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Viens voir les comédiens…
Mis à jour le 16 novembre 2023
Les trésors de l'INHA
Viens voir les comédiens…
La bibliothèque numérique vous propose de « visiter » La Petite galerie dramatique. Sous-titré Recueil de différents costumes d’acteurs des théâtres de la capitale, il s’agit d’un ensemble « du plus haut intérêt pour l’histoire du costume théâtral du début du XIXe siècle » tel que le définit René Colas dans son incontournable bibliographie consacrée à la mode. De fait, cette publication permet de brosser un panorama complet de la scène parisienne de l’époque puisque les huit recueils conservés à la bibliothèque de l’INHA renferment plus de 1 600 planches parues périodiquement entre 1796 et 1843. Éditée par Aaron Martinet à partir de 1796 puis par Martinet en association avec son gendre Herménégilde-Honorat Hautecœur (dit Hautecœur-Martinet) à partir de 1822, la série est poursuivie par les descendants de Martinet sous ce titre jusqu’en 1843 puis, forte de son succès, sous les titres La Galerie dramatique de 1844 à 1870 et La Nouvelle Galerie dramatique de 1872 à 1880.
En effet, ce genre éditorial, devenu pour nous une source d’information majeure sur l’histoire du costume, plaisait, en son temps, aux amateurs qui souhaitaient conserver le souvenir d’un spectacle ou d’un artiste apprécié. Diffusée en France et en Europe, La Petite galerie dramatique a permis de faire connaître l’activité théâtrale de la capitale et pouvait également intéresser les professionnels du théâtre, en province ou à l’étranger, désireux de monter une pièce créée à Paris ; d’autant plus qu’il était d’usage que les dessinateurs présents dans la salle rapportent fidèlement ce qui se passait sur les planches. Ils représentaient les acteurs en costume avec leurs éventuels accessoires dans des postures spécifiques les plus caractéristiques de leur rôle comme, par exemple, Pierson dans son habit de magnétiseur en pleine séance d’hypnose. Parfois, plusieurs costumes sont montrés sur une même image où peuvent figurer éventuellement quelques éléments de décor. C’est le cas pour la pièce de Louis-Charles Caigniez Le volage ou Le mariage difficile, Valmont (Pierre Clozel) apparaît à genoux se résignant à faire sa demande en mariage à mademoiselle Arsène (Julie Molé) sous les yeux de sa bien-aimée madame Dolban (Mademoiselle Delille), l’artiste résumant d’un seul dessin une grande part de l’intrigue de cette comédie.
La Petite galerie dramatique : Tome 1, N° 113. Costumes de Madame Molé, rôle de Mlle Arsene, de Clozel, rôle de Valmont et de Mlle Delille, rôle de Mme Dolban dans La Comédie volage ou Le Mariage difficile, [1796-1843]. Paris, bibliothèque de l’INHA, 8 EST 104 (1-8). Cliché INHA.
Un même souci d’exactitude et de précision a été apporté à la rédaction des légendes. Toutes les gravures sont numérotées et portent le nom de l’acteur et de son personnage, celui de la pièce jouée et, à partir du no 18, du théâtre parisien dans lequel a lieu la représentation. Aux côtés des grandes maisons que sont l’Opéra-comique, le Théâtre-Italien, l’Opéra national, le Théâtre-Lyrique, la Comédie-Française et l’Odéon figurent des salles de moindres envergures : l’Ambigu, le Théâtre de la Porte Saint-Martin, le Vaudeville, le Théâtre du gymnase, les Variétés, le Théâtre de la gaîté, le Théâtre des jeunes artistes, le Théâtre de Montansier, le Théâtre nautique, le Cirque olympique… Le nombre de théâtres cités est important, la Révolution française ayant libéralisé leur création par la loi du 13 janvier 1791 : « Tout citoyen pourra élever un théâtre public et y faire représenter des pièces de tous les genres ». Cependant, en 1807, le décret sur les théâtres rétablit un système de « privilège » pour seulement quatre théâtres subventionnés et quatre théâtres privés. Maintenue sous la Restauration, cette règlementation s’assouplit dans les faits et permet la création de nouvelles salles. Publiée entre 1796 et 1843, La Petite galerie dramatique témoigne donc de ces différentes périodes et de l’effervescence intellectuelle qui régnait alors. Chaque spectacle ne faisant l’objet que de deux ou trois illustrations, l’ampleur de la collection prouve que le répertoire des théâtres parisiens du XIXe siècle était considérable et marqué par une grande variété de styles : de l’opéra au vaudeville, de la tragédie à la féérie, en passant par le ballet ou le drame romantique.
Au fil des pages, vous croiserez de célèbres acteurs tels que Charles-François Mazurier, Mademoiselle Mars, Virginie Déjazet, des danseurs comme Carlotta Grisi, Lise Noblet ou Joseph Mazilier, des chanteurs avec Tamburini ou Casimir Eloy mais aussi quelques circassiens dont l’écuyère, Mademoiselle Lejars ou le clown Guertner.
Afin de permettre une recherche efficace au sein de cette riche documentation, les précieuses informations fournies par les légendes ont été saisies dans des tables des matières virtuelles avant d’être mises en ligne sur la bibliothèque numérique. Ainsi vous pourrez dans la recherche avancée – accessible en cliquant sur le bouton « + » à côté de la fenêtre de saisie du moteur de recherche – retrouver un costume par le nom du rôle, de l’interprète, du spectacle ou de la salle. L’icône en forme de loupe dans la visionneuse, quant à elle, vous aide à atteindre un terme à l’intérieur du volume consulté.
Vous pourrez alors assister à la naissance du ballet romantique aux côtés de Marie Taglioni dans La Sylphide et constater avec Théophile Gautier que « ce nouveau genre amena un grand abus de gaze blanche, de tulle et de tarlatane ; les ombres se vaporisèrent au moyen de jupes transparentes. Le blanc fut presque la seule couleur adoptée » (« Académie royale de musique : représentation au bénéfice de Marie Taglioni», dans La Presse, 1er juillet 1844). Cette nouvelle esthétique caractérisée par la légèreté se retrouve dans le costume que porte la ballerine pour La Fille du Danube : tutu long fait de tarlatane, crêpe ou mousseline et pointes contribuent à créer l’illusion d’un corps échappant à toute pesanteur.
Avec plus de quinze occurrences, Joseph Talma s’impose comme la figure marquante de l’histoire du costume au XIXe siècle. C’est lui qui va accomplir la réforme amorcée par Lekain et remplacer les luxueux costumes anachroniques portés dans les tragédies par des toges et des tuniques antiques tel que nous pouvons le constater dans Manlius Capitolinus, Pyrrhus, Hector ou Cinna. Animé par un souci de vérité historique et de réalisme qu’il théorise dans Réflexions sur Lekain et l’art théâtral, il repense la diction pour la rendre moins déclamatoire et accorde une place primordiale à l’authenticité et la fidélité du costume. Afin d’atteindre cette vraisemblance vestimentaire, il se documente et développe une connaissance approfondie de l’Antiquité. Il se plonge dans la lecture des classiques, de Cicéron en particulier, et fréquente assidûment la grande galerie du Louvre ou l’atelier du peintre David. Il juge indispensable ce travail préliminaire à la création d’un rôle historique, comme il le confie dans une lettre au comte de Brulh datée du 23 mars 1820 :
« Aristote trouvait la tragédie plus instructive que l’histoire, et le théâtre devrait être une des branches de l’enseignement public, et qui serait d’autant plus attrayante que l’instruction s’offrirait sous les formes du plaisir. Les acteurs devraient avoir une plus haute idée de leur état, se regarder, en quelque sorte, comme des professeurs d’histoire ». Conscient que la manière dont l’acteur va représenter un personnage pour la première fois conditionne la vision qu’en auront ses contemporains, il ajoute : « Les jeunes gens aiment à venir voir, agir, entendre parler les personnages célèbres qui les ont frappés dans la lecture des historiens et c’est une faute impardonnable que de les leur offrir autrement qu’ils n’étaient, et de jeter par là dans leurs têtes des idées tout à fait fausses. Je me souviens que dans ma jeunesse, en lisant l’histoire, les personnages que j’avais vus sur la scène s’offraient toujours à mon imagination comme les acteurs me les avaient offerts. Je voyais les héros grecs et romains en beaux habits de satin, bien poudrés, bien frisés ; je supposais Agrippine, Hermione ou Andromaque traînant, dans des palais de structure moderne, les longues queues de leurs robes de velours, étoffe que ne connurent jamais ni nos belles Grecques ni nos dames romaines. Je les voyais chargées de diamants qu’on n’apprit à tailler qu’au XVe siècle. Je prenais nos anciens chevaliers, si simples, si rudes, pour des marquis de la Cour de Louis XIV ou de la Régence. Telles sont cependant les idées fausses ou absurdes que l’ignorance ou l’indolence de la plupart de ceux qui sont à la tête des théâtres propagent dans l’esprit du public ».
La Petite galerie dramatique, [1796-1843] : à gauche : Costume de Mlle Fanny Essler, rôle de Adda, dans La Chatte métamorphosée en Femme : ballet, tome 6, n° 1149 ; à droite : Costume de Talma, dans Manlius Capitolinus : tragédie, tome 1, n° 47. Paris, bibliothèque de l’INHA, 8 EST 104 (1-8). Cliché INHA
Le théâtre de la première moitié du XIXe siècle est marqué par l’apparition du romantisme et de l’historicisation de la mise en scène et du costume. La Petite galerie dramatique accompagne ces ruptures esthétiques majeures et véhicule de nouvelles modes théâtrales dont l’influence est perceptible jusque dans la rue. Coiffure, habillement, maquillage, les grands succès théâtraux créent littéralement la mode, à titre d’exemples la « coiffure à la Titus » adoptée par Talma dans Brutus fera florès chez les jeunes gens et les vêtements de couleur jaune seront plébiscités après l’apparition de Mademoiselle Mars dans Hernani portant une robe de ce coloris en 1830. À cette époque, le costume suscite même parfois davantage de commentaires que l’interprétation propre.
Élodie Desserle
service de l’Informatique documentaire et de la numérisation
En savoir plus
- Adolphe Jullien, Histoire du costume au théâtre depuis l’origine du théâtre en France jusqu’à nos jours, Paris, G. Charpentier, 1880.
- Émile Duval, Talma : précis historique sur sa vie, ses derniers moments et sa mort, suivi d’un choix d’anecdotes recueillies d’après des documents authentiques, Paris, Mansut fils, 1826.
- François-Joseph Talma, introduction de Guy de La Batut, Correspondance avec madame de Staël suivie de toute la correspondance léguée à la Bibliothèque Mazarine (Fonds Lebrun), Paris, Éditions Montaigne, 1928.