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Paul-André Lemoisne, une vie pour Degas
Paul-André Lemoisne (1875-1964), diplômé de l’École nationale des chartes en 1901, entama aussitôt sa carrière au cabinet des estampes de la Bibliothèque nationale, dont il devint conservateur en 1925. Sous sa direction, le cabinet s’enrichit de nombreuses collections, grâce à ses relations personnelles privilégiées avec le monde des artistes et des collectionneurs : en 1905, il avait épousé Suzanne Chevallier-Gavarni – fille du peintre Pierre Gavarni (1846-1932) et petite-fille du dessinateur Gavarni (1804-1866) dont il a fait un de ses sujets d’études – rencontrée chez le collectionneur Henri Rouart. Sous la direction de Julien Cain, il réorganisa le cabinet et mit en chantier de nombreux inventaires. Ayant pris sa retraite en 1940, il s’occupa néanmoins du transfert des collections au château d’Ussé durant la guerre et continua ensuite de travailler pour le cabinet des estampes en tant que conservateur honoraire. Il fut élu membre libre à l’Académie des beaux-arts en 1946.
Parallèlement à sa carrière de conservateur, il produisit un travail d’historien de l’art. Très tôt il s’était intéressé à l’œuvre de Degas, avec le frère duquel il était en relation, et sur laquelle il fait autorité. L’estampe moderne se trouve par conséquent le point de jonction de son œuvre professionnelle et d’historien d’art ; un article de Lemoisne sur le cabinet de Jacques Doucet (dévolu depuis à l’INHA) dans le Bulletin de la SABAA en 1933 en fait foi.
Un fonds d’archives reconstitué et classé dans l’esprit de son producteur
Conservé dans un ancien domicile de Paul-André Lemoisne depuis son décès (en 1964), ce fonds a été acquis par l’INHA en vente publique en novembre 2006. Il ne s’agissait que d’une partie des archives rangées en désordre dans des cartons durant plus de quarante ans. De telles conditions de conservation ont donc rendu difficile la reconstitution du classement d’origine.
Compte-tenu des relations personnelles de Lemoisne avec le monde de l’art, le classement du fonds d’archives, quoique clair en apparence, pourrait sembler artificiel. En effet, Lemoisne a mené de front sa carrière de bibliothécaire et son œuvre d’historien (qualité sur laquelle il insiste quand on lui demande son avis d’expert, se refusant à expertiser les œuvres qu’on lui soumet). Par exemple, un même courrier de remerciement de la part d’un ami personnel des Lemoisne pour un séjour chez eux, qui par ailleurs dirige un musée en Angleterre ou aux États-Unis, pourra faire allusion à l’organisation d’une exposition par une des nombreuses sociétés savantes dont Lemoisne était membre, tout en profitant de cet envoi pour fournir des renseignements demandés auparavant sur un Degas. Ou encore, des notes généalogiques sur la famille de Madame Lemoisne, née Chevallier-Gavarni, relèvent-elles d’une documentation au sujet de concessions funéraires à entretenir ou bien de recherches sur Gavarni en tant que sujet d’une publication ? C’est par des choix difficiles mais raisonnés que ces documents se trouveront dans l’une ou l’autre des sous-séries du plan de classement.
Aussi faut-il penser à consulter ses papiers personnels, sa correspondance notamment, quand on étudie son travail d’historien de l’art – cette remarque est d’autant plus vraie en ce qui concerne Gavarni, le fonds comprenant de nombreux papiers familiaux de Madame Lemoisne (plus de deux boîtes) – sans oublier qu’une partie de ses recherches est indissociable des expositions et des collections de la Bibliothèque nationale.
Un catalogue ambitieux et inachevé de l’œuvre de Degas
S’intéressant dès sa jeunesse à l’œuvre d’Edgar Degas, il publie sur lui une monographie en 1912 (du vivant donc de l’artiste) et assiste aux ventes des ateliers Degas de 1918-1919, ainsi qu’aux ventes d’œuvres de Degas sa vie durant, annotant les catalogues au cours de ces ventes.
Après plusieurs articles dans diverses revues paraît le Degas et son œuvre en quatre tomes en 1947-1949, ouvrage qui fait toujours autorité. Le premier tome est une étude sur Degas, les deuxième et troisième un catalogue raisonné des peintures et pastels de l’artiste, et le quatrième un index. Le Degas et son œuvre de 1954 n’est qu’une republication du premier tome dans un souci de vulgarisation.
Le travail d’inventaire mené sur ce fonds d’archives met en lumière l’ambition initiale du projet de Lemoisne tout en permettant d’apprécier la mesure de son investissement dans cette entreprise. Pour bien comprendre l’apport de son travail, il est utile de revenir sur la genèse du projet. Dès mars 1937 est annoncée dans la presse spécialisée la parution à venir aux éditions des Beaux-arts un catalogue des œuvres de Degas par Lemoisne. Le projet était beaucoup plus vaste que le Degas et son œuvre de 1946. Outre les peintures et pastels, le catalogue devait concerner également les dessins, les estampes et les sculptures de Degas. Le catalogue des peintures et pastels était prêt dès 1943 quand Lemoisne signe le contrat d’édition ; cependant diverses difficultés en repoussent la parution (nécessitant constamment une mise à jour du nom des propriétaires des œuvres) en 1947-1949. Le travail se poursuit avec la préparation d’un supplément et de catalogues des dessins, des estampes et des sculptures, mais rien ne sera publié, si ce n’est un Supplément, en anglais, au catalogue des peintures et pastels, en 1984 (soit vingt ans après le décès de Lemoisne) chez Garland par Brame (parent de l’éditeur originel) et Reff.
L’inventaire du fonds Lemoisne nous montre que pourtant le catalogue des dessins de Degas était bien avancé (deux tapuscrits annotés se trouvent dans le fonds) et est donc, semble-t-il, prêt à être publié, sous réserve d’une actualisation.
On peut appréhender toutes les étapes de ce travail, de la collecte de sources à la composition du tapuscrit :
1. Annotation des catalogues de ventes de 1918-1919 (en « direct »)
2. Répertoire des dessins sur des fiches (une fiche par dessin)
3. Classement chronologique et numérotation des fiches
4. Mise à jour des informations et de la numérotation (pour le classement) qui en découle
5. Rédaction du manuscrit / tapuscrit et corrections
Cette méthode permet de comprendre le fonctionnement des fiches d’œuvres présentes en nombre dans le fonds.
Fonctionnement des fiches d’œuvres de Degas
La numérotation des fiches de dessins de Degas a plusieurs fois évolué. Il semble que, dans un premier temps, elle débutait à 1. Puis Lemoisne aurait repris toute la numérotation en repartant de 2001 (au moins avant le 9 février 1951 apparemment). Ainsi, la fiche no 1 est devenue la fiche no 2001, la fiche no 2 la no 2002, etc. Seulement, ce n’est pas si simple : en effet, la nouvelle numérotation « convertit » les bis et les ter en numéro, créant un décalage (il ne suffit donc pas d’ajouter 2000 à l’ancien nombre pour obtenir le nouveau numéro) : pour preuve, la fiche no 3593 avait été auparavant la no 1515 bis, puis la no 1578.
Ensuite Lemoisne a refait son jeu de fiches (dont les numéros ont ensuite encore évolué), réparties en sept boîtes. Il semble que l’INHA conserve le premier jeu en entier, mais, le fonds étant mutilé, seulement 2 boîtes du plus récent. Les feuillets indiquant la répartition des fiches par boîte (numérotées elles en chiffres romains, de I à VII) ne sont valables visiblement que pour la nouvelle numérotation.
Le tableau de correspondance suivant indique comme ancien numéro le plus récent de l’ancien jeu, reporté sur le nouveau jeu avant d’être remplacé par le nouveau numéro :
Ancien jeu de fiches |
Nouveau jeu de fiches |
||
Anciens numéros | Nouveaux numéros | Boîte | Numéros |
1 – 921 | 2001 – 2975 | ||
922 – 984 | |||
985 – 1253 | [3042 – 3328] | V | 3042 – 3328 |
1254 – 1515 | |||
1515 bis – 1790 | [3593 – 3868] | VII | 3593 – 3868 |
On trouvera dans le fonds également d’autres fiches non numérotées, ou bien numérotées mais isolées. Toutes ne concernent pas les dessins ; par exemple, la mention « P » ou « PP » indique une peinture ou un pastel ; la mention « S », semble-t-il, une sculpture ; la mention « M », peut-être une matrice.
Une partie de ces fiches ont été séparées du fonds, et intégrées à un lot d’archives vendu aux enchères par la famille en 2015, emporté par un acquéreur non identifié aujourd’hui.
Le fonds d’archives de Paul-André Lemoisne ne se résume pas à une documentation sur son activité scientifique et personnelle ; il constitue encore aujourd’hui un outil de travail cohérent, organisé, probant sur les sujets qu’il brasse.
Xavier Roussel, service du Patrimoine
Poour aller plus loin
Jean Adhémar, « Paul-André Lemoisne (1875-1964) », dans Bulletin d’information de l’ABF, 1964, no 45, p. 175-176.
École nationale des chartes, « Paul-André Lemoisne », dans Annuaire prosopographique : la base savante, CTHS, mise à jour 2018, disponible en ligne.
François Duret-Robert, « La dictature des cataloguistes », dans Connaissance des arts, juin 1989, p. 131-143.
Marc Blondeau et Thiery Meaudre (dir.), A. C. I. – Art Catalogue Index – Catalogues Raisonnés of Artists 1780-2019 (édition bilingue), Zurich, Blondeau & Meaudre / JRP|Ringier, 2020, vol. 2.