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Nicolas Ballet et la bibliothèque déconfinée
Mis à jour le 3 septembre 2020
Paroles
Nicolas Ballet et la bibliothèque déconfinée
Le 12 juin 2020, la bibliothèque de l’INHA a rouvert ses portes aux lecteurs prioritaires, masterants et doctorants à partir de la 3e année, dans une limite de 25 places par jour et sur réservation. À partir du 6 juillet, l’accueil a pu être élargi à tous les publics et passer à 53 places par jour, auxquelles s’ajoutaient des places réservées aux personnels scientifiques de l’établissement. Le fonctionnement de la bibliothèque a été repensé et son espace réaménagé de façon à procurer aux usagers un environnement le plus sécurisé possible.
Nicolas Ballet, lecteur régulier, nous livre ses impressions et ses réflexions sur cette période particulière, dont la bibliothèque de l’INHA sortira le lundi 7 septembre pour proposer des conditions d’accès élargies.
Vous, en quelques mots ?
Je suis chercheur post-doc au laboratoire d’excellence Création, Arts et Patrimoines, en partenariat avec la bibliothèque Kandinsky du Centre Pompidou et le Centre de recherche sur les arts et le langage à l’EHESS. J’ai soutenu ma thèse à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne en 2018 sur un sujet qui portait sur la culture visuelle des musiques industrielles dans les années 1970 et 1980, sous la direction du professeur Pascal Rousseau. Et j’enseigne aujourd’hui l’histoire de l’art contemporain au sein du même établissement.
L’INHA a joué un rôle important dans mon parcours puisque avant d’être ATER à Paris 1 en 2016, j’ai travaillé pendant six ans dans cet institut : d’abord en tant que moniteur étudiant au département des Études et de la recherche, puis assistant en médiation culturelle pour le Festival de l’histoire de l’art avant d’être chargé d’études et de recherche pour le domaine « Art contemporain, cinéma et médias », piloté par Annie Claustres, puis Larisa Dryansky. J’avais déjà répondu à un entretien pour le blog du temps de la salle Ovale.
J’ai pu prolonger cette expérience à l’INHA l’année dernière, lors de l’événement que nous avons organisé avec notre association ATHAMAS pour la résidence de collectifs de jeunes chercheurs INHALab, sous la forme d’ateliers, d’un séminaire et d’une exposition traitant des liens entre arts et antipsychiatrie des années 1960 à nos jours.
Quelle était votre fréquentation de la bibliothèque auparavant ?
En période de rédaction de ma thèse, je m’y rendais tous les jours. Cela me permettait de trouver un rythme de travail régulier. Je m’y rends encore aujourd’hui pour avancer sur de nouveaux projets.
Pendant le confinement, avez-vous suivi l’actualité de la bibliothèque (site, blog et réseaux sociaux) ?
Oui, je suivais l’actualité de la bibliothèque directement sur son site et sur les réseaux sociaux Twitter et Facebook : on était invité à suivre le fil d’actualité sur Twitter pour voir les mesures qui allaient être prises à la sortie du confinement afin d’avoir accès aux collections. J’ai apprécié la régularité de l’information et, à un moment où on n’était pas certain de l’ouverture de la bibliothèque, ce communiqué sur le site indiquant que ce serait le cas plus tard pour celle de l’INHA.
Avez-vous rejoint le groupe Facebook « La Bibliothèque Solidaire du Confinement » ?
C’est un groupe que j’ai rejoint au tout début du confinement et qui m’a permis de consulter certains ouvrages qui manquaient pour mes recherches. Se pose toujours la question des droits pour les auteurs et éditeurs, lorsque les ouvrages ne sont pas libres de droit… Mais j’ai adhéré à cet élan de solidarité globale au moment du confinement, dans ce contexte et cette situation que personne ne maîtrisait. C’était bien entendu intéressant d’avoir accès à certains documents étant donné qu’on ne pouvait pas les consulter en bibliothèque. Cette initiative a permis que soient connectés, quels que soient les domaines et les thématiques abordés, nombre d’étudiants et de chercheurs dans un grand rassemblement virtuel. Un rassemblement qui montre combien le confinement a pu accélérer ce processus inquiétant par lequel, en étant connectés virtuellement, nous sommes en réalité de plus en plus déconnectés les uns des autres.
Avez-vous fait des demandes de numérisation lors de la première phase de reprise de l’activité de la bibliothèque ?
C’est une excellente initiative. Toutefois, je n’ai pas eu l’occasion de faire des demandes de numérisation.
Avez-vous eu des difficultés à réserver une place ?
Au tout début non, lorsque la bibliothèque a rouvert ses portes sans limite de réservation. Cependant, les places réservables ont été assez vite prises d’assaut. Il fallait donc organiser son planning sur plusieurs semaines si l’on voulait se rendre à la bibliothèque régulièrement. Mais c’était un soulagement de voir ses portes enfin ouvertes !
Le jour où vous êtes revenu à la bibliothèque, quelles ont été vos impressions ?
J’étais à la fois ravi d’être dans cet espace de travail familier et en même temps il y avait comme un flottement, une atmosphère irréelle renforcée par le fait de voir tous ces visages masqués. C’était quelque peu étrange de se retrouver là après des mois de confinement et de privation de la bibliothèque. Ce qui fait d’ailleurs réfléchir à la chance que l’on a habituellement de pouvoir fréquenter ces lieux consacrés à la recherche comme la bibliothèque de l’INHA dans lesquels la pensée prend une autre dimension.
Préparation de la salle Labrouste pour le retour du public. Cliché INHA
Quels étaient les gestes barrière les plus difficiles à adopter ?
Le port du masque est un peu gênant pour travailler, c’est certain, mais nous étions tous soumis à cette contrainte. Et ne pas être sûr d’avoir une place peut s’avérer aussi compliqué. Il y a également la mise en quarantaine des ouvrages qui peut aussi poser problème lorsque l’on a besoin de se plonger dans l’intégralité d’un ouvrage ou d’un catalogue d’exposition. En ce qui concerne les collections en libre-accès, même constatation. On aimerait bien pouvoir se perdre à nouveau dans les collections pour chercher des ouvrages et en découvrir d’autres : des livres dont on ne connaissait même pas l’existence. En même temps, la bibliothèque est soumise au respect de certaines règles drastiques relatives au déconfinement.
Libre accès et places condamnés. Cliché INHA
Avez-vous modifié vos habitudes de travail ?
Oui. Le confinement a eu pour effet « positif » de nous faire réfléchir, de faire un travail chez soi que l’on n’aurait pas fait autrement : se confronter aux archives, faire du tri, traiter d’anciens projets laissés à la maison. Ces réflexions ont forcément eu un impact dans nos habitudes de travail parce qu’elles ont pris une place importante et que notre quotidien a été bouleversé. On prend de nouvelles habitudes qui, pour certaines d’entre elles, sont plutôt positives. Comme ne plus prendre les transports en commun en favorisant le vélo par exemple. Ou encore déplacer le lieu de travail, que ce soit chez soi ou en terrasse d’un café ou dans un parc, lorsque ces lieux se sont libérés.
Vous sentez-vous en sécurité à la bibliothèque ?
La distanciation sociale est largement respectée. Tout a été repensé pour que les lecteurs se sentent en sécurité et c’est mon cas.
Comment envisagez-vous les mois à venir ?
Un peu comme tout le monde je pense : c’est le flou. Nous ne savons pas quelle sera l’évolution exacte de la situation. Il faut rester positif pour trouver des solutions.
Un point de vue à partager ?
Mes recherches en matière de musique industrielle ont beaucoup gravité autour de la notion de « dystopie« . Le climat assez inquiétant d’enfermement que nous avons récemment connu n’est pas sans rappeler celui de toute une littérature de science-fiction adaptée par le cinéma contemporain. Les mesures prises pour endiguer la crise sanitaire comme le confinement, le port du masque obligatoire, les autorisations de sortie et les pénalités pour les contrevenants ont pu être ressenties comme une forme d’emprise sur le quotidien de l’individu. C’est là que l’on peut faire le lien avec les œuvres de certains artistes qui, dès les années 1960 et 1970, s’intéressent à ces thématiques par l’emprise des médias et de la consommation de masse des sociétés postindustrielles. Toutes proportions gardées, on a le passage d’un pouvoir politique habituellement exercé sur les territoires qui s’exerce désormais sur le corps des individus. Il est intéressant de constater que les groupes de musique industrielle des années 1970 et 1980 ont anticipé tout le pouvoir qu’allaient prendre au XXIe siècle les réseaux sociaux en dénonçant l’emprise exercée par les réseaux télévisés dans le quotidien des consommateurs de biens culturels. Avec la crise sanitaire, nous avons pu mesurer l’importance de l’information via les réseaux sociaux et aussi prendre conscience des problématiques qui en découlent.
En voyant des individus masqués tous les jours dans la rue, les commerces, les transports en commun, les salles d’attente et même les bibliothèques, je me souviens de certaines images extraites de films, comme Le Bunker de la dernière rafale, Lettres d’un homme mort, The Atomic Cafe ou encore Rubber’s Lover, dans lesquels certains personnages portent un masque à gaz dans des univers dystopiques parfois confinés.
The Atomic Cafe. Kevin Rafferty, Jayne Loader, Pierce Rafferty (réals.), 1982
Lettres d’un homme mort, Konstantin Lopouchanski (réal.), 1986
Le masque à gaz est d’ailleurs un objet que l’on retrouve dans la modernité artistique, notamment dans l’œuvre d’Otto Dix avec sa gravure intitulée Assaut sous les gaz, traitant d’un contexte bien différent, celui de la Grande Guerre.
Otto Dix, Sturmtruppe geht unter Gas vor, 1924, gravure aquatinte, 35,3 X 47,5 cm, Deutsches Historisches Museum, Berlin