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Pablo Ortiz Monasterio, Frida Kahlo: sus fotos, 2010
Mis à jour le 14 janvier 2022
Auteur : Christine Camara
Tous les jours 20 ans !
Pour les 20 ans de la création de l’INHA, les agents et agentes de l’institut ont sélectionné des documents entrés dans les collections de la bibliothèque ces vingt dernières années et vers lesquels leur cœur les portait. Patrimoniaux ou plus courants, ces documents seront exposés au centre de la salle Labrouste tout au long du mois de janvier 2022, à raison d’un par jour, accompagné d’un texte écrit par la personne qui l’a choisi. Ces présentations reflètent les rapports personnels que nous entretenons toutes et tous à l’art, à son histoire et ses sources, au-delà de la dimension scientifique. Vous retrouverez également ces textes au fil des jours sur le blog de la bibliothèque.
Pablo Ortiz Monasterio
Frida Kahlo: sus fotos, Mexico, Editorial RM, 2010
INHA, NZ KAHL7.A36 2010
Achat, 2010
Pablo Ortiz Monasterio, Frida Kahlo: sus fotos, Mexico, Editorial RM, 2010. Source : https://artslibris.cat/
Je me souviens de ce jour de septembre 2010 où mon amie Maria-Isabel Marion, bibliothécaire alors responsable des acquisitions en langue espagnole, m’a appelée en disant « Je viens de recevoir un livre qu’il faut absolument que tu feuillettes ! Je te le mets de côté sur mon bureau, passe quand tu veux… » Travailler dans une bibliothèque a parfois du bon…
Immédiatement je l’ai repéré, trônant au-dessus d’une pile de ses semblables, avec sur la jaquette ce portrait inédit de la peintre mexicaine Frida Kahlo, ses prunelles sombres plantées dans les miennes. Une Frida juvénile, au regard identifiable entre mille sous ses sourcils en ailes d’hirondelle, mais à la coiffure stricte et portant un chemisier à pois : bien loin de ses atours mexicains et des tresses iconiques… Et lorsque j’ai ouvert ce livre à la densité prometteuse, c’était comme soulever le couvercle d’une malle au trésor remplie de photographies, pour certaines jaunies, écornées, annotées, ayant « vécu », c’était comme avoir le privilège de feuilleter l’épais album de photos du couple Kahlo-Rivera, un album tenu fermé depuis des lustres.
En effet, si ce recueil de photographies a pu voir le jour, c’est à la suite d’une importante découverte. Deux salles de bain de la Casa Azul, la Maison bleue où avaient habité Frida Kahlo et son époux le muraliste Diego Rivera, devenue musée, et qui avaient été scellées sur ordre de Rivera en 1954 à la mort de Frida, ont été enfin rouvertes en 2004, un demi-siècle après ! Elles contenaient les archives privées du couple mythique : livres, lettres, dessins, sans oublier une partie de la garde-robe et des bijoux de Frida et… des photographies par milliers, dont 401 sont reproduites ici : une aubaine pour les historiens de l’art et les aficionados de Frida Kahlo.
La sélection photographique proposée dans Frida Kahlo: sus fotos s’articule autour de plusieurs thématiques sur lesquelles se sont penchés différents chercheurs. Mais, non hispanisante, j’avoue m’être focalisée sur les photographies, en attendant la version française publiée en 2010… J’étais pressée de découvrir ce pan méconnu de l’univers de Frida Kahlo, tout comme, en 2007, sa correspondance (Frida Kahlo par Frida Kahlo, parue chez Christian Bourgois éditeur) m’avait permis d’apprécier ses talents épistolaires et son humour.
Les 500 pages de Frida Kahlo: sus fotos constituent un panel extraordinaire de photographies d’amateurs ou de professionnels, reflétant les centres d’intérêt de Frida Kahlo. Y transparaissent l’importance du cercle familial et l’attachement à ses racines, avec des clichés inédits d’elle enfant, ainsi que de sa famille maternelle et paternelle, qu’elle a généralement annotés. J’ai remarqué avec amusement cette manie qu’avait Frida sur certains portraits de son enfance, d’ajouter son âge prétendu : elle, née en 1907, faisait coïncider sa naissance avec la révolution mexicaine de 1910 !
On y découvre le talent de son père, Guillermo Kahlo, d’origine allemande, venu s’installer au Mexique à l’âge de 19 ans et naturalisé mexicain. Photographe de métier, il s’est plu à photographier les siens, il est l’auteur du portrait de sa fille illustrant la jaquette. Mais il a également réalisé une série étonnante d’autoportraits qui vont de l’aventurier frondeur à la fière moustache, jusqu’à l’homme fatigué au regard désabusé. Quelques clichés signés et datés témoignent d’une pratique de la photographie par Frida elle-même : par exemple, ces jouets mexicains qu’elle a mis en scène pour rappeler son tragique accident, survenu en 1925. Diego Rivera, son « crapaud-grenouille » comme elle le surnommait affectueusement, apparaît plus souvent en père de famille débonnaire, tenant dans ses bras sa fille Guadalupe, qu’en muraliste in situ. On y voit même les compagnes qui ont partagé sa vie d’avant. Le petit Dieguito que Frida aurait tant voulu lui donner semble présent, en filigrane. La mythique Caza Azul au patio peuplé de statues précolombiennes, de cactées et autres plantes grasses, prête son décor en apparence tranquille à qui veut prendre la pose, occupants, invités, ou encore xoloitzcuintle… Énormément d’amis, pour la plupart identifiés, et quelques anonymes ont été immortalisés sur la pellicule : portraits officiels ou instantanés joyeux, ils reflètent la vie sociale animée du couple, qui côtoyait les célébrités du moment. On y surprend une Frida riant aux éclats…
Judicieusement, l’éditeur a reproduit le verso des photographies lorsqu’il comporte des indications. De même qu’elle annotait certaines photos, Frida en « estampillait » d’autres, portraits d’êtres chers, avec l’empreinte de ses lèvres peintes ! D’autres photographies, éprouvantes, témoignent des hospitalisations et thérapies barbares que Frida Kahlo a endurées. Avec elles, on pousse la porte de l’espace privé avec un sentiment d’intrusion. Étaient-elles destinées à être montrées, à l’instar des photos de famille ? Après tout, c’est cette terrible réalité qu’elle a exprimée dans son œuvre… Autre particularité de cette collection : elle semble avoir fait office de photothèque où la peintre, souvent empêchée de se déplacer, puisait des modèles pour les détails de certains tableaux. Ainsi cette photographie, signée Martin Munkácsi, d’un chat noir qui fait le gros dos, représenté à l’identique dans l’Autoportrait au collier d’épines et colibri… La collection englobe également tout un pan de la culture mexicaine : pyramides et vestiges aztèques, fêtes traditionnelles, événements sociaux, industrialisation… Autant de clichés vraisemblablement rassemblés dans un but documentaire.
Vous aussi, prenez le temps d’ouvrir et de feuilleter Frida Kahlo: sus fotos ! Cette somme de photographies permet de se familiariser avec ce que Frida Kahlo appelait sa « réalité ». En l’absence des protagonistes, certaines questions resteront peut-être ouvertes, et votre curiosité inassouvie. Mais cette immersion dans l’univers photographique de Frida Kahlo, sur fond d’un Mexique révolu, mérite incontestablement le détour.
Christine Camara, service des Services aux publics