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Une lettre illustrée de Bourdelle
Mis à jour le 3 mai 2021
Les trésors de l'INHA
Nouvelle acquisition de la bibliothèque
Une lettre illustrée de BourdelleNouvelle acquisition de la bibliothèque
Le 17 mars dernier, nous avons acquis en vente publique à Drouot une lettre autographe illustrée d’Antoine Bourdelle, datée du 20 août 1922.
Cet achat, que nous avons pu effectuer avec l’aide de l’exercice du droit de préemption de l’État, complète les collections publiques françaises sur cet artiste. Au-delà de l’intérêt documentaire de cette lettre, le croquis qui accompagne le texte en fait aussi une œuvre artistique à part entière.
Découvrons ensemble ce document !
Une lettre d’Antoine Bourdelle
Cette lettre est passée sur le marché le 17 mars à Drouot, dans une vente organisée par Drouot Estimations. Dédiée aux arts du XXe siècle, elle se composait essentiellement d’œuvres d’art. Quelques documents manuscrits constituaient les premiers numéros du catalogue : un intéressant ensemble de lettres de Mirò, une lettre illustrée de Dufy, et, sous le numéro 5, une lettre attribuée au sculpteur Zadkine. Tous ces documents provenaient de la collection de l’historien de l’art Jean Leymarie (1919-2006). Dès que le catalogue de la vente est paru, la qualité du dessin et la richesse du contenu de cette lettre nous ont immédiatement intéressés.
Cependant, certains détails ne concordaient pas avec l’attribution initiale à Zadkine, tant au niveau du fond que de la forme. L’écriture, en particulier, est en effet caractéristique de Bourdelle, ce qui nous a été immédiatement signalé par nos collègues du musée Bourdelle.
Un complément pour les collections de la bibliothèque
Pourquoi acquérir une telle pièce pour la bibliothèque de l’INHA ? Nous privilégions souvent les achats d’ensembles de documents, si possible de correspondances entières. Mais, dans ce cas précis, outre ses qualités intrinsèques, cette lettre isolée complète les collections conséquentes d’autographes du sculpteur que nous conservons déjà (plus d’une centaine de pièces). En 2015 déjà, une lettre de Bourdelle illustrée de plusieurs dessins remarquables avait enrichi nos collections. Enfin, nous possédons aussi deux bustes commandés par Doucet à Bourdelle représentant Ingres et Carpeaux.
Antoine Bourdelle, Lettre à Andry-Farcy du 20 août 1922, bibliothèque de l’INHA, collections Jacques-Doucet, Autographes 209,10. Cliché INHA
Intérêt documentaire et artistique
Le destinataire de la lettre n’était pas formellement identifié lorsque nous l’avons achetée. Mais quelques recherches nous ont rapidement permis de comprendre qu’il s’agit d’Andry-Farcy, dessinateur, et à l’époque directeur du musée de Grenoble, où il fut à l’origine d’une exceptionnelle collection d’art contemporain. Très lié aux artistes de son temps, il était également bien introduit dans les milieux officiels. Il échangea de nombreuses lettres avec le sculpteur, comme l’attestent les fonds d’archives conservés au musée Bourdelle, où l’on peut d’ailleurs lire ses lettres écrites en réponse à notre missive. Ceci rend d’autant plus pertinente l’entrée de ce document dans une collection publique.
En 1950, Jean Leymarie succéda à Andry-Farcy à la tête du musée de Grenoble, ce qui expliquerait la provenance de ce document.
Antoine Bourdelle, Lettre à Andry-Farcy du 20 août 1922, bibliothèque de l’INHA, collections Jacques-Doucet, Autographes 209,10. Cliché INHA
Cette lettre fournit de nombreux éléments de contexte : elle documente en effet le voyage en Italie de Bourdelle, qui eut lieu en septembre 1922. Il y relate la difficulté de visiter certains musées (« les portes des musées sont plus fermées que celles des prisons ! »), et tente d’obtenir, par l’intermédiaire d’Andry-Farcy, une lettre de recommandation de Paul Léon, directeur des Beaux-Arts au sous-secrétariat du même nom, afin de faciliter ses entrées dans les institutions françaises et italiennes. Pour ce faire, il se prévaut de ses fonctions officielles, qu’il prend soin d’énumérer, au sein de la société nationale des Beaux-Arts, du Salon d’Automne, mais aussi, de la commission d’achat des Beaux-Arts (créée en 1791, ancêtre de l’actuel Centre national des arts plastiques).
Par rapport à l’histoire des œuvres de l’artiste, la lettre nous donne aussi plusieurs renseignements. En effet, Bourdelle conclut son texte par la phrase suivante : « Je suis sur le groupe Vierge à l’offrande pierre de six mètres de haut. morceau aussi poussé qu’un buste ». Cependant, le dessin à l’encre et à l’aquarelle qui illustre la lettre – Bourdelle était coutumier de ce type de croquis dans ses correspondances – ne concerne pas cette œuvre, mais pourrait plutôt évoquer la figure de la France. Commandée à l’artiste en 1922, cette sculpture monumentale représente une femme au regard décidé, un bras levé brandissant une lance. Une étude conservée au musée Ingres suggère tout l’intérêt de ce rapprochement pour connaître la genèse de cette œuvre.
Antoine Bourdelle, La France, érigée le 18 juin 1948 sur l’esplanade du palais de Tokyo, bronze, fonte d’Hohwiller. Source : Wikimedia Commons/Domaine public
La réponse d’Andry-Farcy en date du 23 août, conservée au musée Bourdelle (Archives du musée Bourdelle, AB/B.1.01.C43), confirme les démarches du conservateur auprès de Paul Léon. Il s’y réjouit également de la venue prochaine de l’artiste à Grenoble. Enfin, il remercie chaleureusement le sculpteur pour son croquis, indiquant que sa « femme a fait main basse dessus » !
En savoir plus
Cette lettre, cotée « Autographes 209,10 », est actuellement en cours de catalogage, sur le site Calames. Elle est consultable, comme les autres collections patrimoniales de la bibliothèque, dans l’espace Jacques-Doucet de la salle Labrouste, ouvert du lundi au samedi de 14h à 18h.
Ce document complète d’autres collections. En premier lieu, il convient de rappeler que l’essentiel des archives, correspondances, manuscrits d’Antoine Bourdelle est conservé au musée Bourdelle. Ces documents ont fait l’objet d’un inventaire, disponible en ligne sur l’application Agorha de l’INHA (base de données GAAEL), et aussi, sur la base de données en ligne des collections des musées de la ville de Paris.
À la bibliothèque de l’INHA, citons d’autres dossiers concernant Bourdelle ou Andry-Farcy parmi nos collections d’autographes :
- Correspondance de Bourdelle avec Jacques Doucet et René-Jean au sujet de l’acquisition de bustes d’artistes pour la Bibliothèque d’art et d’archéologie (Autographes 36, 08, en ligne sur la bibliothèque numérique) ;
- Correspondance de Bourdelle avec divers destinataires, dont Armand Dayot, directeur de la revue L’Art et les artistes (Autographes 99, 24) ;
- Correspondance de Bourdelle avec son élève, Céline Emilian (Autographes 110, 08) ;
- Papiers René-Jean : dossier Bourdelle (Autographes 187, 35) ; dossier Andry-Farcy (Autographes 186, 16).
Pour ceux qui s’intéressent à l’histoire du musée de Grenoble, mentionnons enfin la présence parmi les collections de la bibliothèque de l’INHA du fonds d’archives de Maurice Besset (1921-2008), directeur du musée de 1969 à 1978, à l’heure actuelle en cours de classement (Archives 124).
Références bibliographiques
- Stéphanie Cantarutti, Bourdelle, Paris, Éd. Alternatives, 2013 ;
- Stéphanie Cantarutti, Stéphane Ferrand, Bourdelle… que du dessin, Paris, Éd. des Cendres / Paris-musées, 2011
Nous profitons enfin de ce billet pour remercier vivement Madame Amélie Simier, directrice du musée Bourdelle, et Madame Claire Boisserolles, responsable des collections d’archives, de nous avoir, avec une grande réactivité, signalé le véritable auteur de cette lettre, puis de nous avoir généreusement communiqué la correspondance croisée d’Andry-Farcy à Bourdelle. Nous remercions aussi, au musée des beaux-arts de Grenoble, Madame Sophie Bernard, pour nous avoir confirmé l’identité du destinataire de cette lettre.
Lucie Fléjou
Service du patrimoine