Conserver, valoriser, rendre accessible : une affaire de compromis

Pour les bibliothèques de petite taille, où la majorité des documents sont en libre accès, la valorisation des collections tient une place importante dans la manière de déployer les collections dans l’espace pour les adresser directement aux publics. Les documents peuvent par exemple être regroupés par thèmes ou par auteurs, et l’intégration de nouveaux documents venant compléter les corpus déjà en place peut se faire relativement aisément. C’est ainsi que fonctionnent la plupart des bibliothèques municipales, par exemple.

Les bibliothèques de grande taille conservent quant à elles la majeure partie de leurs collections dans des magasins fermés aux publics. Elles pensent et gèrent le déploiement de leurs collections dans ces locaux selon une logique d’optimisation de l’espace. La terminologie même de « magasin » fait écho à cette logique où la surface est pensée pour entreposer des collections, primant de fait sur l’accessibilité et la disposition intellectuelle de celles-ci. Jusqu’à l’avènement de l’informatique documentaire, c’est le bulletinage et les catalogues mis à la disposition des publics dans des meubles à fiches qui permettaient de donner de la visibilité aux collections conservées en magasins fermés. À partir des années 1990, les catalogues en ligne ont facilité l’accès à ces collections, et le déploiement récent des outils de découverte, comme Recherche+, participe désormais à leur valorisation.

Le format des livres à la bibliothèque de l’INHA

La bibliothèque de l’INHA conserve près de 800 000 documents en magasins fermés, sur des rayonnages dont la hauteur sous tablette est normalisée et calibrée selon les formats standards des documents :

  • in-12 : pour tous les documents dont la tranche mesure jusqu’à 19,9 cm,
  • in-8° : pour tous les documents dont la tranche mesure de 20 à 24,9 cm,
  • in-4° : pour tous les documents dont la tranche mesure de 25 à 34,9 cm,
  • in-fol. : pour tous les documents dont la tranche mesure de 35 à 59,9 cm,
  • in-pl : pour tous les documents dont la tranche mesure plus de 60 cm.

Les systèmes de classification Dewey ou celui de la bibliothèque du Congrès (utilisé pour le libre-accès de l’INHA) sont faits pour les collections en libre-accès et ne sont pas adaptés à un rangement des collections par formats. Dans les magasins fermés des bibliothèques de grande taille, les documents sont généralement classés avec une cotation propre à l’institution. Ces systèmes, appelés communément « cotes maison », sont assez semblables d’une bibliothèque à l’autre. Ils suivent généralement le modèle « chiffre lettre(s) nombre » (ex : 8 KO 4517) : le premier chiffre correspond à une donnée de format standardisée relative à la dimension du document ; la ou les lettres correspondent à un corpus thématique, un type de document voire un espace particulier ; le dernier nombre, dit numéro séquentiel, correspond à un numéro d’entrée dans la collection :

Le document coté 8 KO 4517 mesure entre 20 et 24,9 cm de hauteur (in-8°) ; il correspond au corpus thématique « iconographie/hagiographie »(KO) ; il est le 4517e document à être entré dans ce corpus et est rangé selon cet ordre.

Les cotes maison peuvent se complexifier pour s’adapter aux particularités des collections :

Le document coté 4 P 1965 0325 mesure entre 25 et 34,9 cm de hauteur (in-4°) ; il correspond au type spécifique des catalogues d’exposition (P) ; il est le 325e document à être entré dans ce corpus durant l’année 1965 et est rangé selon cet ordre.

 

Le format des documents dans l’histoire bibliothéconomique

Extrait du guide Bibliothèques : traitement, catalogage, conservation des livres et des documents, p. 26.

Dès 1958, dans leurs Instructions sommaires pour l’organisation et le fonctionnement des bibliothèques publiques, Paule Salvan et Yvonne Ruyssen, conservatrices à la Direction des bibliothèques de France, préconisent qu’à partir de 30 000 documents, le fonds général d’une bibliothèque soit classé par formats et admette des dimensions conventionnelles :

Schéma des plis d'un carnet in-quarto

Les « formats réels de type ancien » cités font référence aux formats des livres fabriqués de manière traditionnelle aux XVIIe et XVIIIe siècles, avant l’industrialisation de la reliure survenue au XIXe siècle. Les livres étaient constitués alors de plusieurs cahiers de feuillets reliés ensembles. Chacun de ces cahiers correspondait à une feuille d’impression repliée sur elle-même un certain nombre de fois, et le nombre des plis effectués déterminait le format du cahier obtenu :

  • In-plano (Gr. In-folio) : feuille d’impression non pliée,
  • In-folio (In-Fol) : cahier à 2 feuillets (4 pages) constitués d’une page d’impression pliée 1 fois,
  • In-quarto (in-4°) : cahier à 4 feuillets (8 pages) constitués d’une page d’impression pliée 2 fois,
  • In-octavo (in-8°) : cahier à 8 feuillets (16 pages) constitués d’une page d’impression pliée 4 fois,
  • In-duodecimo (in-12°) : cahier à 12 feuillets (24 pages) constitués d’une page d’impression pliée 6 fois,
  • In-seize (in-16°) : cahier à 16 feuillets (32 pages) constitués d’une page d’impression pliée 8 fois.

Un livre en reliure traditionnelle nécessite d’être « découronné » pour pouvoir être ouvert : les plis des cahiers au niveau de la tranche doivent être coupés. La taille des feuilles d’impression n’étant pas standardisée, la dimension des documents obtenus après un même nombre de pliages peut varier. Les feuilles d’impression pliées dans le sens de la longueur permettent d’obtenir un document d’un format oblong, appelé plus communément « format à l’italienne ».

Revenons au milieu du XIXe siècle et aux instructions de Paule Salvan et Yvonne Ruyssen, qui préconisent de déterminer le format standard d’un document « à l’aide d’une règle spéciale graduée » : la méthode n’a pas changé depuis et les catalogueurs procèdent toujours ainsi de nos jours. Toutefois, depuis cette époque, les bibliothèques ont également optimisé leurs espaces en s’équipant de rayonnages mobiles, qui coulissent sous l’action d’une manivelle. Mais parce que ces rayonnages viennent se plaquer les uns contre les autres quand ils sont manipulés, il est primordial que les livres ne dépassent pas de leurs tablettes pour éviter leur écrasement. C’est le cas notamment des formats à l’italienne, qui sont plus larges que hauts, et appellent à une vigilance particulière lors de leur catalogage. Leur largeur est prise en considération, et d’autres standards s’appliquent :

  • in-12 format à l’italienne : jusqu’à 22 cm de largeur,
  • in-8° format à l’italienne : jusqu’à 27 cm de largeur,
  • in-4° format à l’italienne : jusqu’à 30 cm de largeur,
  • in-fol format à l’italienne : jusqu’à 45 cm de largeur,
  • in-pl format à l’italienne : jusqu’à 90 cm de largeur.

Ces standards sont propres à la bibliothèque de l’INHA, puisqu’ils se basent sur ses équipements matériels de conservation pour chacun de ces formats.

Vues des champs de bataille de Napoléon en Italie, dans les années 1796, 1797 et 1800, dessinées sur les lieux par M. Bagetti [...] gravées et terminées au Dépôt général de la guerre, sous la direction de M. le lieutenant général Pellet

En libre-accès, les documents sont classés thématiquement, en dehors de toute considération de formats. Cependant les livres dépassent rarement 34,9cm de hauteur (In-4°) pour des raisons de conservation préventive. A l’inverse, dans les magasins fermés de l’INHA, certains livres dépassent les plus grandes tailles standards au point de ne pouvoir être conservés dans les rayonnages. C’est le cas d’un format à l’italienne de 72 cm de hauteur pour 106 cm de largeur provenant de la bibliothèque centrale des musées nationaux. Il s’agit d’une reliure de 67 vues de champs de batailles de Napoléon, qui repose en permanence sur un chevalet de consultation de très grande taille.

Les magasins patrimoniaux regorgent également de formats atypiques. On trouve parmi ceux-ci une série de 3 livres reliés de très grande taille conservés dans leur propre petit meuble en bois sur mesure. Il s’agit de la Description de l’Égypte ou recueil des observations et des recherches qui ont été faites en Égypte pendant l’expédition française , auquel devrait être consacré prochainement un billet de blog. En attendant, il est possible de le retrouver avec les autres formats atypiques de la bibliothèque dans le billet de blog Géants et Lilliputiens à la bibliothèque.

Alix Saunier, service de la Conservation et des Magasins