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Le Portugal en fête et en deuil
Mis à jour le 1 juin 2022
Les trésors de l'INHA
Auteur : Juliette Robain
Le festival d’histoire de l’art à Fontainebleau est consacré cette année au Portugal. C’est l’occasion d’examiner le petit corpus se rapportant à ce pays dans notre riche collection de livres de fête.
La fête…
Le plus ancien est le récit de l’entrée à Lisbonne du roi Philippe II du Portugal (Philippe III d’Espagne) en 1619, Entrada y triumpho que la ciudad de Lisboa hizo a la C.R.M. del rey D. Phelipe tercero de las Españas, y segundo de Portugal… (12 Res 105). Publié à Lisbonne en 1620, à la période où le Portugal fait partie du royaume d’Espagne, l’ouvrage est en espagnol et non en portugais. S’il est dépourvu d’illustrations, on peut se référer au texte pour imaginer le détail des arcs triomphaux élevés à cette occasion, comme le précise le titre (« con la explicacion de los arcos triumphales que se levantaron a su felecissima entrada »). On y apprend le coût de la construction (18 000 ducats pour le premier arc), le détail de l’iconographie : représentation des rois du Portugal, figures de la mythologie (Jason, Ulysse, Thésée, Hercule), etc. Le décor des rues et les costumes des participants sont également décrits dans le détail (« parsemés de mille pierreries suffisantes pour transformer la nuit en jour »). On suit le parcours du roi, et on croirait voir les dizaines d’arcs élevés dans les différentes rues décrits en détail ou laissant la part libre à l’imagination du lecteur (« arco bizarro y curioso »), et on pourrait presque entendre les trompettes qui résonnent dans la ville en fête.
Tomás Pinto Brandão, Descripçaõ da ponte em Belem, na entrada da Serenissima Princeza dos Brasis D. Maria Anna Victoria, Lisboa Occidental, Na officina da musica, 1729, frontispice avec une gravure sur bois. Paris, bibliothèque de l’INHA, 12 Res 441. Cliché INHA.
Un siècle plus tard, c’est une princesse qui fait son entrée à Lisbonne en 1729, entrée décrite dans Descripçam da ponte em Belem (12 Res 441). Cette pièce en vers fait partie d’un recueil de 17 pièces célébrant le mariage de Marie Anne Victoire (une des protagonistes de « l’échange des princesses ») et de Joseph Ier prince du Brésil et futur roi du Portugal. Cet ouvrage, comme nombre de livres de fête de la collection, est accompagné d’une note du libraire Édouard Hermal, fournisseur de Jacques Doucet pour ce fonds. Hermal insiste comme toujours sur la rareté des ouvrages qu’il propose à l’achat. À côté de la présentation de l’ouvrage, quelques éléments plus anecdotiques racontent comment la princesse Marie Anne Victoire a d’abord été fiancée enfant au jeune Louis XV avant d’être renvoyée en Espagne à la suite à des intrigues de cour.
…et le deuil
Les autres documents représentent une autre catégorie de livres de fête : les obsèques, qui donnaient lieu à des cérémonies somptueuses et à des publications pour en prolonger la mémoire. Ces livres sont les plus illustrés de notre petit corpus.
Relaçam da magnifica, e sumptuosa pompa funeral com que o real convento de Palmella da ordem millitar de Santiago, celebrou as exequias da Serenissima Rainha N. Senhora D. Maria Sofia Isabel de Neoburg, Em Lisboa, Na officina dos herdeiros de Domingos Carneiro, 1699. À gauche : catafalque, p. 6 ; à droite : p. 20. Paris, bibliothèque de l’INHA, 8 Res 1170. Cliché INHA
Le premier décrit les funérailles de la reine Marie Sophie de Neubourg, femme de Pierre II du Portugal (Relaçam da magnifica, e sumptuosa pompa funeral com que o real convento de Palmella da ordem millitar de Santiago, celebrou as exequias da Serenissima Rainha N. Senhora D. Maria Sofia Isabel de Neoburg…, 8 Res 1170). Une grande planche représente le catafalque de la reine (ci-dessus à gauche). Les huit emblèmes qui en ornent le socle font chacun l’objet d’un poème et d’une gravure par un artiste présenté comme anonyme « C. B » par Hermal et désormais identifié comme Clemente Bilingue – la recherche avance !
Timóteo de Oliveira, Descripçaõ funebre, das exequias, que a bazilica patriarchal de S. Maria dedicou á memoria do fidelissimo senhor Rey Dom Joaõ V, Lisboa, Na officina de Francisco da Silva, pl. hors texte. Paris, bibliothèque de l’INHA, 4 Res 1426. Cliché INHA
Deux ouvrages sont consacrés aux obsèques de Jean V et ce n’est qu’une petite partie de tous ceux qui ont été publiés, tant les obsèques de ce roi ont donné lieu à de nombreuses cérémonies organisées par les autorités locales et le clergé aux quatre coins du monde. La chronologie des cérémonies suit le temps mis pour que l’information parvienne aux confins du royaume, du 1er août 1750, lendemain de la mort du roi à Lisbonne, au 14 novembre 1751 à Goa en Inde, en passant par l’Afrique et l’Amérique. Le récit des funérailles fait ensuite souvent l’objet d’une publication, décrivant le détail de la cérémonie et reprenant parfois le texte du sermon prononcé à cette occasion. À Lisbonne en août 1750 (Descripçaõ funebre, das exequias, que a bazilica patriarchal de S. Maria dedicou á memoria do fidelissimo senhor Rey Dom Joaõ V, 4 Res 1426), la cérémonie est somptueuse, la planche ci-dessus ne laisse pas complètement imaginer ce que décrit le texte : mausolée de 62 pieds de haut, dais de velours noir, squelettes recouverts d’argent, centaines de torches et de cierges entourant le mausolée…
Bento Morganti, Michel Lebouteux, [Emblème portant l’inscription : Nec jascet in somno], dans Descripçaõ funebre, das exequias, que a bazilica patriarchal de S. Maria dedicou á memoria do fidelissimo senhor Rey Dom Joaõ V, Lisboa, Na officina de Francisco da Silva, pl. hors texte. Paris, bibliothèque de l’INHA, 4 Res 1426. Cliché INHA
L’autre cérémonie dont nous conservons le souvenir dans nos collections se déroule au Brésil (Monumento do agradecimento…, 8 Res 1015), à San João Del Rey (province de Minas Gerais). La ville à laquelle le souverain a donné son nom ne peut que célébrer avec fastes la mort du roi. La nouvelle y parvient à la Noël 1750, et des cérémonies grandioses sont organisées en quelques jours. Là aussi, or, argent, draperies, squelettes, musique, la fête baroque bat son plein.
Matias António Salgado, Monumento do agradecimento, tributo da veneraçam, obelisco funeral do obsequio…, Lisboa, Na officina de Francisco da Silva, 1751, pl. hors texte. Paris, bibliothèque de l’INHA, 8 Res 1015. Cliché INHA
Pour finir, les funérailles du duc de Cadaval (Ultimas acções do duque D. Nuno Alvare Pereira de Mello, 4 Res 1447), ouvrage qui figure dans les premières pages du premier registre d’inventaire de la bibliothèque, acquis en juillet 1910 (voir ci-dessous). Notre exemplaire ne rassemble que les planches, représentant le portrait du duc, le plan du mausolée, le catafalque, et les nombreux emblèmes entourés de crânes et de couronnes d’ossements au milieu d’angelots joufflus. L’ouvrage complet avec le texte est en ligne sur le site de la Bibliothèque nationale du Portugal.
En haut : registre d’inventaire de la bbliothèque d’Art et d’Archéologie, juillet 1910. En bas : Pierre Antoine Quillard, Ultimas acções do duque D. Nuno Alvare Pereira de Mello, [Lisboa Occidental], [Na Officina da Musica], 1730, fig. 18a, Paris bibliohtèque de l’INHA, 4 Res 1447. Clichés INHA
Juliette Robain, service du Patrimoine
En savoir plus
- Vivien Richard, « La mort du prince, pompes funèbres et recueils gravés », in Chroniques de l’éphémère, 2010, disponible en ligne.
- Le livre et la mort : XIVe-XVIIIe siècle, Paris, Éditions des Cendres, 2019. Libre accès INHA : N7720.A1 LIVR 2019
- Les funérailles princières en Europe, XVIe-XVIIIe siècle, 3 vol., 2012, 2013, 2019.
- Robert C. Smith, « Os mausoléus de D. João V nas quatro partes do mundo », in Revista da faculdade de letras, t XXI, 1955, p. 123-156.