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Les papiers Antoine-Louis Barye, archives de la sculpture au XIXe siècle
Mis à jour le 27 février 2019
Les trésors de l'INHA
Auteur : Sophie Derrot
L’INHA a acquis en 2018 un ensemble d’archives concernant le sculpteur Antoine-Louis Barye (1795-1875), qui vient compléter les collections de la bibliothèque pour former un ensemble majeur sur cet artiste et sa diffusion.
Malgré une place reconnue dans la sculpture du XIXe siècle, Antoine-Louis Barye reste un personnage teinté d’ombre, sur lequel les sources étaient jusqu’ici notoirement absentes, à peine quelques lettres dans des institutions et des archives sur ses chantiers publics. C’est ainsi que l’ensemble de papiers qui a rejoint les collections de l’INHA il y a quelques mois prend toute son importance. Il s’agit de pièces produites soit du vivant de Barye, soit après sa mort et rassemblées en grande partie par le marchand et expert André Schoeller (1881-1955), qui apportent quelques changements à la vision que l’on avait sur l’artiste.
Une carrière riche et variée
Sans doute à cause d’un succès qui met du temps à venir et qui semble mitigé, ainsi que d’un naturel discret, Barye a la réputation d’être un artiste solitaire et taciturne. Les 255 lettres qui se trouvent désormais dans la collection de l’INHA viennent relativiser cette vision. Ce sont 113 correspondants qui échangent avec Barye et dont l’admiration, l’estime, l’affection parfois transparaissent : des élèves, d’autres artistes, sculpteurs (Bosio, Ottin) ou peintres (Delacroix, Corot, Millet), des architectes (Hector Horeau, Eugène Viollet-le-Duc), des commanditaires (Fanny Pereire, le duc de Luynes), des gens du monde ou des cercles de la critique artistique (Gustave Planche, Théophile Silvestre). Enrichies de la correspondance déjà conservée à l’INHA, ces lettres dessinent une vie relationnelle et sociale dense, avec des invitations à venir aux Tuileries ou à dîner chez des personnages influents (Nieuwerkerke, Thiers), la participation à de nombreuses réunions d’artistes, comme les expositions de Barbizon ou la société du baron Taylor.
Ces papiers documentent également la pratique de la sculpture elle-même, avec des documents pouvant sembler anodins, mais qui livrent des informations précieuses. Il en est ainsi des factures en lien avec certaines réalisations ou liées au quotidien, ou bien des comptes dédiés aux collaborateurs (fondeurs, ciseleurs, souvent encore méconnus). La réalisation d’un bronze animalier prend ainsi forme sous nos yeux avec ce compte de 1867-1868 pour l’entretien d’un lévrier servant de modèle à une sculpture pour le marquis de Nicolaÿ, sa dernière grande commande privée, aujourd’hui perdue (Archives 166/3/2/2). Concernant ce quotidien, un document conservé dans un autre fonds de la bibliothèque entré ces dernières années, le fonds Fabius, vient apporter un témoignage précieux : il s’agit d’un livre de comptes et d’adresses tenu par le sculpteur et s’articulant parfaitement avec les papiers Barye (Archives 131/80/1). A travers ces documents se dessine notamment le rayonnement de l’artiste à l’étranger et particulièrement aux États-Unis, où se trouve d’ailleurs aujourd’hui l’un des ensembles les plus importants d’œuvres de Barye, au Walters Art Museum.
Si Barye est plus particulièrement connu pour ses petits bronzes animaliers, ces papiers et ce livre donnent aussi à voir son activité dans les arts décoratifs. Sur ce domaine en général peu documenté, nous disposons ainsi d’échanges avec des sculpteurs ornemanistes et des commanditaires, mais aussi avec des éléments de comptabilité donnant de précieux enseignements sur des commandes privées. Il en est de même pour les commandes publiques, comme les travaux pour le palais Longchamp, à Marseille, pour lequel Barye réalise 4 groupes animaliers en pierre vers 1867, et auxquels font référence plusieurs documents. Il participe également aux travaux du nouveau Louvre et nous disposons de plusieurs lettres d’Hector Lefuel, architecte responsable de cette entreprise, concernant en particulier le bas-relief devant représenter Napoléon III à cheval. Destinée à couronner les guichets du Louvre, cette statue fait l’objet de plusieurs échanges entre 1855 et 1867, au sujet des plâtres proposés par Barye et de l’avis de l’empereur, à qui sont soumises des photographies prises par Édouard Baldus. C’est d’ailleurs sans doute l’une de ces photographies qui se trouve dans le fonds.
La diffusion posthume
Mais ces papiers, et plus largement les collections de la bibliothèque relatives à Barye, ne concernent pas que l’activité du sculpteur de son vivant. Ils sont également un témoignage de l’intérêt que son œuvre suscite après sa mort et tout au long du XXe siècle. Les lettres de Barye ont été vendues par la petite-fille de Barye au marchand et éditeur d’art Gustave Pellet, puis sont passées à André Schoeller, qui travaille à la galerie Georges Petit entre 1902 et 1930 et qui collectionne les œuvres du sculpteur. L’ensemble s’enrichit alors de documentation sur la diffusion posthume de l’œuvre de Barye : ventes publiques, collectionneurs, catalogues, bibliographie.
Le sculpteur est célébré dès les lendemains de sa disparition, en juin 1875 : une exposition a lieu aux Beaux-arts dès novembre, suivi d’une grande vente l’année suivante. Les représentants successifs de la maison Barbedienne, qui a racheté les modèles de Barye en 1876, entretiennent une correspondance avec la veuve Barye (à propos d’un hommage lors de l’Exposition universelle de 1878) puis avec André Schoeller (sur la vente de modèles, entre 1911 et 1914). Quelques années plus tard, en 1889, le « comité Barye » obtient la réalisation d’un monument à la mémoire du sculpteur, au bout de l’île Saint-Louis, au même moment qu’une exposition. Un dossier concernant l’artiste, constitué très tôt dans l’histoire de la bibliothèque, garde de nombreux documents sur cette entreprise, à laquelle ont notamment participé le critique Philippe Burty ou le peintre Eugène Guillaume (Autographes 36,18).
Des notes retraçant les transferts des œuvres et restant encore partiellement à identifier se trouvent dans les papiers Barye, mais la documentation la plus importante sur ce sujet se trouve dans le fonds Fabius (Archives 131, boîtes 80 à 90). Le sculpteur était en effet l’un des points d’attention principaux de cette dynastie de marchands d’art et son étude par les différentes générations occupe une part non négligeable du fonds donné par la famille Fabius en 2012. A ainsi été fait un suivi précis des œuvres de Barye (sculptures, mais aussi peintures et dessins) et de leurs passages en vente, de leurs prix et de leurs propriétaires successifs, de la fin du XIXe siècle aux années 1980. Les premiers grands carnets, commencés par Elie Fabius, ne sont hélas pas communicables pour l’instant pour des raisons de conservation, mais le reste de ce travail, poursuivi par ses fils, ainsi que la documentation des œuvres passées par la galerie et prêtées lors d’expositions sont désormais accessibles aux chercheurs.
Les collections iconographiques de la bibliothèque ont enfin été enrichies d’une vingtaine de photographies d’œuvres de Barye. Elles viennent compléter quelques croquis, mais surtout les représentations se trouvant dans la Photothèque, où ont été scrupuleusement documentés les différents types de réalisations du sculpteur (sculptures, y compris architecturales, dessins, peintures). Avec l’entrée de ces papiers et les différentes collections qu’ils viennent compléter, l’INHA conserve aujourd’hui le plus grand ensemble d’archives sur Barye, éclairant d’un jour nouveau l’étude de cet artiste. Outre les recherches monographiques, ces documents pourront également ouvrir des pistes dans l’histoire des techniques ou bien dans l’exploration des réseaux artistiques de cette époque.
Les papiers Barye ont été acquis grâce au soutien de la Société des Amis de la bibliothèque d’Art et d’archéologie.
Sophie Derrot, service du Patrimoine
Références bibliographiques
Michel Poletti, Monsieur Barye, Lausanne, Acatos, 2003, 321 p., ill. NY BARY3.A3 2003
La Griffe et la dent [exposition, musée du Louvre, Paris, 14 octobre 1996-13 janvier 1997, musée des Beaux-arts, Lyon, 16 octobre 1997-11 janvier 1998], Lyon-Paris, RMN-Musée des Beaux-arts de Lyon, 1996. NY BARY3.A3 1996