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Substrat, une œuvre pour la salle Labrouste
L’Institut national d’histoire de l’art participe aux journées européennes du patrimoine 2023, les samedi 16 et dimanche 17 septembre ! À cette occasion, la salle Labrouste et le magasin central seront ouverts au grand public, tout comme la galerie Colbert, et les manifestations seront nombreuses tout au long du week-end (consulter le programme). La salle Labrouste accueillera plusieurs événements, en particulier liés au thème de l’année « Patrimoine vivant ».
L’exposition « Secrets de création » présentera des documents autour des traces que laissent l’acte et les procédés de création, dans des domaines variés. Depuis les peintres réfléchissant au sujet de leur toile jusqu’à l’émailleur et au teinturier qui compilent leurs recettes, les éléments sont rares et précieux qui fixent des pratiques se transmettent sinon par l’apprentissage direct. Comment un artificier garde-t-il trace de ses éphémères réalisations pyrotechniques ? Quelles sont les indications dont dispose un joaillier pour son travail ? Quelles sont les mains qui permettent de passer du dessin à la gravure imprimée ? Les collections de la bibliothèque de l’INHA permettent aujourd’hui de donner à voir de multiples manières de créer, des « beaux-arts » à ce qui est désigné aujourd’hui comme « métiers d’art ». Cet intérêt documentaire est présent dès les débuts de la Bibliothèque d’art et d’archéologie de Jacques Doucet, et montre que cette dernière voyait les barrières des hiérarchies des arts comme très relatives, selon une idée de rassembler les sources pour servir à une histoire large du goût et des pratiques artistiques.
Ce sont ces pratiques qui ponctueront le parcours dans la présentation des documents. Peintres d’histoire, habitués des salons, Anne-Louis Girodet et Henri Regnault nous montrent leurs croquis accompagnant les textes des arguments de leurs tableaux, avant de s’élancer sur la toile, alors qu’Eugène Delacroix ponctue ses lettres d’essais de couleurs chatoyants. Grand point d’intérêt de la collection depuis sa création, les techniques de l’estampe se donnent à voir dans les matrices de bois de Paul-Émile Colin (1893-1895), les pochoirs utilisés pour la mise en couleurs de Terrasse de café par Maud Hunt Squire (1912), ou le manuel du lithographe de Godefroy Engelmann (1824) ; dans le tirage de l’estampe, l’imprimeur et son savoir-faire jouent un rôle non négligeable, que nous permettent d’observer de manière sensible les archives de Paul Decottignies (1936-2000) pour l’atelier Leblanc, avec des photographies d’imprimeurs au travail avec les artistes et ses « Mémoires d’un métier » manuscrites. D’imprimerie, il est question aussi dans la pratique typographique, qui connaît un fleurissement dès l’arrivée en Europe de l’impression par caractères mobiles à la fin du XVe siècle : les tâches sont réparties dans l’atelier d’imprimerie entre différents métiers, et les graveurs de caractères comme Louis Luce (1695-1773), pour l’Imprimerie royale, rivalisent de recherche et proposent des fontes, ici minuscules ; les catalogues de caractères nous montrent l’étendue des propositions, tels celui de la fonderie lyonnaise Rey et fils, annoté de commentaires sur les nécessités de recourir à des artisans qualifiés pour le bon usage des caractères, ou celui de la firme Caslon & Livermore, très représentative de l’esprit victorien.
Peu nombreux sont les documents qui attestent des pratiques des arts précieux, d’où le caractère exceptionnel de ceux qui seront présentés. Les arts du métal sont représentés par l’orfèvrerie, avec un ensemble de dessins de l’ornemaniste Jean-François Forty pour la maison Denière, et la joaillerie, avec un rare carnet de dessins de bijoux italien du XVIIIe siècle, fourmillant de dessins plus ou moins terminés, parfois réduits au croquis, qui montre comment le joaillier, non identifié, travaille autour des pierres précieuses à monter. Art précieux du métal autant que de la couleur, l’émail fait l’objet de recettes de couleurs, de mélanges, qui se transmettent d’artisan à artisan, comme dans ce manuscrit d’un peintre émailleur genevois ; la vivacité des couleurs est quant à elle rendue dans un remarquable recueil de dessins de plaques, en grande partie réalisées par la maison Barbedienne dans le dernier tiers du XIXe siècle, par un émailleur encore non identifié, qui montre la recherche foisonnante sur les variations de nuances. Autre art du feu, le verre et le vitrail sont également le sujet de plusieurs documents inédits, comme le livre de dessins de vitraux de François Oran, artisan parisien du milieu du XVIIIe siècle, nous montre des recherches formelles partant d’une extrême simplicité jusqu’à des propositions plus foisonnantes. À cinquante ans d’écart, on retrouve également la technique du soufflage du verre avec une canne, figurée par Hokusai dans sa Manga, et objet des réflexions du « verrier pensant » que veut être Maurice Marinot, dont la bibliothèque conserve les archives.
Les pratiques des arts précieux peuvent faire face à des changements de paradigmes, comme cela a pu être le cas pour le textile et son ornement : une miniature indienne de la fin du XVIIIe siècle ou du début du XIXe nous montre des artisans brodeurs en action, alors qu’un livre de recettes du milieu du XVIIe siècle, entré récemment dans les collections, nous donne les secrets d’un teinturier pour colorer la soie dans toutes les nuances ; le recueil de dessins du XVIIIe siècle destinés à l’impression sur étoffes présenté en regard montre lui l’évolution de l’ornement pour être appliqué à une technique quasi industrielle. Enfin, la collection de la bibliothèque garde les traces précieuses de réalisations faites pour être éphémères : livre de pyrotechnie montrant les montages de feux d’artifice raffinés, recueil figurant les annotations chorégraphiques des danses à la mode de 1700, croisent les livres de cuisine expliquant comment faire des fleurs en sucre ou des pièces montées en forme de pyramide ou de temple en ruines…
Dans ces collections parfois méconnues de la bibliothèque, encore partiellement anonymes, souvent inédites, se rencontrent les collectionneurs (Charles Eggimann, Henri Destailleur, Jacques Doucet), les artistes et artisans, les chercheurs de tous ordres qui ont participé à ce que ce patrimoine vivant laisse une trace aujourd’hui. Trace du vivant dans nos collections, un volume de l’œuvre de Dove Allouche sera également ouvert en salle Labrouste pour pouvoir contempler le résultat de la démarche de cet artiste dans le cadre du « 1 % artistique ».
Lors de ce week-end, vous pourrez également discuter avec des agents de la bibliothèque, le samedi, en espace Doucet (14h-17h), autour de leurs métiers de passeurs et passeuses : la numérisation, le catalogage de documents anciens, les acquisitions de documents récents, la recherche des provenances des documents, l’organisation de la salle de lecture… venez en parler !
Sophie Derrot, département de la Bibliothèque et de la documentation