphiques de personnalités marquantes de l’art moderne, entre autres Raoul Dufy, Francis Picabia ou Albert Gleizes. Ce dernier est le premier de la liste à rejoindre nos cimaises virtuelles avec une gravure intitulée La ville que nous vous proposons de découvrir en ligne.
Peintre, dessinateur, graveur et philosophe, Albert Gleizes est reconnu comme l’un des fondateurs du cubisme. En effet, bien que Georges Braque et Pablo Picasso aient adopté cette nouvelle esthétique au cours de l’année 1907, ce n’est qu’au printemps 1911, lors du salon des Indépendants (auquel les deux peintres ne participent pas) que le grand public découvre ce mouvement artistique. Dans la salle 41, les travaux du groupe dit « de Puteaux », dont ceux d’Albert Gleizes, sont exposés et provoquent la stupeur. La fragmentation de la forme, la démultiplication des points de vue et la géométrisation du dessin induisent une perte de lisibilité du modèle qui suscite les réactions passionnées des visiteurs, commentateurs et critiques. Afin de répondre à ses détracteurs et à l’incompréhension, Gleizes décide d’exposer sa doctrine dans un traité intitulé Du cubisme qu’il co-écrit avec Jean Metzinger et qui paraît l’année suivante. Membre de la « Section d’or », il est adepte d’un cubisme « orphique » basé sur une recherche de l’harmonie et de formes idéales régies par le principe du nombre d’or.
Cependant lorsque la première guerre mondiale éclate, Gleizes est envoyé, comme nombre de ses confrères parisiens, en garnison à Toul en Lorraine, à proximité du front. Affecté au service de santé, il peut toutefois poursuivre sa production artistique, grâce au major Mayer Simon Lambert, un médecin militaire qui lui apporte son soutien ; il peint d’ailleurs sur place son portrait (aujourd’hui conservé au Solomon R. Guggenheim Museum, à New York). En 1914, Gleizes exécute également ses deux premières eaux-fortes dont La Ville.
Nous ne disposons pas de la date ni des modalités exactes d’entrée de cette œuvre dans les collections de Jacques Doucet, mais nous savons que son œil avisé a rapidement identifié Gleizes comme un acteur majeur du monde de l’art puisque, dans un courrier qu’il adresse à son bibliothécaire René-Jean, il écrit : « Dans nos périodiques de la guerre « le mot » devient cubiste ? avec Gleizes en ce moment c’est fou ». Si la présence de cette estampe témoigne de la perspicacité du collectionneur, elle reflète également les méthodes proposées par Noël Clément-Janin à Jacques Doucet pour constituer son cabinet d’estampes modernes car il s’agit d’une seule estampe mais en cinq états différents. Deux d’entre eux présentent la particularité d’être des tirages avec remarques marginales, un état très rare étant donné que ces petits croquis tracés dans la marge des estampes lors de l’exécution par le graveur pour tester sa pointe sur la matrice ou mesurer le degré de morsure de la plaque étaient effacés avant le tirage définitif destiné à la commercialisation. En effet, Doucet et Clément-Janin mirent en place ensemble une politique d’acquisition audacieuse privilégiant les pièces uniques, telles que les épreuves d’essai, et aussi les états intermédiaires afin que les artistes et les chercheurs puissent appréhender toutes les étapes de la création et que le cabinet d’estampes devienne un véritable lieu d’étude des techniques et de la pratique de la gravure.
Cette estampe, et ses cinq états, semblait alors tout indiquée pour vous signaler une nouvelle fonctionnalité de la visionneuse de notre bibliothèque numérique : le comparateur d’images. Accessible par un bouton en forme d’images superposées en bas de la visionneuse, il s’ouvre dans un panneau à gauche. Deux options vous sont alors proposées : placer la page dont l’affichage est en cours dans le comparateur ou ouvrir simplement l’outil (sans sélection de document préalable). Vous pourrez ensuite sélectionner les documents à partir d’un petit moteur de recherche interne. Votre sélection s’affiche dans le panneau de droite dans lequel il faut cliquer sur les images à comparer (elles apparaissent alors en surbrillance).
Deux icônes à droite en forme de loupe et de page vous permettront ensuite de synchroniser le niveau de zoom et la position de l’image dans la visionneuse entre l’image gauche et droite ainsi que la navigation des numéros de page lorsqu’il s’agit de recueils.
Ce comparateur permet donc de visualiser, consulter simultanément et mettre en parallèle des images ou documents internes à la bibliothèque numérique de l’INHA mais il offre aussi la possibilité de rapatrier des documents externes puisqu’il a été mis en place en respectant les spécifications du standard IIIF (International Image Interoperability Framework), un cadre international d’interopérabilité des images diffusées sur internet par des bibliothèques numériques ou des projets de valorisation de documents patrimoniaux. IIIF permet de s’affranchir des barrières techniques entre les sites pour mettre côte à côte plusieurs documents numérisés issus de bibliothèques différentes sans changer de visionneuse. De plus en plus de bibliothèques numériques adoptent ce protocole, aussi bien en France (Gallica, Mazarinum, SorbonNum, etc.) qu’à l’étranger (Art Institute of Chicago, Getty Museum, Victoria and Albert Museum, etc.).
Pour récupérer un document d’un site externe compatible IIIF, il suffit de copier une URL de manifeste JSON dans le comparateur, par exemple : https://gallica.bnf.fr/iiif/ark:/12148/btv1b53226379h/manifest.json pour afficher une des versions de la lithographie de Toulouse-Lautrec Miss Loïe Fuller conservée à la Bibliothèque nationale de France (BnF) en regard de celles conservées à l’INHA. Autre exemple de complémentarité ci-dessous, la bibliothèque numérique de l’INHA contient les originaux de dessins parus par la suite dans la revue La Plume, numérisée sur Gallica. On peut donc dorénavant comparer sans sortir de la bibliothèque numérique de l’INHA les deux états du même dessin, à gauche l’original sans la lettre, conservé à l’INHA, et à droite la page imprimée, conservée et numérisée par la BnF.
Élodie Desserle, service de l’Informatique documentaire et de la numérisation
Pour aller plus loin
- Site de la fondation Albert Gleizes : http://www.fondationgleizes.fr/fr/ (consulté le 9 janvier 2024).
- « Un cabinet d’estampes moderne(s) », dans Bibliothèque d’art et d’archéologie Jacques Doucet, carnet de recherche Hypothèses de l’Institut national d’histoire de l’art, 1er juillet 2021 (consulté le 30 janvier 2024).
- Pierre Gassier, De Goya à Matisse : estampes de la collection Jacques Doucet, Bibliothèque d’art et d’archéologie, Paris [exposition, Martigny, Fondation Pierre Gianadda, 14 mars-8 juin 1992], Martigny, Fondation Pierre Gianadda, 1992, p. 210.
- Johann Gillium et Manon Demonfaucon, « Les bibliothèques numériques et le standard IIIF », Sous les coupoles 29 octobre 2019 (consulté le 1er février 2024).