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Pierre Francastel, affiches de l’Institut français de Varsovie, 1929-1938
Mis à jour le 25 mai 2023
Les trésors de l'INHA
Un historien de l’art entre France et Pologne
Pierre Francastel, affiches de l’Institut français de Varsovie, 1929-1938Un historien de l’art entre France et Pologne
De septembre 2022 à janvier 2023, la bibliothèque de l’INHA a mené un travail de révision de l’inventaire et du conditionnement autour du fonds Francastel (Archives 43), composé de 86 cartons d’archives renseignant sur l’activité intellectuelle des historiens de l’art Pierre Francastel (1900-1970) et Galienne Francastel (1911-1992). L’analyse de ce fonds a donné lieu à la redécouverte de pièces particulièrement intéressantes et offre l’occasion idéale de se pencher sur certaines d’entre elles. Parmi ce trésor, huit affiches de cours de l’Institut français de Varsovie datant de 1929 à 1938 nous donnent un nouvel angle d’étude sur la vie de Pierre Francastel, figure emblématique de l’histoire de l’art du XXe siècle, et plus particulièrement sur ses années polonaises.
L’Institut Français de Varsovie, symbole du lien franco-polonais
Après avoir soutenu sa thèse en 1930 sur la sculpture du domaine royal de Versailles, Pierre Francastel intègre l’Institut français de Varsovie où il enseigne l’histoire de l’art. Inauguré le lundi 27 avril 1925 par l’Université de Paris, avec le concours du gouvernement polonais, l’Institut est destiné à faire rayonner la langue et la culture françaises et à renforcer les échanges culturels entre les deux pays.
L’Institut apparait sous l’impulsion de l’Association franco-polonaise de Paris dans un contexte de grave crise financière en Pologne, touchant les étudiants polonais, notamment ceux qui auraient souhaité compléter leur formation par des séjours à l’étranger. L’enseignement apporté par cet institution est très rigoureux et délivre aux étudiants un diplôme de fin de cursus au nom de l’université française, permettant de pallier aux problèmes de mobilité. Pour être admis en cours, les étudiants doivent disposer d’un diplôme de fin d’études secondaires et maîtriser suffisamment la langue française.
Certificat provisoire de licenciée en philosophie de Galienne Francastel (philologie française), recto et verso, Université de Varsovie, 1936. Paris, bibliothèque de l’INHA, collections Jacques Doucet, Archives 43/32/1/2/3. Cliché INHA.
De nombreux professeurs reconnus en France et à l’international dispensent les cours, assurant la qualité de l’enseignement. Ainsi, l’Institut est dirigé par le juriste Henri Mazeaud de 1924 à 1939, qui y enseigne également le droit. En 1935, Pierre Francastel prend le poste de directeur adjoint de l’Institut.
À chaque rentrée scolaire, des affiches sont imprimées à destination des étudiants afin de leur communiquer précisément l’organisation de leurs cours tout au long de l’année. Ces affiches permettent d’imaginer la complexité de l’enseignement suivi par les élèves de l’Institut. Ainsi, nous apprenons que l’Institut français donne des cours de littérature française, d’histoire, de géographie physique, économique et coloniale, d’histoire de l’art français, ancien et moderne, de langue et philologie françaises, d’initiation à la philologie française et de droit français. En 1935, des cours de civilisation française s’ajoutent au cursus. Ces affiches renseignent également sur le planning des étudiants avec le jour et la durée des cours.
Pierre Francastel, les prémices de ses écrits
Les différentes affiches nous renseignent sur les cours et les thématiques abordées par Pierre Francastel à l’Institut français de Varsovie. Certaines des grandes réflexions approfondies à l’avenir par l’historien de l’art sont déjà présentes dans ses cours.
Sur l’affiche de 1933-1934, deux cours dispensés font écho à ses publications futures. Le cours « De Lutèce à Paris moderne : les grandes lignes de l’histoire de Paris » signe, sans nul doute, le début de l’intérêt de Pierre Francastel pour la capitale, atteignant son paroxysme par la publication posthume d’Une destinée de capitale, Paris en 1984. Également, son cours sur « l’art impressionniste » témoigne de sa passion pour Renoir, Degas ou encore Caillebotte. Dès son retour en France, ses travaux le conduisent très rapidement à la publication, en 1937, de L’impressionnisme : les origines de la peinture moderne de Monet à Gauguin.
Affiches de cours de l’Institut français de Varsovie, 1933-1934 (à gauche) et 1932-1933 (à droite). Paris, bibliothèque de l’INHA, collections Jacques Doucet, Archives 43/ 19/1. Cliché INHA.
Ensuite, sur l’affiche de 1932-1933, ses recherches sur l’art roman se reflètent à travers son cours sur « La décoration des églises romanes ». Nous pensons ainsi à son ouvrage paru en 1942, L’humanisme roman : critique des théories sur l’art du XIe siècle en France. Pour finir, la thématique du portrait nous interpelle sur cette même affiche. En effet, il ne publia jamais sur ce sujet, contrairement à Halina Jakubson, alors étudiante à l’Institut français de Varsovie, qui deviendra son épouse en 1934, et publiera en 1969, sous le nom de Galienne Francastel, Le Portrait : 50 siècles d’humanisme en peinture, son plus gros succès d’édition.
Galienne Francastel s’impose comme une figure intellectuelle importante de son époque, bien qu’elle soit encore méconnue aujourd’hui. Critique et historienne de l’art d’origine polonaise, elle dévoue sa vie à la recherche et à l’enseignement, avec une affection toute particulière pour le russe. Principale collaboratrice de Pierre Francastel, de nombreux textes furent écrits de leurs quatre mains tels que les deux ouvrages sur l’Histoire de la peinture française, parus en 1955.
Pierre et Galienne Francastel, des vies à jamais liées à la Pologne
Après leurs quelques années à l’Institut Français de Varsovie, Pierre et Galienne Francastel s’installent en France en 1937, Galienne décroche alors une bourse du gouvernement français. Tandis qu’elle obtient ses diplômes de philologie et de littérature russe à l’université de Strasbourg, Pierre Francastel y est élu maître de conférences.
Pendant la seconde guerre mondiale, la religion juive de Galienne contraint les époux à se réfugier en 1943 dans le maquis du Cantal où ils rejoignent la résistance. Pierre Francastel rédige alors divers romans et une pièce de théâtre sous le nom d’emprunt François Cromagnon : La zone libre, Le maquis sans armes, Le gouffre et Solange et le réfractaire en 5 actes dont les textes sont consultables dans le fonds Francastel (Archives 43/28/1).
La situation politique tant française que polonaise préoccupe l’historien de l’art et suscite chez lui un véritable investissement, dès la fin de la guerre, comme en témoignent les divers feuillets sur les membres du Comité de Lublin, révélant son positionnement face à la situation. Le comité de Lublin se présente comme un gouvernement pro-communiste et se proclame gouvernement légal de la Pologne, malgré l’existence du gouvernement polonais reconnu à l’étranger. Dans ces feuillets, Pierre Francastel évoque sa méfiance vis-à-vis des membres du comité et reproche au parti d’être profondément anti-communiste.
Deux cartes d’identité (faux papiers de Pierre et Galienne Francastel) au nom de Dubois Serre, négociant, et Angèle Serre, 8 août 1943. Paris, bibliothèque de l’INHA, collections Jacques Doucet, Archives 43/1/1. Cliché INHA.
La fin de la guerre signe le retour en Pologne du couple, Pierre Francastel est nommé conseiller culturel à l’ambassade de France afin de rétablir les instituts français de Pologne. Il organise plusieurs expositions portant sur la sculpture et la peinture françaises, et une exposition entre Paris et Varsovie sur Chopin en 1948-1949 en collaboration avec Pierre Moisy.
Les souvenirs de Pologne de Pierre Francastel l’accompagnent jusqu’à la fin de sa vie, favorisant son épanouissement intellectuel et la formation de sa pensée théorique. Considéré comme le premier auteur à s’intéresser à la sociologie de l’art, il définit l’œuvre comme le point de convergence de séries distinctes d’expériences. Ainsi, les séjours en Pologne de Pierre Francastel ont participé à la construction des ouvrages de l’un des plus grands historiens de l’art de son siècle. Certains de ses textes prennent sens au regard de sa vie et de son affection pour l’histoire culturelle du pays comme l’ouvrage La Pologne pittoresque publié en 1934 et récompensé par le prix des Amis de la Pologne. Quelques textes polonais sont également disséminés dans le fonds (Archives 43/24/5/6, Archives 43/24/5/7, Archives 43/25/3/5…). Cinquante ans après sa disparition, les idées et les influences de Pierre Francastel ne cessent d’interroger les historiens de l’art, justifiant les expositions comme Pierre Francastel. L’hypothèse même de l’art au sein de l’INHA en 2010.
Iona Greil
service du Patrimoine
Références bibliographiques
Galienne Francastel, Le portrait : 50 siècles d’humanisme en peinture, Paris, Hachette, 1969, 207 p.
Pierre Francastel (dir.), Histoire de la peinture française. 1. Du Moyen Age à la fin du XVIIIe siècle : la peinture de chevalet du XIVe au XXe siècle, Paris-Bruxelles, Elsevier, 1955, 195 p.
Pierre Francastel (dir.), Histoire de la peinture française. 2. Du classicisme au cubisme : la peinture de chevalet du XIVe au XXe siècle, Paris, Elsevier, 1955, 213 p.
Pierre Francastel, L’humanisme roman : critique des théories sur l’art du XIe siècle en France, Rodez, Imprimerie P. Carrère, 1942, 244 p.
Pierre Francastel, L’impressionnisme : les origines de la peinture moderne de Monet à Gauguin, Paris, Les Belles Lettres, 1937, 271 p.
Pierre Francastel, Une destinée de capitale, Paris, Paris, Éditions Denoël, 1984, 174 p.