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Perpétuer le souvenir de Léonard Gianadda
Le 3 décembre 2023 décédait Léonard Gianadda, sans doute l’un des plus grands mécènes de ces dernières décennies pour la bibliothèque de l’INHA, et avant cela pour la Bibliothèque d’art et d’archéologie. L’INHA lui rendait un premier hommage au surlendemain de son décès. Il est nécessaire aujourd’hui d’ajouter le souvenir des actions qu’il a soutenues depuis la fin des années 1980.
Perpétuer le souvenir de Léonard Gianadda
Un engagement de longue durée au sein de la Société des amis de la Bibliothèque d’art et d’archéologie (SABAA)
Il faut, pour commencer, rappeler la passion pour l’art, l’engagement et la générosité de Léonard Gianadda. Les personnes qui ont eu la chance d’échanger avec lui ne pourront jamais oublier la manière dont il parlait de la fondation Pierre Gianadda, qu’il avait créée en 1978 à Martigny (Suisse) pour perpétuer le souvenir de son frère, Pierre, décédé tragiquement deux ans plus tôt en portant secours à ses camarades victimes d’un accident d’avion. L’enthousiasme dont faisait preuve Léonard Gianadda pour montrer des œuvres d’art, les connaître et les faire connaître au plus grand nombre était intact près de cinquante ans après la création de sa fondation. En travaillant main dans la main avec lui, en sollicitant son mécénat, on comprenait assez vite l’équilibre qui lui tenait à cœur : une attention très forte aux personnes, aux amitiés, une implication personnelle sans faille une fois sa décision prise de soutenir un projet, une exigence de qualité artistique et une préoccupation de tous les instants pour rendre accessible la création artistique à toutes et tous. Cet état d’esprit permet de comprendre le succès de sa fondation auprès du public et la confiance que lui faisaient de très nombreuses institutions culturelles et musées du monde entier.
À la fin des années 1980, Léonard Gianadda s’engage aux côtés de la SABAA pour un projet qui n’a rien d’une évidence : financer la restauration de plusieurs milliers d’estampes des XIXe et XXe siècles collectionnées au début du XXe siècle à l’initiative de Jacques Doucet pour sa Bibliothèque d’art et d’archéologie (BAA). La BAA, dont le grand couturier, collectionneur et mécène a fait don à l’Université de Paris en 1917, manque cruellement de moyens dans les années 1980. Mis en contact avec Léonard Gianadda en 1989 par l’intermédiaire du professeur d’histoire de l’art Pierre Gassier, spécialiste de Goya, Pierre Lelièvre, qui préside à cette époque la SABAA, et les conservatrices de la BAA, Denise Gazier, qui dirige la bibliothèque, et Monique Sevin, responsable de ce que l’on appelle alors les « fonds précieux », obtiennent son soutien pour restaurer trois mille estampes de la collection. Léonard Gianadda signe dès alors une convention avec la SABAA et apporte 750 000 francs pour financer cette opération de restauration de grande ampleur.
La collection d’estampes, majeure, n’avait jusqu’à cette époque jamais pu être exposée. Léonard Gianadda écrira : « Grâce à la sage clairvoyance du Professeur Pierre Lelièvre, Président de la Société des Amis de la Bibliothèque d’art et d’archéologie, ce fonds Jacques Doucet est enfin autorisé à sortir de son trop long purgatoire ». En 1992, la fondation Pierre Gianadda présente à Martigny l’exposition De Goya à Matisse : estampes de la collection Jacques Doucet, Bibliothèque d’art et d’archéologie, Paris, une exposition de près de cent soixante pièces choisies parmi ces chefs d’œuvres restaurés. Le commissariat est assuré par Pierre Gassier et Jean-Claude Romand. L’opération de restauration aura ainsi permis de proposer la première grande exposition rétrospective sur la collection du cabinet d’estampes modernes de la BAA. Son catalogue reste un ouvrage de référence sur la collection.
Couverture du catalogue de l’exposition De Goya à Matisse : estampes de la collection Jacques Doucet, bibliothèque d’Art et d’Archéologie, à la Fondation Pierre Gianadda de Martigny (14 mars-8 juin 1992).
Trente années de soutien à la BAA puis à la bibliothèque de l’INHA
Le 15 novembre 1993, Léonard Gianadda est élu membre du conseil d’administration de la SABAA. Il le restera fidèlement pendant trente ans, assistant, malgré ses nombreuses occupations, à la plupart des séances du conseil, toujours prodigue d’encouragements, d’idées et souvent d’une aide financière. Il accompagnera jusqu’à sa mort les nombreuses opérations de soutien de la SABAA à la BAA, puis à la bibliothèque de l’INHA à partir de 2001. La fondation Gianadda prendra en charge intégralement via la SABAA plusieurs opérations de mécénat à la bibliothèque, dont suivent quelques exemples.
En 1999, dans le cadre d’une convention sur trois ans, Léonard Gianadda reprend le financement de la restauration d’estampes de la collection, en allouant une enveloppe annuelle conséquente à cette opération.
En 2014, il finance la restauration de l’ensemble de la collection des estampes de l’artiste suisse Alice Bailly (1872-1938) conservées alors à la bibliothèque. Il s’agit de dix-huit bois gravés en couleurs réalisés entre 1904 et 1906 par cette artiste qui s’est inscrite dans les courants fauve et cubiste.
Alice Bailly, Petite Valaisanne, gravure sur bois en couleur, 26 × 19,12 cm, [vers 1906]. Paris, bibliothèque de l’INHA, collections Jacques Doucet, VI K 11(9). Cliché INHA.
En 2018, toujours via la SABAA, il prend en charge le coût de l’achat d’un ensemble de vingt lettres de Paul Signac à Frédéric Luce, fils du peintre Maximilien Luce, datée des années 1912 à 1919, présentant un grand intérêt non seulement pour les études sur Signac mais également pour une meilleure connaissance du milieu artistique de l’époque.
En 2020, il finance la restauration de quarante-six vues d’optiques de la collection concernant la Russie, au sein d’une collection de vue d’optiques de plus de six cents pièces.
[D’après Mikhail Ivanovich Makhaev], Vue du jardin de plaisance de l’Axarienne, eau-forte coloriée, vue d’optique éditée par Basset le Jeune, seconde moitié du XVIIIe siècle. Paris, bibliothèque de l’INHA, VO Rus 5. Cliché INHA.
En 2021, Léonard Gianadda prend en charge l’achat d’une œuvre de Marcel Duchamp, Some French Moderns Says McBride, conçue à New York en 1922. L’œuvre présente une série d’articles rédigés par le critique d’art Henry McBride pour le New York Sun et le New York Herald sur les artistes français « modernes » exposés aux États-Unis à partir de l’Armory Show en 1913 (Cézanne, Matisse, Rodin, Gauguin, Van Gogh, Redon, Picasso, Picabia, etc.) par ailleurs collectionnés par Doucet.
[Marcel Duchamp], Some French Moderns Says McBride, New York, Société Anonyme Inc., 1922. Paris, bibliothèque de l’INHA, Inv. PATR-2019-105. Cliché INHA.
On comprend la constance dont il a fait preuve au fil des décennies : une conscience très claire de l’importance du personnage de Jacques Doucet dans l’histoire de l’art du XXe siècle, une passion pour les œuvres graphiques, une parfaite compréhension des enjeux de conservation et de restauration et de une volonté de montrer, toujours montrer des œuvres au public.
Il y a quelques mois, Léonard Gianadda avait émis le souhait d’organiser et soutenir une nouvelle exposition d’ensemble sur la collection d’estampes de la bibliothèque de l’INHA, en écho à celle de 1992, pour souligner la perpétuation jusqu’à nos jours de cet héritage constitué dans l’effervescence de la Belle Époque. Il s’agit d’un projet que l’INHA, en s’appuyant sur les travaux de recherche en cours, s’est d’ores et déjà fixé pour objectif de réaliser, avec la fondation Pierre Gianadda.
Jérôme Bessière, directeur du département de la Bibliothèque et de la documentation de l’INHA
Dominique Morelon, secrétaire de la SABAA
Pour aller plus loin
Pierre Gassier, Jean-Claude Romand, De Goya à Matisse : estampes de la collection Jacques Doucet, bibliothèque d’Art et d’Archéologie [exp. Martigny, Fondation Pierre Gianadda de Martigny, 14 mars-8 juin 1992], Martigny, éd. Fondation Pierre Gianadda, 1992. Libre accès INHA : NE625 DEGO 1992