Robert André-Michel, Reproduction photographique tirée de l'ouvrage "Avignon : Les Fresques du Palais des Papes", 1920 (éd. Armand Colin), introduction par M. André Hallays.

Auteur(s) de la notice : BOHL Thomas

Profession ou activité principale

Archiviste paléographe, conservateur aux Archives nationales, historien et historien de l’art

Autre activité
Secrétaire de la Revue historique

Sujets d’étude
Histoire (fiscale, politique, militaire, sociale, des croyances et des institutions) du XIIIe et du XIVe siècle. Histoire d’Avignon, de la papauté avignonnaise et du palais des Papes. Histoire de l’art à Avignon au XIVe siècle.

Carrière
1903 : admission à l’École des chartes
1905 : service militaire
1908 : nommé archiviste-paléographe par arrêté ministériel
1908-1909 : membre de l’École française de Rome
1909-1911 : séjours à Rome
1er juin 1911 : nommé archiviste aux Archives nationales
1911 : secrétaire de la Revue historique

Étude critique

Sa vie et sa formation

Ses contemporains parlent souvent de Robert André-Michel au passé. Ce brillant historien et historien de l’art est en effet mort jeune, à 30 ans, alors qu’une carrière exemplaire s’offrait à lui. Fils d’André Michel, historien de l’art et conservateur au département des sculptures du musée du Louvre, Robert André-Michel reçoit sa formation à l’École des chartes où il s’illustre en terminant premier de sa promotion. Sa thèse d’École portant sur L’Administration royale dans la sénéchaussée de Beaucaire au temps de saint Louis est remarquée puis publiée dans la collection Mémoires et Documents éditée par la société de l’École des chartes. Présentée aux membres de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres par le comte Paul Durrieu, elle est récompensée du prix Gobert en 1910. Dès sa sortie de l’établissement en 1908, il rejoint l’École française de Rome pour un an. Il y rédige un mémoire consacré à l’histoire des fortifications d’Avignon au XIVe siècle, qui a constitué par la suite la matière principale de sa thèse de doctorat ès lettres. Ce séjour romain a été déterminant dans la carrière de Robert André-Michel, qui commence alors un travail minutieux de dépouillement systématique, d’étude et d’édition des archives vaticanes, en se concentrant particulièrement sur la période de la papauté d’Avignon. Nommé conservateur aux Archives nationales à son retour, il poursuit son intense activité de publication. Il entreprend la rédaction à la fois d’une thèse complémentaire, ayant pour sujet : « La construction des remparts d’Avignon au XIVe siècle », et d’une thèse principale : « Les villes fortes et les châteaux des papes d’Avignon en France au XIVe siècle », en vue de l’obtention d’un doctorat ès lettres. Mais le 13 octobre 1914, Robert André-Michel, sergent du 204e régiment d’infanterie, est mortellement touché près de Crouy, laissant en partie inachevés ces projets de recherche : seule sa thèse complémentaire était alors prête à être publiée. Il était parti au front la fleur au fusil, en véritable patriote, s’indignant de la destruction de la cathédrale de Reims et des ravages commis contre l’abbaye de Saint-Jean-des-Vignes, « sommet de l’art français », dont la façade « pourpre au soleil couchant » montrait « les blessures que lui ont faites l’ennemi de toute beauté ». Sa disparition provoque une vive émotion au sein de la communauté scientifique. Sa famille décide de lui rendre hommage en créant une bourse destinée à participer aux frais engendrés par les voyages d’étudiants de l’École des chartes, rappelant la mémoire de celui qui avait su tirer profit des nombreux voyages qui l’avaient mené dans les archives du Midi de la France comme celles du Vatican.

Un historien avant tout

Robert André-Michel est avant tout un historien. Fort de sa formation à l’École des chartes, il parcourt les archives du Midi de la France, dans lesquelles il trouve un matériel d’étude intarissable. Il conjugue alors étude critique des documents et éditions de nombreuses pièces d’archives inédites. À la lecture de ses travaux, on ne peut qu’être frappé par son ouverture d’esprit. Il s’intéresse tant à l’histoire fiscale et administrative qu’à l’histoire sociale, politique et militaire. C’est à cette dernière catégorie qu’il consacre le plus grand nombre de travaux. Il étudie non seulement l’organisation, la composition et le financement des armées, mais aussi la défense matérielle des villes et des places fortes au XIVe siècle. Pour lui, ces deux pans de l’histoire militaire, celle des hommes et celle des monuments, sont indissociables.

Une des singularités de sa méthode de travail réside dans l’intérêt qu’il manifeste pour les cas particuliers, qu’il considère bien plus révélateurs d’une époque que les grandes synthèses. En s’intéressant à la manière dont une ville comme Nîmes se protège des attaques des compagnies de routiers et en étudiant les moyens humains et matériels mis en œuvre pour assurer la défense de la ville, il rend compte de manière précise de l’insécurité qui règne en Provence à partir du milieu du XIVe siècle. De même, après avoir étudié l’histoire du passage des « « Anglais », Bretons et Routiers à Carpentras sous Jean le Bon et Charles V », il précise que « par cet exemple, on se rendra compte de quel secours peut être pour l’histoire de ce temps l’utilisation minutieuse et patiente des archives locales parfois si riches dans le Midi. C’est seulement lorsqu’une enquête analogue à celle dont nous donnons ici les résultats aura été menée de ville en ville et de province en province que l’ambition pourra venir à quelque historien de refaire le grand tableau de l’insécurité en France au temps de la guerre de Cent ans, tel que le Père Denifle avait courageusement tenté de tracer » (« « Anglais », Bretons et routiers à Carpentras, sous Jean le Bon et Charles V ». Mélanges d’histoire offerts à M. Charles Bémont. Paris, 1913, p. 342). Il poursuit et conclut son article ainsi : « N’est-ce pas l’avantage des études d’histoire locale que de nous faire saisir de manière plus directe la réalité passée, et de nous en fournir, dans un cadre plus restreint, une vision plus exacte ? À esquisser à grands traits l’état social d’une vaste région pendant un long espace de temps on risque involontairement de changer les couleurs » (ibid., p. 352).

Par sa volonté manifeste de conjuguer différentes approches, le travail de Robert André-Michel se démarque enfin de celui d’autres historiens qui se rattachent de manière plus stricte à l’école méthodique. Lorsqu’il s’intéresse à une institution, à un groupe social ou à un édifice, il adopte une même démarche en cherchant à mettre en évidence le milieu géographique au sein duquel son objet d’étude s’intègre, à rendre compte des systèmes de pensée des individus, des interactions sociales au sein d’un même groupe, ou des enjeux politiques relatifs à un événement. Ces principes méthodologiques et cette vision transdisciplinaire se font surtout jour dans les comptes rendus critiques d’ouvrages qu’il rédige pour la Revue historique. Il n’hésite pas à préciser que tel ouvrage aurait gagné en pertinence s’il avait été accompagné d’une étude archivistique, historique, archéologique ou géographique : « Nous regrettons […] que les deux études, historique et archéologique y soient toujours juxtaposées sans jamais se pénétrer. […] Chaque siècle a laissé le témoignage de ses préoccupations dominantes, en sorte que chaque détail architectural peut éclairer et animer les textes historiques comme aussi s’éclairer à leur contact » (« Comptes rendus critiques. […] ». Revue historique, 1912, t. CX, fasc. 1, p. 127-128). Cette même idée l’a guidé dans ses travaux sur le palais des Papes à Avignon : il y mêle commentaires sur l’histoire de l’armée au XIVe siècle, sur la situation économique et politique en Avignon, sur le fonctionnement des institutions et sur la culture des différents papes pour éclairer son analyse de la construction et de la décoration du palais. Et c’est presque naturellement que cet esprit ouvert en est venu à s’intéresser à l’histoire des arts.

Un amoureux de l’Italie et des arts

Ceux qui ont connu Robert André-Michel racontent dans des hommages sincères publiés après sa mort combien son séjour en Italie a été marquant dans sa carrière. C’est en véritable amoureux de ces terres qu’il parcourt ruines et monuments. Il trouve dans les archives vaticanes la matière à ce qui a constitué pour lui un centre d’intérêt constant : la production artistique en Avignon au XIVe siècle. Fort de sa formation d’historien et en s’appuyant sur des documents inédits, il apporte des contributions majeures à l’histoire de la construction et de la décoration à fresques du palais des Papes. Il est ainsi le premier à attribuer de manière certaine les fresques de l’Audience à Matteo de Viterbe (Matteo Giovannetti) sur la base d’un document d’archive datant de 1353. Puis il fait preuve d’une grande finesse d’analyse en refusant de trancher entre une attribution à des artistes italiens ou à des artistes français à propos des fresques de la chambre du Cerf dans la Garde-Robe. Selon lui, la question de la nationalité des auteurs des fresques ne se pose pas ici en termes exclusifs ; au contraire, il met bien en évidence le caractère international de cet atelier actif au service des papes. C’est la collaboration d’artistes aux origines diverses et leurs échanges mutuels qui ont donné naissance à cette œuvre si particulière. À la rigueur de ses analyses documentaires s’ajoute une sensibilité à l’esthétique de ces peintures aux sujets profanes. L’auteur se mue en véritable historien de l’art : il se fonde sur des comparaisons avec des exemples empruntés à la peinture toscane du milieu du XIVe siècle ou à l’histoire du costume pour les dater des environs de 1343. Enfin, il ne se montre pas indifférent aux questions d’iconographie et il reconstitue dans une autre étude le programme iconographique des fresques de la chapelle Saint-Jean, identifiant des scènes jusqu’alors mal comprises.

Le caractère novateur de ses travaux sur le palais des Papes a rapidement été perçu et ses écrits ont connu une postérité certaine chez les chercheurs qui se sont intéressés à l’histoire monumentale et à la décoration de cet édifice. Suite à sa disparition, plusieurs chapitres de ses thèses encore en cours de rédaction ont notamment été publiés sous forme d’articles. D’autres études sont cependant restées dans l’oubli. C’est le cas d’un article original sur les premières horloges du palais pontifical d’Avignon. Partant d’un document d’archive, il élargit son propos à l’étude de l’horlogerie au XIVe siècle, avant de monter combien cet exemple est révélateur du caractère international de la cour pontificale : certains horlogers, au même titre que les peintres, étaient alors gages de fierté pour les souverains qui recourraient à leur service et n’hésitaient pas à les faire venir de contrées éloignées. Cet article qui aborde seulement un cas particulier fournit pourtant au lecteur les éléments les plus pertinents pour comprendre l’importance de l’art de cour au XIVe siècle.

Après sa mort au front en 1914, les nombreuses notices nécrologiques qui paraissent dans les revues déplorent la perte d’un esprit vif et ouvert, d’un passionné qui aurait sans doute découvert et analysé avec justesse bien d’autres documents relatifs à l’histoire militaire, monumentale et artistique d’Avignon et du Midi de la France au XIVe siècle.

Thomas Bohl, élève-conservateur à l’Institut national du patrimoine

Principales publications

Ouvrages

Articles

  • « Les Chevaliers du château des arènes de Nîmes aux XIIe et XIIIe siècles ». Revue Historique, 1909, t. CII, fasc. 1, p. 45-61.
  • « Le Procès de Matteo et de Galeazzo Visconti. L’accusation de sorcellerie et d’hérésie. Dante et l’affaire de l’envoûtement (1320) ». Mélanges d’archéologie et d’histoire, 1909, t. XXIX. p. 269-327.
  • « Les premières horloges du palais pontifical d’Avignon. Textes inédits du XIVe siècle ». Mélanges d’archéologie et d’histoire, 1909, t. XXIX. p. 213-224.
  • « La défense d’Avignon sous Urbain V et Grégoire XI ». Mélanges d’archéologie et d’histoire, 1910, t. XXX. p. 129-154.
  • « Le Tombeau du pape Innocent VI à Villeneuve-lès-Avignon ». Revue de l’art chrétien, mai-juin 1911, p. 205-210.
  • « Les constructions de Jean XXII à Bonpas ». Mélanges d’archéologie et d’histoire, 1911, t. XXXI. p. 369-392.
  • « Compte rendu critique. Grenoble. Étude de géographie urbaine, par Raoul Blanchard ». Revue historique, 1911, t. CVIII, fasc. 1, p. 164-166.
  • « Compte rendu critique. Die Ausgaben der apostolischen Kammer unter Johann XXII. Nebst den Jahresbilanzen von 1316-1375 by K.-H. Schäfer ». Revue historique, 1912, t. CIX, fasc. 2, p. 396-398.
  • « Comptes rendus critiques. I. Le Mont-Saint-Michel Histoire de l’abbaye et de la ville. Étude archéologique et architecturale des monuments par Paul Gout ; II. Le Mont-Saint-Michel par Ch.-H. Besnard ; III. Le Mont-Saint-Michel inconnu d’après des documents inédits par Étienne Dupont ». Revue historique, 1912, t. CX, fasc. 1, p. 125-128.
  • « Les papes d’Avignon (1305-1378), (Bibliothèque de l’enseignement de l’histoire ecclésiastique) par G. Mollat ». Revue historique, 1912, t. CXI, fasc. 1, p. 133-134.
  • « Compte rendu. Étude sur la condition des Juifs de Narbonne du Ve au XIVe siècle, par Jean Regne, archiviste de l’Ardèche. Narbonne, F. Gaillard, 1912 ». Bibliothèque de l’École des chartes, 1913, t. LXXIV. p. 387-390.
  • « « Anglais », Bretons et routiers à Carpentras, sous Jean le Bon et Charles V ». Mélanges d’histoire offerts à M. Charles Bémont, Paris, 1913, p. 341-352.
  • « Les Fresques de la chapelle Saint-Jean au palais des Papes d’Avignon ». Archives de l’art français, Mélanges Lemonnier, 1913, nouv. période, t. VII. p. 1-16.
  • « Matteo de Viterbe et les fresques de l’Audience au palais pontifical d’Avignon ». Bibliothèque de l’École des chartes, 1913, t. LXXIV. p. 341-349.
  • « Compte rendu critique. L’architecture religieuse en France à l’époque romane. Ses origines. Son développement par R. de Lasteyrie ». Revue historique, 1913, t. CXII, fasc. 2, p. 380-386.
  • « Une accusation de meurtre rituel contre les Juifs d’Uzès en 1297 ». Bibliothèque de l’École des chartes, 1914, t. LXXV. p. 59-66.
  • « Le développement des villes dans le Comtat-Venaissin. Avignon au temps des premiers papes ». Revue historique, 1915, t. CXVIII, fasc. 2, p. 289-304.
  • « Les défenseurs des châteaux et des villes fortes dans le Comtat-Venaissin au XIVe siècle ». Bibliothèque de l’École des chartes, 1915, t. LXXVI. p. 315-330.
  • « Les fresques de la Garde-Robe au palais des Papes à Avignon ». Gazette des Beaux- Arts, 1916, Année 56 (58), 12, p. 293-316.

Bibliographie critique sélective

  • s.n. – « Bourse Robert André-Michel ». Bibliothèque de l’École des chartes, 1915, t. LXXVI. p. 602.
  • s.n. – « Séance du 13 octobre ». Comptes rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 1916, p. 427-428.
  • Bertaux Émile. – « Nos Morts ». Gazette des Beaux- Arts, 1916, Année 56 (58), 12, p. 169-176.
  • Marcel-Reymond Charles. – « Bibliographie. Mélanges d’histoire et d’archéologie par Robert André-Michel ». Gazette des Beaux-Arts, 1920, Année 62, 2, p. 349-351.
  • Boinet Amédée. – « Bibliographie. Mélanges d’histoire et d’archéologie par Robert André-Michel. Les fresques du palais des papes. Le procès Visconti ». Bulletin monumental, 1920, t. LXXIX. p. 296-299.
  • Dezarrois André. – « Les « Mélanges d’archéologie » de Robert André-Michel ». La revue de l’art ancien et moderne, 1921, t. XXXIX. p. 206.
  • Frère Henri. – « Robert André-Michel ». In Bayet Jean, dir., L’Histoire et l’œuvre de l’École française de Rome. Paris : E. de Boccard, 1931.

Sources identifiées

Montpellier, Archives départementales de l’Hérault

  • 5 MI 58/6

Paris, Archives nationales

  • 93/AJ/100
  • 93/AJ/221/7

En complément : Voir la notice dans AGORHA