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Les bibliothécaires ont-ils la main verte ?
Mis à jour le 31 mars 2022
En coulisses
Les bibliothécaires ont-ils la main verte ?
Dans « Avez-vous vu la girafe ? », En coulisses vous proposait une première approche du vocabulaire des bibliothèques emprunté au monde animal. Aujourd’hui, nous prenons la direction du jardin et la clef des champs pour une leçon qui fleure bon les herbes sauvages et les épis dorés…
« Il reste des places pour le stage « Pratique du désherbage » pour les personnels des bibliothèques cherchant à s’initier aux procédures de révision et de désherbage… »
Eh bien non, le stage mentionné dans cet extrait d’un courriel professionnel ne concerne pas des personnels des bibliothèques lorgnant du côté de l’horticulture ! Dans le langage des bibliothèques, le « désherbage »est l’opération dûment planifiée qui consiste à éliminer des documents de façon méthodique pour offrir des ressources toujours actualisées aux usagers. Ce terme emprunté au vocabulaire agricole est une transposition du « weeding » (sarclage) de nos confrères américains, qui ont initié cette pratique dès 1940. Les bibliothèques allemandes, quant à elles, ne font pas référence à la terminologie agricole et utilisent le verbe « aussondern », qui induit plutôt la notion de triage, de dissociation d’un tout.
À dire vrai, ce sont davantage les bibliothèques de lecture publique fonctionnant en libre accès, telle la Bibliothèque publique d’information du Centre national d’art et de culture – Georges Pompidou, qui ont recours au désherbage. Celui-ci apporte en effet une solution au problème récurrent du manque d’espace et fait partie intégrante de la gestion de leurs collections. Les bibliothèques de conservation, dont la bibliothèque de l’INHA, ne le pratiquent que sporadiquement.
Par exemple, au cours du premier semestre 2021, notre collègue Violaine Dupoux, affectée au service du Catalogue, a désherbé la bibliothèque professionnelle de l’INHA. Cette documentation professionnelle, parce qu’elle ne fait pas partie du fonds patrimonial , est donc susceptible d’être désherbée. Ont été retirés de celle-ci notamment un certain nombre de manuels de bibliothéconomie en double ou triple exemplaires et des publications antérieures aux années 2000. Rassurez-vous, il n’y a pas eu d’élimination stricto sensu mais une distribution gratuite des documents mis au rebut, qui a pu faire quelques heureux…
Une partie des rayonnages de la bibliothèque professionnelle de l’INHA après désherbage, janvier 2022. Cliché INHA
Pour précision, dans la terminologie des bibliothèques, on n’« élimine » pas : on « pilonne » ! Le verbe fait frémir… Autrement dit on a recours dans certains cas extrêmes au pilon.
Au jardin, les mauvaises herbes qu’on a sarclées sont généralement compostées dans une démarche écologique : transformation en un compost générateur d’un nouveau cycle de vie. Il en va de même dans les bibliothèques, où les documents désherbés peuvent démarrer une nouvelle existence dans un autre établissement ! C’est ainsi qu’au service du Développement des collections de la bibliothèque de l’INHA, Iris Mouchot se voit régulièrement proposer des documents désherbés provenant d’autres bibliothèques, telles celle de l’Instituto Cervantes. Comme le montre la photo ci-dessous, sur la page de garde, les mentions d’appartenance à l’Instituto Cervantes ont été barrées et on a apposé le tampon « expurgo ». L’une des missions d’Iris consiste donc à évaluer l’intérêt documentaire de tels dons et à les intégrer le cas échéant dans les collections de la bibliothèque.
À gauche, couverture d’un livre désherbé provenant de l’Instituto Cervantes, 2022. À droite, page de garde du même livre portant le tampon « EXPURGO », 2022. Clichés Iris Mouchot
Dans nos bibliothèques, comparables dans une certaine mesure à ces précieux greniers dogons où sont engrangés non pas le mil, mais les archives, manuscrits et autres imprimés, où le lecteur glane ça et là les renseignements utiles à sa recherche auprès des personnels mais aussi en butinant dans le libre accès parmi les épis, la révolution numérique a permis l’accès à d’autres ressources. Là encore, le langage bibliothéconomique file la métaphore agricole.
Jean-François Millet, Les Glaneuses, eau-forte, 19 x 25,3 cm (coup de planche), 1855-1856. Paris, bibliothèque de l’INHA, EM MILLET 4. Cliché INHA
C’est ainsi que dans les comptes rendus de journées professionnelles de bibliothécaires, il n’est pas rare de rencontrer les termes imagés de « silo » ou d’« entrepôt », lesquels désignent en fait des réservoirs pour le stockage des données numériques. Ces deux mots sont étroitement associés à la notion de « moissonnage », transposition du « harvesting » des bibliothèques des États-Unis.
Eugène Trutat, « Moissonneuse, Cornusson, juillet 1904 », tirage photographique, 9×12 cm. Source : gallica.bnf.fr/BnF/Association des Toulousains de Toulouse
Nous conclurons avec Voltaire, dont le profil amusé semble observer les lecteurs, depuis son médaillon dominant la salle Labrouste : « Cela est bien dit, répondit Candide, mais il faut cultiver notre jardin. » (Voltaire, Candide ou l’Optimiste, 1759).
Ernest Lavigne, médaillon représentant Voltaire, salle Labrouste. Cliché INHA
Christine Camara
service des Services aux publics