Louis-César Ducornet (1806-1856)
Lettres à Léon Cogniet, 11 janvier 1841 ; à un ami, 28 novembre 1853 et 8 janvier 1854 ; à M. de Saint-Amour, 19 mai 1855
19 × 12,6 cm, 20,6 × 13,5 cm, 19,8 × 13 cm, 21,1 × 13,5 cm
INHA, BCMN Ms 731, nos 2, 9, 10 et 12
Achat, librairie Signatures (Paris), décembre 2013

 Parmi les 50 000 lettres manuscrites que conserve la bibliothèque de l’INHA, on trouve celles des plus grands (Delacroix, Gauguin, etc.) comme celles d’artistes obscurs ou oubliés.

En 2013, peu avant son intégration à l’INHA, la bibliothèque centrale des Musées nationaux acquit douze lettres signées « Ducornet, né sans bras ». Plusieurs articles du XIXe siècle renseignent sur le destin singulier de Louis-Joseph-César Ducornet (1806-1856). Affligé d’une malformation congénitale, il ne possédait ni bras ni cuisses, et ne pouvait pas marcher. Le garçon apprit cependant à dessiner et à peindre avec ses pieds, et son exceptionnelle aptitude lui valut une célébrité locale, à Lille, puis une bourse pour compléter sa formation à l’École royale des beaux-arts, à Paris, en 1824.

Par la suite, Ducornet mena une carrière parisienne honorable, sinon brillante : il était exposé régulièrement au Salon et recevait des commandes officielles sur des sujets religieux ou historiques, et des commandes privées, de portraits par exemple. Ses réalisations étaient généralement bien accueillies par la critique, qui louait ses qualités de coloriste et son sens de la composition. On peut voir aujourd’hui ses deux autoportraits au palais des beaux-arts de Lille et au musée des beaux-arts de Tours, et ses tableaux religieux dans diverses églises.

Les lettres de Ducornet témoignent sans équivoque de son intégration sociale ; en fait, elles ne diffèrent pas des lettres de ses confrères. Tous les artistes contemporains partagent le même espoir de décrocher une commande (lettres 9 et 10) et les mêmes déboires professionnels, comme la maladie ou un mauvais accrochage au Salon (lettre 12 : « c’est un Salon perdu pour moi. »). Le ton professionnel et toujours aimable ne laisse guère deviner la somme d’efforts que le peintre a dû fournir pour arriver à sa situation et pour s’y maintenir.

Il faut aussi lire entre les lignes pour voir se dessiner une humble figure, encore plus oubliée, mais qui montra une affection et une abnégation inouïes : c’est le père de l’artiste. C’est lui qui fit donner à Ducornet une éducation littéraire et artistique. C’est lui qui ne cessa qu’à la mort de son fils de faire ce qu’un père arrête naturellement un jour : porter son enfant. Il le hissait sur un échafaudage pour les tableaux de grand format, il le portait sur son dos pour aller au Louvre ou chez un commanditaire.

Il y a donc une charge émotionnelle extraordinaire dans ces lettres au contenu banal, surtout peut-être dans cette simple phrase : « Je n’ai jamais vu mon père plus content » (lettre 10). C’est ainsi que les lettres d’artistes ne sont pas seulement une source pour l’historien de l’art ; elles sont aussi des témoignages de la condition humaine du créateur, et des documents historiques qui nous concernent tous.

 Isabelle Périchaud, service du Patrimoine
et Olivier Mabille, service du Catalogue