Auteur(s) de la notice : CICCOTTO Florence

Profession ou activité principale

Théoricien de l’ornement

Autres activités
Architecte, chargé de cours d’histoire et de théorie de l’ornement à l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris, dessinateur

Sujets d’étude
Ornement (arabe, grec, chinois), mathématiques, géométrie, optique, arts industriels

Carrière
1859 : admission en seconde classe d’architecte à l’École des beaux-arts de Paris
1860 : diplôme d’architecte
1863-1868 : mission de rénovation du consulat de France à Alexandrie (ministère des Affaires étrangères)
1868-1869 : mission au Proche-Orient, Grèce et Italie (ministère des Affaires étrangères)
1869 : participe au congrès international sur l’enseignement du dessin et les progrès de l’art appliqué à l’industrie
1874-1875 : construction de sa résidence à Saint-Julien-du-Sault
1878-1879 : chantier (supposé) d’un immeuble de rapport (185, boulevard Voltaire, Paris) ; chargé de cours à l’École des beaux-arts de Paris
1880-1884 : missions en Égypte avec Gaston Maspero (firman attestant sa présence en 1884) ; collaboration avec Wilhelm Spitta et Barbier de Meynard à l’illustration du Bûstan ou Verger de Sa’di (non paru) ; plan de la maison Goubran-Fagalah/‘Abd el-messin, au Caire (construction supposée)
1884 : décoration du bureau du baron Delort de Gléon à Paris ; projet de décoration du salon d’Albert Goupil (non abouti)
1887 : construction (supposée) de deux hôtels particuliers (rue de Thiéry et rue de Montevideo, Paris)
1893 : participation à l’exposition des arts de l’Islam au palais de l’Industrie
1903-1905 : projet de conférences devant les industriels des soieries lyonnaises (correspondance avec Édouard Aynard, président de la Chambre de commerce de Lyon)

Étude critique

Les travaux issus des missions en Orient de Jules Bourgoin ébauchent l’esquisse d’une figure originale de l’ornement en France à cette époque. Sa formation d’architecte aux Beaux-Arts est assurée par Simon-Claude Constant-Dufeux ; Marie-Charles Ruprich Robert fait partie de la promotion, et il gravite alors autour de François-Henri Labrouste et Eugène-Emmanuel Viollet-le-Duc.

Chargé de cours aux Beaux-Arts, Bourgoin ne souhaite pas pour autant y faire carrière ; l’activité lui assure la notoriété suffisante pour favoriser ses publications, et il conserve la liberté de se consacrer totalement à son étude. Par l’entremise de son directeur, Bourgoin est chargé de la rénovation du consulat d’Alexandrie par le ministère des Affaires étrangères (1863-1867). Ce premier contact avec l’Orient détermine la naissance d’une « vocation irrésistible », où sa passion des mathématiques va rencontrer le décor géométrique islamique.

De retour à Paris, Bourgoin dispose d’une somme de relevés qu’il organise dans Les Arts arabes (1867), ouvrage-somme dans la continuité de ceux d’Owen Jones et de Jules Goury en Andalousie ou de Pascal Coste en Égypte, bénéficiant de la nouvelle technique de la chromolithographie pour offrir des planches de couleurs somptueuses. Adepte dès ses classes d’architecte des théories d’Antoine-Augustin Cournot et des principes de Simon-Claude Constant-Dufeux, l’ouvrage offre les prémisses d’une classification qui prend directement sa source dans les mathématiques. Dans la préface, Eugène Viollet-le-Duc salue le travail de Bourgoin pour restaurer et conserver les témoignages de cette civilisation.

Dans l’année 1868, Jules Bourgoin accepte une seconde mission du ministère des Affaires étrangères. À la manière de l’Égypte, les pays d’Orient se visitent désormais sur toile de fond d’analyse scientifique ; Bourgoin quitte l’Égypte pour le Proche-Orient : la Syrie pour des relevés de la grande mosquée de Damas, des vues de la ville, ainsi que la Palestine : Jérusalem, la vallée des tombeaux de Josophat. Le voyage se poursuit en Grèce, puis en Italie.

De retour en France, Bourgoin s’isole et publie Théorie de l’ornement (1873). La rupture avec les Monuments historiques est formellement consommée, du point de vue de la conservation ou de la restauration ; plus proche encore de Cournot, la référence aux mathématiques prime sur l’esthétique, et Bourgoin déconstruit l’ornement pour en saisir son schéma fondateur en élargissant son champ de réflexion aux arts grec, japonais et islamique, dont il ne se targue jamais d’être spécialiste.

Succès ? L’année suivante, il bâtit sa propre maison à Saint-Julien-du-Sault, sans qu’il soit question de décoration « à l’arabe ». Détail insolite : le jardin ; dans la lignée des compositions classiques, Bourgoin, méthodique, va jusqu’à préciser sur ses plans les espèces florales et végétales.

Les années qui suivent sont probablement consacrées à la préparation de Théorie de l’ornement ainsi qu’à la révision d’Arts arabes, qui est alors réédité. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, les architectes s’ouvrent à l’Orient, qui devient une nouvelle source d’inspiration ; les motifs orientaux vont contribuer à renouveler les arts décoratifs français, en crise. Les Éléments de l’art arabe (1879) contribue à ce nouvel apport de formes inédites visant directement l’application. Ses relevés du Caire et de Damas en constituent la base d’étude. La publication est morcelée ; le public n’est pas au rendez-vous.

1880 est l’année faste de Bourgoin. Grammaire élémentaire de l’ornement paraît, version revue et mûrie de Théorie de l’ornement. Bourgoin a pour ambition de constituer un système de lois régissant l’ornement, à la manière des sciences dites « dures », travail qui sera par la suite cité, notamment dans les ouvrages de l’historien d’art autrichien Aloïs Riegl.

Bourgoin dessinateur est ensuite choisi par Gaston Maspero pour intégrer l’équipe fondatrice du futur Institut français d’archéologie orientale du Caire. Là, infatigable, il croque l’Égypte ancienne et islamique. Il exécute près de 1 200 aquarelles et dessins, sous contrat avec les Beaux-Arts. À la bibliothèque khédiviale du Caire, il copie les miniatures du Bûstan de Sa’di, pour un projet d’illustration de la très récente traduction du français Barbier de Meynard, mais demeuré sans suite.

En 1884, grâce à un firman obtenu par l’égyptologue Maxence de Rochemonteix, Bourgoin est encore au Caire, où il dessine des plans de villa. Le marquis, Hippolyte Dulac, Arthur Rhoné : le cercle de Bourgoin au Caire compte aussi Ambroise Baudry, l’architecte de la villa du baron Delort de Gléon, grâce auquel il obtient la décoration « à l’arabe » du bureau de l’hôtel parisien du baron. Assistant aux travaux, Albert Goupil transmet à Bourgoin par le biais de son contremaître (un certain D., non identifié) le désir de lui confier l’aménagement d’une grande pièce « à l’arabe » dans son nouvel hôtel, mais le collectionneur décède brutalement cette même année.

Retiré à Saint-Julien-du-Sault, Bourgoin publie le Précis de l’art arabe, quatre volumes restituant une partie de l’immense travail des relevés d’Égypte avec lesquels il souhaite apporter aux arts décoratifs modernes « ces thèmes originaux qui n’ont jamais été cultivés », mais cet exposé ne va pas plus loin. Il abandonne la voie de la synthèse dans laquelle vont poursuivre les Marçais (1903), Saladin et Migeon (1907).

Dégagé de toute activité professionnelle, il se consacre à sa « besogne » : paraissent les Études architectoniques et graphiques (1901), et La Graphique (1905). Pour Bourgoin, la formation de l’ornement constitue une des acquisitions fondamentales au même titre que les mathématiques ou le français. Il veut voir sa doctrine enseignée, requête qui motivera toute la dernière partie de sa vie. Mais une santé fragile et une vie toujours plus précaire ne lui permettront pas de transmettre ses idées auprès des dessinateurs de fabrique lyonnais, malgré les instances appuyées auprès d’Édouard Aynard, membre fondateurs de l’Union centrale des arts décoratifs, alors président de la Chambre de commerce de Lyon, ainsi qu’auprès de Louvier de Lajolais, alors directeur de l’École nationale supérieure des arts décoratifs.

Solitaire, travailleur inlassable et quasi obsessionnel, aux idées parfois originales – a-t-il réellement fait parvenir les Études architectoniques et graphiques à Léon Tolstoï ? –, Bourgoin n’a jamais voulu « s’obliger à un autre mouvement que le [sien] ». Pour lui, l’Orient n’est pas le lieu d’une « révélation ». Le véritable rendez-vous a lieu face à ces formules ornementales régies par le compas ; Bourgoin, qui s’est dédié de bonne heure aux lois mathématiques et au dessin, est définitivement séduit. L’art islamique a certes été le catalyseur d’une « grande curiosité d’esprit quasi universelle », mais Bourgoin n’a pas pu mener à terme sa véritable quête : l’enseignement de sa méthode. Avec la crise des arts décoratifs, les positions des ministères français et l’essor des sciences, le voyage se fait mission, la contemplation devient analyse, et l’on pose enfin le mot d’archéologie. Chaque ouvrage de Bourgoin prend place dans les étapes cette transition. Il reste encore aujourd’hui à déterminer si l’architecte était, comme pour René Binet, « un savant méconnu » aux écrits novateurs, ou un satellite oublié, ayant voué son existence à la loi mathématique et géométrique.

Florence Ciccotto, doctorante, université Paris IV-Sorbonne

Principales publications

Bibliographie critique sélective

  • Delaire Edmond. – Les Architectes de l’école des Beaux-Arts. Paris : Librairie de la construction moderne, 1907.
  • Volait Mercedes. – L’Égypte d’un architecte. Paris : Somogy, 1998.
  • Riegl Aloïs. – Stilfragen Vienne, 1893. Trad. de l’allemand par Henrie-Alexis Baatsch et Françoise Rolland : Questions de style : fondements d’une histoire de l’ornementation. Paris : Hazan, 1992. Rééd : Paris, 2002.
  • Oulebsir Nabila. – La Construction du patrimoine en Algérie de la conquête au centenaire 1830-1930. Lille : Association nationale de la Recherche technique, 2003.
  • Oulebsir Nabila. – Les Usages du patrimoine : monuments, musées et politique coloniale en Algérie, 1830-1930. Paris : Maison des sciences de l’homme, 2004.
  • Volait Mercedes. – « René Binet et l’Art “oriental” ». In René Binet (1866-1911), un architecte de la Belle Époque, Lydwine Saulnier-Pernuit, Sylvie Ballester-Radet, dir. : [catalogue de l’exposition], Sens, orangerie des musées de Sens, 3 juillet – 2 octobre 2005. Sens : musées de Sens, 2005.
  • Volait Mercedes – Architectes et Architecture de l’Égypte moderne (1830-1950). Paris : Maisonneuve et Larose, 2005.
  • Peltre Christine. – Les Arts de l’Islam. Paris : Gallimard, 2006.
  • Labrusse Rémi, dir. – Purs Décors ? Arts de l’Islam, regards du XIXe siècle. Paris : Les Arts décoratifs, musée du Louvre éditions, 2007.

Sources identifiées

Auxerre, Bibliothèque municipale

  • Notice nécrologique

Paris, bibliothèque de l’École nationale supérieure des beaux-arts

  • Dossier d’élève-architecte (1860)
  • Titre générique « Dessins d’Égypte » (lien Les Arts arabes, missions le Caire, Jérusalem, Damas (1882), dont inédits)
  • 2 lots de 538 croquis et dessins (dont 1892-1893) issus des 1 200 aquarelles de l’auteur

Paris, Bibliothèque nationale de France, département des Estampes et de la photographie

  • 3 volumes in-4 : dessins, planches, études (Les Arts arabes)

Paris, Archives nationales

  • Dessins (1890)
  • Conférences de l’auteur (1877-1892)

Paris, bibliothèque de l’INHA-collections Jacques Doucet

  • Archives 67. Manuscrits, dessins, carnets de dessins, calques, correspondance (ouvrages, formation, missions, projet Delort de Gléon, projet Saint-Julien-du-Sault, privé)

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